Mr Philippe Bouillon,
Boucher-charcutier

Interview réalisée en novembre 2016

Gérant de l'entreprise familiale "Maison Bouillon et fils", à la Roche-en-Ardenne. 

Quel est votre parcours scolaire et professionnel ?

J'ai suivi ma scolarité à l'Athénée Royal de la Roche-en-Ardenne jusqu'à la fin de ma 3ème secondaire puis, j'ai bifurqué vers l'enseignement technique puisque j'avais pour ambition de reprendre l'entreprise de mon père qu'il avait fondée en 1955. Je me suis donc orienté vers l'Institut des Techniques et des Commerces Agro-alimentaires (ITCA) à Namur. J'ai dû refaire ma 3ème année parce que le directeur de l'époque estimait que je n'avais pas le bagage professionnel suffisant pour aller en 4ème. J’ai été diplômé avec grande distinction. Ensuite, pendant 3 ans, pour le fun, j'ai suivi des études de traiteur-organisateur de banquets en cours du soir en Promotion Sociale, puis un an de spécialisation en préparation de poissons. D'autre part, j'ai fait un bachelier en commerce et développement parce que la taille de l'entreprise familiale était telle que j'avais besoin d'avoir de bonnes bases au niveau comptabilité, en langues et en marketing pour faire face aux demandes. Enfin, j'ai fait mon service militaire dans l'armée de terre à Eupen en tant que chef cuisinier. A partir de décembre 1988, j'ai repris avec mon père l'entreprise familiale et on a commencé tout doucement à relancer la machine.

Hormis le souhait de reprendre l'entreprise familiale, qu'est-ce qui vous a motivé dans ce métier ?

J'aurais pu être ingénieur ou autre chose, mais cela ne me plaisait pas trop d'être dans un bureau.
J'appréciais la cuisine et les bons produits. Je me suis dit qu'une entreprise agroalimentaire était un bon choix.

A quoi faut-il être attentif pour réaliser de la charcuterie de qualité ?

A la qualité des matières premières. Il faut travailler avec de bons fournisseurs et faire attention à la fraîcheur de la marchandise.

Quelles compétences doit-on acquérir pour être un bon charcutier ?

Il faut de la rigueur et surtout du savoir-faire. Cela ne s'apprend pas du jour au lendemain, c'est à force d'années de travail, de côtoyer d'autres professionnels, de se former. Régulièrement, je vais suivre des formations avec les meilleurs ouvriers de France ou avec d'autres personnes qui ont des compétences spécifiques qui m'intéressent. Je suis souvent sur des groupes de discussion pour échanger des idées, trouver de nouvelles solutions.

Être un bon charcutier, c'est aussi maîtriser ses process de fabrication et valoriser au mieux ses produits. C'est partir d'un produit de base et en faire un produit d'exception, en y apportant une valeur ajoutée et un savoir-faire. Par exemple, c’est réaliser une belle terrine avec le foie, le gras et la viande de porc. C’est la manière dont l'artisan travaille le produit qui est importante. Il ajoute des sels, des épices, fait mariner ses viandes avec du vin blanc, il ajoute sa touche personnelle, il va faire suer des échalotes qu’il va incorporer, etc.

Il faut également bien veiller aux températures de cuisson. Si la température est trop élevée, le pâté sera trop sec. Visuellement, cela paraîtra correct mais gustativement, il ne sera pas bon. Il y a donc beaucoup de techniques à maîtriser.

Comment se déroulent vos journées ? Quelles sont vos tâches quotidiennes ?

Le matin, j'arrive vers 8h et mon équipe vers 4h ou 5h. Mes ouvriers s'occupent de la découpe des viandes primaires, du désossage, etc. Ensuite, ils commencent les charcuteries. A mon arrivée, je supervise si tout est en ordre, je monte le comptoir, je vérifie toutes les préparations. Je m'occupe aussi de la découpe des viandes (porc, veau, agneau, etc.).  

L'après-midi, je réalise des préparations culinaires : têtes de veau, têtes pressées, terrines, etc. Vers 17h, on range et on nettoie. Vers 18h-19h, on ferme le magasin et de 19h jusqu’à 21h-22h, c'est la comptabilité, l'administratif et parfois la reproduction. Par exemple, lors du week-end de la Toussaint, j'ai énormément de travail et je termine vers 23h-00h.

Y a-t-il quelque chose que vous préférez faire ?

Comme j’ai reçu une formation polyvalente, je peux occuper toutes les fonctions de mon entreprise.

