Thierry Bay, Aquaculteur

Interview réalisée en novembre 2021

Pouvez-vous retracer brièvement votre parcours scolaire ?

J’ai réalisé mes études secondaires en France où j’ai obtenu mon baccalauréat en Mathématiques et Sciences de la nature. Une fois ce diplôme en poche, j’ai suivi une formation de Bio-ingénieur, orientation élevage, à Gembloux. Ensuite, j'ai fait une spécialisation de « chef de projet d'exploitation en aquaculture » à Montpellier. J’étais intéressé par les poissons.

En quoi consiste votre travail ? 

Je suis responsable d'une PME de 17 personnes, basée à Mouscron, appelée Belgian Quality Fish. Nous élevons de l’esturgeon pour en manger la chair, mais aussi pour en extraire les œufs afin de faire du caviar. Notre ferme compte à peu près 450 tonnes de poissons, ce qui représente 65.000 pièces. Il y a du monde !

Concrètement, outre mes tâches administratives, ma mission principale est de m'occuper des poissons : les nourrir, m’assurer qu’ils soient en bonne santé, que les conditions d’élevage soient bonnes, etc. 

Nous fonctionnons en recirculation. Cela signifie que l'eau est prélevée dans la nappe phréatique et qu’elle est utilisée plusieurs fois dans la ferme avant d’être renvoyée dans la nature après épuration. Le milieu dans lequel les poissons sont élevés est très important. Il faut être attentif à la qualité de l’eau des bassins, à sa température, au taux d’oxygène, au PH, etc. 

Une personne qui élève des poissons pour la chair uniquement va surtout se préoccuper de leur taille et de leur format. Dans notre cas, l’objectif est d’extraire le caviar des femelles. Nous devons donc identifier celles qui sont prêtes. Il faut être certain que le caviar soit au stade optimum dans chaque poisson. Pour cela, notre sélection se fait par échographie, mais aussi par biopsie, c’est-à-dire que l’on prélève un petit échantillon d’œufs afin d’en vérifier le diamètre et le goût. Je dois donc manipuler les poissons car ils ne viennent pas tout seuls sur la table ! Les femelles matures pèsent en général entre 10 et 50 kilos/pièce. C’est donc un travail assez physique. 

Nous faisons partie d’un groupe. Notre client principal est une société sœur, qui nous achète les femelles et prépare le caviar. Mon produit final, ce sont des femelles vivantes remplies d’œufs qui partent en camion jusqu’à l’abattoir où elles sont traitées. 

Comment la récolte de caviar se déroule-t-elle ?

Le caviar consiste en des œufs d’esturgeon et du sel. En réalité, ce ne sont pas exactement des œufs, mais des ovules non fécondées qu’il faut aller chercher dans le ventre du poisson. Pour cela, nous tuons l’esturgeon, lui ouvrons le ventre et en sortons une espèce de grappe de raisin que nous tamisons afin que les œufs se séparent du tissu qui les maintient ensemble. Ensuite, nous les rinçons abondamment avec de l'eau et les égouttons un peu. Enfin, nous rajoutons du sel avant la mise en boîte. 

Dans notre élevage, nous possédons plusieurs espèces d’esturgeon. Cela permet de produire différentes variétés de caviar. 

Qu’advient-il du poisson dont on a extrait les œufs ?

L’esturgeon, c’est un peu comme le cochon. Tout est bon! Par exemple, il est possible de consommer sa viande ou encore de valoriser sa tête pour faire de la soupe. Les Belges n’ont pas vraiment l’habitude de manger cette espèce de poisson, mais dans les pays du Caucase, il est consommé avec plaisir. Le cuir d’esturgeon est même utilisé en maroquinerie !

Que faites-vous avec les poissons mâles ?

Ils sont vendus vivant pour la pêche sportive ou pour être consommés après transformation (par ex : en filet).

Quels sont les aspects positifs et négatifs de votre profession ?

J’aime beaucoup mon travail, bien qu’il se déroule dans un hangar fermé. L'inconvénient, c'est que vu que l’on travaille avec du vivant, on est tout le temps sur le qui-vive. Si un orage surgit et que des branches entravent l’alimentation en eau, il faut absolument réagir. Le premier plaisir, c'est le contact avec les animaux, mais c'est également la contrainte principale.

Selon vous, quelles sont les qualités requises pour exercer ce métier ?

La première est qu'il faut aimer les poissons et ne pas voir peur de l'eau. Il faut savoir nager. 

Ensuite, c’est important d’être habile de ses mains. Cela facilite la vie, que ce soit pour le bricolage, le travail d’aménagements, etc. C'est un atout évident. 

Enfin, je dirai la disponibilité. Il faut accepter d’être de garde certains week-ends ou pendant les fêtes.

Avec qui collaborez-vous ? 

Pour la partie gestion des poissons, nous travaillons surtout avec des Français, car ils ont dans leur cursus une formation avec un socle de compétences solides (BTS ou le bac pro dans le domaine aquacole).

Y a-t-il beaucoup de débouchés dans votre secteur?

En Wallonie, nous sommes les seuls dans notre domaine à aller au bout de la démarche et à faire du caviar. Le reste de l’activité de pisciculture est essentiellement l’élevage de truites. 3-4 personnes font cela comme activité principale. Pour les autres, c’est plutôt une activité complémentaire.

Je pense qu'il y a moyen de faire de bons produits locaux, mais le retour financier est assez faible. Si vous avez la chance d'aller au bout la démarche et donc d’avoir un produit fini, comme une truite fumée ou des filets, vous savez un peu gagner votre vie en allant sur des marchés locaux, par exemple. Si vous vous contentez d'alimenter les supermarchés, vous êtes alors en concurrence avec la mondialisation et vous n’allez jamais savoir vous en sortir. C’est une activité très chronophage. Il ne faut pas compter ses heures.

Quels conseils donneriez-vous à un jeune qui a envie de se lancer dans ce métier ?

Je lui dirais de se former. S’il est francophone, oser aller en France pour se rendre compte de ce qui se passe dans les écoles, mais aussi dans la profession. L’alimentation des poissons aquacoles se fait sur base de poissons non consommables par l’homme, qui sont pêchés et que l’on transforme en huile et en farine pour les réintégrer dans des granulés. Beaucoup de jeunes ont donc l'impression que l’aquaculture, c'est la solution pour sauver les océans. Ce sont souvent des rêveurs. En se confrontant au terrain, ils s’aperçoivent que ce n’est pas si tranché et qu’il y a des réalités économiques et de rentabilité.

Pourquoi avez-vous choisi ce métier ?

J'ai eu la chance de grandir en France et d’être en contact avec des scientifiques en Corse qui faisaient des recherches sur les poissons. C’était passionnant, mais il n’y avait pas de lien avec l’économie et donc avec le monde de l’argent. L’aquaculture, c’est une manière d’être au bord de la mer (même si à Mouscron je n’y suis pas !), auprès des poissons. Ce n’est pas comme en recherche fondamentale, où il n’y a pas toujours de financement. Nous faisons une activité rentable.

Avez-vous une anecdote à partager?

On m’a déjà demandé si en tant que pisciculteur, j’étais un éleveur de piscines !

 
SIEP.be, Service d'Information sur les Études et les Professions.