Mme Sophie Pollak,
Conseillère en insertion socioprofessionnelle

Interview réalisée en octobre 2013

Conseillère en insertion socioprofessionnelle pour un public détenu ou anciennement détenu à l’ASBL "APRES", située à Bruxelles.

Quelle est la mission de votre ASBL ?

L’objectif de notre ASBL "APRES" est la réinsertion sociale et professionnelle d’un public détenu, ou anciennement détenu, bruxellois. On est subventionné par Actiris qui est l’organisme régional en matière d’emploi. L’objectif est de permettre à ces personnes de retrouver un emploi, une place dans la société, au terme de tout un parcours passant par une formation professionnelle ou par une recherche d’emploi.

Exercez-vous le même métier qu’un assistant de justice ?

Non, pas du tout. L’assistant de justice est mandaté par la justice, ce qui n’est pas mon cas. Il vérifie l’application de mesures prononcées par un juge. 

Nous travaillons dans le secteur de l’aide stricto sensu. Nous ne sommes pas mandatés. La personne fait la demande par elle-même. Il arrive que les personnes soient envoyées par les maisons de justice lorsque ces personnes ont, par exemple, comme condition, de trouver un travail. Le fait de venir chez nous fait donc partie des conditions, mais c’est la personne qui doit véritablement être demandeuse. Sans cela, notre travail n’a aucun sens. 

Nous n’avons pas de compte à rendre à la maison de justice. Nous rendons des attestations à l’intéressé mais sans transgresser le secret professionnel. Dans nos attestations, on dit qu’on a vu la personne autant de fois dans le cadre de son travail d’insertion socioprofessionnel. Il m’arrive parfois, pour le tribunal, de souligner les progrès et projets de la personne, de mentionner les démarches qu’elle a à effectuer et donc l’éventuelle nécessité de congés.

Quel a été votre parcours ?

Je suis psychologue. J’ai travaillé un an à l’étranger, puis un an dans le secteur de l’aide à la jeunesse, puis durant 8 ans dans un centre de formation professionnelle. Et je travaille ici depuis 3 ans.

Pourriez-vous nous raconter une journée-type d’une conseillère en insertion dans l’aide aux justiciables ?

Il y a essentiellement deux types d’activités. 

Une activité en prison, c’est-à-dire qu’on va voir les personnes qui sont détenues, aux parloirs des prisons, à savoir les prisons bruxelloises : Saint Gilles, Forest, Berkendael qui est la prison pour femmes. On intervient aussi dans des prisons en province : la prison de Nivelles et la prison d’Ittre. Pendant les journées où je vais en prison, je rencontre des détenus qui sont en fin de peine et qui manifestent la volonté de se réinsérer par le travail. Donc ils nous contactent. Nous ne sommes pas mandatés par la justice. C’est le détenu qui va faire la demande à notre ASBL. On est connu et reconnu à la fois par le justiciable (la personne détenue ou la personne qui est déjà sortie de prison), mais aussi par toutes les associations qui gravitent autour de la prison, par les avocats des services sociaux des prisons. Donc le détenu a l’information et, suite à cela, il nous contacte.

On va voir la personne en prison si c’est un premier rendez-vous. On prend énormément de temps avec la personne pour analyser la demande, essayer de bien clarifier les choses, de clarifier sa demande, d’expliquer le cadre de notre travail, de vérifier que sa demande n’est pas simplement une demande d’aide sociale ou juridique. Notre objectif est vraiment de faire une orientation professionnelle qui va lui permettre de se réinsérer, dans un deuxième temps, sur le marché de l’emploi. Pour cela, on fait tout un travail d’anamnèse à partir du parcours professionnel, mais surtout du parcours scolaire. Et à partir de là, on commence le travail d’orientation. Les personnes incarcérées sont souvent infrascolarisées, ont des parcours de vie véritablement difficiles, émaillés par des ruptures, par des crises, bien souvent déjà par des emprisonnements successifs. Le taux de récidive en Belgique est vraiment très important. On utilise véritablement le moment de notre travail comme un moment charnière dans leurs vies. L’insertion socioprofessionnelle est le prétexte à faire tout un travail personnel sur un projet de vie. On leur permet, à partir de tout ce travail, de reconstruire un projet de vie autour du projet professionnel. Ce sont des entretiens, qui se déroulent au sein des parloirs, qui sont vraiment très riches. On est tenu par le secret professionnel. Généralement, les gens qu’on voit sont des gens qui font la demande, qui sont volontaires, motivés, qui sont dans une période de leurs vies propice à l’introspection. Une petite tranche de personnes nous contacte pour simplement avoir un plan de reclassement à faire valoir devant le tribunal pour être libérée de façon anticipative, soit sous bracelet électronique, soit en conditionnelle. Elles nous demandent alors simplement une formation pour pouvoir sortir plus tôt. Face à cela, on ne répond pas à la demande immédiate et on réexplique le cadre de notre travail. Le cadre est vraiment fondamental dans notre travail. 