A côté de la boucherie-charcuterie, j'ai développé, depuis 20 ans, un concept de salon de dégustation en charcuterie. C'est le principe du salon de dégustation de pâtisseries transposé à la charcuterie. Au lieu de demander un quart de tarte, vous mangez du jambon. J'ai une cuisine professionnelle pour cela, je peux donc être aussi bien en service en salle qu'en service en magasin ou en train de bourrer des saucissons ou de les saler.

Maintenant, si je dois dire ce que je préfère, je dirais la charcuterie parce qu'on est peinard dans son atelier, on fait ce qu'on a à faire, c'est plus calme et plus relax.

Votre maison est-elle spécialisée dans des charcuteries particulières ?

Mes deux fers de lance sont bien sûr l'IGP (Indication Géographique Protégée) Jambon d'Ardenne et le Saucisson d'Ardenne. Les salaisons sont donc notre label "Ardenne" de préférence. Nous avons également des charcuteries. Dans notre jargon, les charcuteries, ce sont des produits cuits, et les produits comme les saucissons secs et les jambons d'Ardenne ou autres jambons, c'est ce qu'on appelle de la salaison. Ce sont des produits non cuits dont la conservation se fait uniquement par le sel ou la fermentation. En charcuterie, nous avons bien sûr actuellement toutes les terrines spéciales gibier : terrines de marcassin aux airelles, terrines de faisan aux figues, terrines de chevreuil aux poires. C’est aussi la période de la choucroute, donc on a les saucisses de Francfort, les saucisses cuites, les saucissons de Saint-Hubert, etc. Ce sont des grands classiques de la charcuterie ardennaise.

Quelle est la production annuelle de vos principales charcuteries ?

En cœur d'Ardennes IGP, j'en fais à peu près 1200 par an, ça fait donc 30 par semaine et des noix d'Ardenne, 5000 par an. Des jambons cuits, une quinzaine par semaine. Je ne compte pas les cervelas, les pâtés.

Quels sont les inconvénients dans votre métier ? 

Il y en a énormément. Oubliez les 38h par semaine. Ma moyenne horaire par semaine est de l'ordre de 80h. Si vous êtes comme moi en zone touristique, oubliez les congés pendant les périodes scolaires, les jours fériés, les week-ends. Il faut supporter les variations de température, on ne travaille pas dans un bureau climatisé à 20 degrés, on porte parfois des charges un peu lourdes, donc il faut une certaine force physique.

Notre métier souffre aussi d’une image négative. Certains parents ont encore tendance à refuser que leurs enfants fassent notre profession alors que c’est un métier qui peut être valorisant. Il se féminise un peu mais pas encore suffisamment.

Quels sont les aspects positifs que vous voyez dans votre métier ?

En tant que chef d’entreprise, j’ai toute la liberté au niveau de la gestion et de la création des produits. Si vous travaillez correctement, vous êtes bien rémunéré.

Quels sont les investissements et le matériel de base indispensables pour débuter son activité ?

Il faut compter plus ou moins 500000 euros pour racheter une entreprise qui est en ordre de fonctionnement. Si vous partez de zéro, l’investissement de départ est encore plus important car il faut, en plus, acheter du matériel (un mélangeur, une bourreuse, un hache-viande, des trancheuses, des frigos, un comptoir frigo, etc.). Pour vous donner une idée, j’ai dû changer mon comptoir frigo il y a quelques temps, j’en ai eu pour 80000 euros !

En 35 ans, avez-vous vu une évolution dans votre métier ?

Oui, l'évolution est non-stop au niveau de l’hygiène, de la sécurité alimentaire (suivi des produits, traçabilité), de l’administration et de la technologie.

Avant, on travaillait, par exemple, dans la saucisse fraîche avec 25g de sel au kg. Maintenant on est à 15g. Il y a un objectif de réduction de chlorure de sodium dans les aliments. Et qui dit réduction des chlorures, dit que vous devez maîtriser votre chaîne du froid de façon plus importante. Même chose dans les saucissons, on va vers une réduction du taux de sel, vous devez donc maîtriser une fermentation beaucoup plus pointue. Avant, on faisait une fermentation spontanée, maintenant, on travaille en fermentation dirigée avec des ferments lactiques.

Avez-vous envie de dire quelque chose aux personnes désireuses de se lancer dans votre métier ?

La passion du travail bien fait, c'est essentiel. Il faut aussi avoir les épaules solides, être résistant au stress, et une bonne condition physique.

C’est un domaine dans lequel vous pouvez innover tout le temps et toujours vous améliorer. La charcuterie, c’est la sœur de la cuisine. C’est donc important de continuer à se former.

 
SIEP.be, Service d'Information sur les Études et les Professions.