Mme Véronique Descamps,
Ingénieure qualité
Interview réalisée en septembre 2006 |
Quelle est votre formation ?
J'ai une formation d'ingénieur industriel orientation chimie. Quelque soit son orientation, un ingénieur industriel a des cours de mécanique, d'électricité, d'électronique, d'informatique, etc. C'est une formation polyvalente qui peut mener à un large éventail de professions à caractère tout aussi bien technique que scientifique, voire même administratif.
Quel est votre parcours professionnel ?
J'ai débuté ma carrière en 1993 dans le secteur pharmaceutique comme technicienne de laboratoire de contrôle qualité. Ensuite, j'ai évolué vers l'assurance qualité. Je m'occupais de certifier une nouvelle succursale de la société vis-à-vis des normes de qualité ISO. J'ai rejoint le Centre Spatial de Liège (CSL) en 2000 pour renforcer le département qualité et recertifier le centre vis-à-vis des normes de l'Agence Spatiale Européenne (ESA).
Qu'est-ce qui vous a motivé à travailler dans le secteur spatial ?
Dans un premier temps, je pense que c'est surtout la curiosité. Effectivement, qui, enfant, n'a pas rêvé de devenir astronaute, de voir une navette spatiale ou un satellite ? Qui ne s'est jamais posé de question sur la naissance de notre univers, la formation des étoiles, des galaxies, etc. ? Maintenant, du point de vue scientifique, c'est un secteur passionnant et on retire une certaine satisfaction à y travailler.
En quoi consiste votre travail ?
Je travaille au service assurance qualité (AQ) dont le rôle est de mettre en place une démarche qualité et de veiller à son application. Il faut s'assurer que les activités des différents départements du centre se fassent en conformité avec les normes qualité retenues, en l'occurrence les normes ESA, éditées par l'Agence Spatiale Européenne, et les normes ISO, éditées par l'Organisation Internationale de Normalisation.
Concrètement, pour la réalisation d'un projet, nous recevons de la part de nos clients des spécifications, c'est-à-dire un ensemble de règles et de méthodes à respecter. Dès la première phase du projet, l'assurance qualité va éditer ce que l'on appelle le PAP ou plan d'assurance produit.
Ce document va reprendre les informations essentielles ainsi que la manière dont nous allons travailler : les méthodes utilisées pour la sélection et le contrôle des matériaux, les procédés, les composants électroniques que nous allons intégrer, les méthodes utilisées pour la gestion et le contrôle de la documentation, des non-conformités et de la contamination de la propreté.
Le PAP va être soumis au chef de projet et au client. Après approbation, il sera applicable pendant toute la durée du projet.
Quel est le rôle de l'ESA ?
La Belgique ainsi que d'autres pays européens tels que la France, l'Espagne, l'Italie, etc. (soit, je pense 17 pays au total), représentent les états membres de l'ESA.
La mission de l'Agence Spatiale Européenne est d'imaginer, concevoir, élaborer et mener à bien le programme spatial européen en coordonnant les ressources financières et intellectuelles de ses membres. Ainsi, l'Europe peut entreprendre des programmes et des activités qui vont largement au-delà de ce que pourrait réaliser chaque pays à titre individuel.
Qu'est-ce qu'une norme ?
Une norme est un document qui fournit un cadre de référence avec des caractéristiques et des critères à appliquer. De nombreuses normes existent et concernent notamment : les matériaux, les processus, les procédés, les composants électroniques, la propreté, etc.
Prenons les normes sur la sélection et le contrôle des matériaux. On ne peut pas choisir n'importe quels matériaux pour construire un instrument spatial. Ils doivent pouvoir notamment résister à des transitions de température extrêmes. En outre, les optiques des satellites, en fonction de la mission, sont extrêmement sensibles à tout type de contamination qui pourrait altérer la surface réfléchissante des miroirs.
Les laboratoires de l'Agence Spatiale Européenne, mais aussi les Américains ont physiquement testés de nombreux matériaux pour déterminer leur taux de dégazage, c'est-à-dire la quantité de produits chimiques contaminants qui est extraite (dégazée) en soumettant le produit à différentes températures, au vide, etc.
Outre la contamination chimique qui altère la surface des miroirs, il existe aussi la contamination particulaire (poussières). Pourquoi s'intéresser à ce type de contaminants sur terre ? Simplement parce que l'espace n'est pas propre. Les poussières cosmiques sont de véritables tueuses de miroirs. Ces poussières microscopiques représentent de véritables rochers pour les miroirs et peuvent les impacter ou les griffer. Autant donc ne pas en ajouter sur terre. De plus, si le miroir est déjà contaminé sur terre, ses performances là-haut seront fortement diminuées.