Par ailleurs, on voit les personnes aussi au sein de nos bureaux. Par exemple lors de leurs congés pénitentiaires. Un détenu peut bénéficier de congés pénitentiaires pour préparer sa sortie de prison. On ne va pas les lâcher anticipativement comme ça dans la nature. Ils ont donc des congés où ils doivent justifier leurs activités. Donc, soit ils viennent nous voir, soit ils vont voir des psychologues dans un cadre thérapeutique (que ce soit en matière de toxicomanie ou pour faire une thérapie plus globale), soit ils préparent leur sortie en matière de logement, problèmes administratifs, etc. C’est donc dans ce cadre-là qu’on les voit pendant leurs congés. On continue le travail qui a été amorcé en prison. Mais il arrive bien souvent qu’on voie des personnes bruxelloises dispatchées dans toutes les prisons de Belgique (Marneffe, Saint-Hubert). Donc là on reprend le même schéma : anamnèse, orientation  professionnelle, orientation sur une formation ou travail. La nature du travail est plus ou moins la même en prison et dans nos entretiens au bureau. Mais le cadre est très différent et la personne est évidemment dans un état d’esprit assez différent quand elle est en congé et quand elle est encore incarcérée, qu’elle n’a pas encore eu le droit à des congés. Les entretiens durent généralement une heure, voire plus, car on constate que la prison est un moment difficile dans la vie de la personne, que le volet psychologique prend beaucoup de place, que la personne a besoin de parler. Le vécu de la prison et la manière dont la personne vit son incarcération prennent une grande place dans notre travail, même si l’objectif premier de notre travail n’est pas thérapeutique. 

A côté de cela, une fois par semaine, on a des réunions d’équipe où sont discutés les aspects institutionnels, le fonctionnement global de notre ASBL . On a aussi, régulièrement, des études de cas où chacun d’entre-nous présente une situation un peu difficile. On a des supervisions collectives faites par un psychologue extérieur une fois par mois. Parce que le travail est assez difficile et qu’il faut un moment tampon pour permettre de parfois prendre du recul. On entend des choses très difficiles. Les personnes parlent des faits qu’elles ont commis, mais aussi de leurs vies. Ce n’est pas toujours facile à entendre.

Donc ce sont des journées très remplies et très variées. Il n’y pas deux journées qui se ressemblent, même si le travail est le même. On voit des personnes qui ont commis toutes sortes de faits, des typologies de personnalité très variées, des hommes, des femmes, plus âgé(e)s, plus jeunes. Il n’y a pas de profil type. Il faut être très créatif par rapport au contenu de notre travail.

Quelles sont les qualités à avoir pour exercer votre métier ?

Je dirais, premièrement, qu’il faut être vraiment professionnel, rigoureux, se tenir au cadre, ne pas se laisser emporter par la vie, par la situation de la personne. Rester toujours dans le cadre de travail, ne pas se laisser envahir. Garder cette limite. Il faut de la patience aussi. Et pouvoir relativiser le champ de notre action. Il y a beaucoup de récidives. Donc ce qui est parfois difficile à supporter c’est le fait qu’il y a tout un travail qui est fait avec une personne et puis qu’elle retombe après dans son milieu et qu’elle soit de nouveau amenée à commettre des faits délictueux et qu’on la voie à nouveau en prison. Donc il faut de la patience. 

Quelles sont les difficultés du métier ?

Il faut être créatif, ouvert, empathique. Il faut parfois avoir le cœur bien accroché. Supporter des conditions de travail qui ne sont pas faciles. 

Le taux de récidive, parfois élevé, constitue également une difficulté.

Il faut aussi faire face à cet espèce d’épuisement par rapport à la rudesse des propos que tiennent les personnes. C’est un monde qui est véritablement difficile. A côté de ça, il y a plein de gratifications parce que les personnes sont généralement très contentes du travail qu’on fait avec elles.

Ce qui est difficile aussi, c’est qu’il y a parfois tout un travail qui est accompli, puis la personne disparaît. A partir du moment où elle sort de prison, elle veut reconstruire sa vie, elle ne donne plus de nouvelles. C’est une des parties difficiles de notre travail.

Ce qui est donc surtout à mettre en évidence, ce sont les conditions de travail qui ne sont pas toujours faciles. Et puis, par rapport à tout le travail qui est fait en prison, on est tributaire de la prison. Donc on est tributaire des grèves par exemple. Il n’est pas rare, ces derniers temps, qu’on se retrouve au chômage technique : on ne peut plus entrer en prison et les personnes qui avaient des congés pénitentiaires les voient être supprimés. Ce qui est difficile, ce n’est donc pas tant les propos des personnes que l’on rencontre, mais la violence de l’univers carcéral. Les portes qui claquent, la fréquentation des agents pénitenciers qui sont dans un univers dur, qui ne sont pas toujours très agréables, qui n’accueillent pas toujours bien le travail que l’on fait. Ils ont l’impression qu’on est là pour travailler pour le détenu et qu’on ne considère pas la difficulté de leur travail. Donc rudesse du cadre de travail de l’univers carcéral.

Quels en sont les points positifs ?

C’est un travail varié, enrichissant, intéressant, très gratifiant. Il y a, certes, un taux important de récidive. Mais il y a aussi un taux important de personnes qui, grâce à notre intervention, trouvent un travail, se reconstruisent et recréent une nouvelle vie. Puis, les entretiens en eux-mêmes sont très riches. Et on travaille en équipe, il y a donc une dynamique intellectuelle qui est vraiment très stimulante. On participe à des colloques, etc. Il y a plein de choses intéressantes dans notre travail. C’est donc un travail varié, intéressant, stimulant, gratifiant, malgré tous les aspects négatifs cités précédemment.

Un souvenir marquant à partager ? Une anecdote ?

Notre vie est faite d’anecdotes… Nos journées en sont remplies. Chaque entretien est très différent, même si le canevas est le même. C’est assez surprenant.

Par exemple, j’ai été très émue par le fait qu’un détenu a découvert sa séropositivité en prison. C’est une personne qui ne savait pas du tout ce que c’était. On lui avait annoncé qu’il était séropositif. Et il est venu, dans un entretien comme un autre, en me demandant si je savais ce que c’était. Les soins de santé en prison sont ce qu’ils sont et la personne n’a pas du tout mesuré tous les aspects. On a mis en place tout un suivi et toute une éducation à la santé par rapport à cela avec l’hôpital Saint-Pierre. Cela m’a vraiment ébranlée. Cela met aussi bien en évidence combien l’institution carcérale ne considère pas le détenu comme un individu, mais comme un détenu avec un numéro. Les gens répondent à des numéros. Je ne sais pas si cet événement est très représentatif de mon travail mais c’est un état de fait qui est marquant.

Que conseilleriez-vous à une personne désireuse de se lancer dans la profession ?

Notre cadre de travail est très restreint. On est dix travailleurs à l’asbl "APRES" à faire ce que l’on fait, c’est-à-dire à travailler en matière d’insertion socioprofessionnelle avec des personnes détenues ou ayant eu des problèmes avec la justice. Mais il existe de multiples métiers qui travaillent avec la population détenue ou ayant des problèmes avec la justice, des métiers très valorisants et très intéressants. Mon métier est tellement particulier que je n’ai pas de conseil précis à donner, mis à part la qualité précédemment citée d’être patient.

 
SIEP.be, Service d'Information sur les Études et les Professions.