L'assurance qualité veille à ce que tout soit bien documenté. Par exemple, dans le cas du miroir X, le spécialiste matériau/procédé sait qu'il a utilisé le bon matériau avec le bon procédé. C'est à nous de lui demander de fournir la documentation qui montre que sur le miroir X qui va partir sur l'instrument Y, il a utilisé la peinture Z.
Qu'entend-on par documentation ?
Toute activité doit être définie, documentée et tracée (soit sous forme d'un document, soit de manière électronique). Tout incident ultérieur doit pouvoir être tracé.
L'exemple le plus frappant de la nécessité absolue de cette traçabilité (et donc de la documentation) est l'explosion et la destruction d'une navette américaine, provoquée par la perte de tuiles céramiques. Si celles-ci se sont détachées, c'est que le matériau utilisé pour les fixer soit avait un défaut, soit n'était pas suffisamment performant, etc. La documentation permet de remonter à l'activité de fixation de ces tuiles et de démontrer ce qui n'a pas fonctionné.
Qu'est-ce qui vous plaît le plus dans votre travail ?
C'est un travail varié. Chaque projet, chaque instrument que l'on conçoit, réalise ou que l'on teste est différent. Les missions diffèrent également. La routine ne s'installe pas aussi facilement que dans un autre domaine ou un autre travail.
Quelles sont les qualités requises dans votre métier ?
Il faut de la rigueur et de l'organisation. Il est indispensable d'avoir une certaine force de caractère pour faire appliquer les procédures et les méthodes mises en œuvre. Il faut maîtriser les référentiels, que ce soit ISO ou ESA, pour savoir ce qu'il est possible de faire. Il faut un minimum de connaissances dans des domaines techniques tels que la mécanique, l'électronique, l'électricité et le thermique.
En outre, l'anglais est une langue indispensable dans notre domaine. En effet, cette langue est presque devenue universelle. De plus, elle est la seconde langue officielle et véhiculaire de l'Agence Spatiale Européenne. Lors de collaborations avec la NASA ou les agences spatiales indiennes, chinoises ou thaïlandaises par exemple, seul l'anglais permet de se faire comprendre.
Quelles sont les difficultés rencontrées ?
L'assurance qualité est généralement relativement mal perçue, mais ce n'est pas exclusif au spatial. Les scientifiques considèrent que les AQ sont des “policiers“ chargés de les contrôler, les ralentir ou les empêcher de faire ce qu'ils veulent. C'était du moins la situation dans les années passées.
Les choses s'améliorent et dans la plupart des cas, l'AQ devient un partenaire à part entière dans un projet (du moins pour ceux qui le réclament) car la quantité de normes et les restrictions dans l'usage des matériaux, par exemple, nécessitent une collaboration étroite. Mais comme partout, il y aura toujours des gens qui considèrent que l'AQ est une perte de temps, que ce n'est pas rentable, etc. Or, tout en n'étant pas rentable directement, l'AQ contribue bien évidemment à l'amélioration.
Est-ce que le métier a évolué ?
Je n’ai pas suffisamment d’expérience dans le secteur spatial pour parler de l’évolution du métier mais je peux parler de l’évolution des normes ISO. Les premières normes ont été éditées fin des années ’80. Elles ont été revues une première fois en 1994 et à nouveau revues en 2000.
Dans les grands points, l’ancienne version, qui demandait de nombreuses procédures, est assez différente de la version actuelle, qui est plus légère en documentation. Il y avait notamment dans l’ancienne version un slogan qui disait : “écrire ce que l’on fait et faire ce qui est écrit“. Il fallait des procédures et un mode opératoire pour tout, même pour changer un fusible sur une machine.
Maintenant, c’est différent dans le sens où l’on définit plutôt un niveau de qualification ou de compétence nécessaire pour tenir un poste, et on s’assure que les personnes tenant ce poste ont le niveau nécessaire. Ainsi, tout travail électrique devra être réalisé par une personne ayant travaillé X années dans un atelier électrique ou ayant une formation en électricité. Plus besoin d’écrire une procédure pour changer le fusible.
La nouvelle version est également plus axée sur le client. On le place au-dessus de la pyramide. On ne se base plus uniquement sur la qualité du produit fini, on va jusqu’à mesurer la satisfaction du client.
Quelle est l’importance de la formation continuée ?
Nous vivons dans un monde où l’on ne parle que de compétitivité et où les technologies évoluent assez rapidement. Quelle que soit notre formation initiale ou professionnelle, ou le secteur dans lequel nous travaillons, actualiser nos connaissances est nécessaire, sinon indispensable.
Pensez-vous que c’est une profession d’avenir ?
Tout projet s’inscrit dans une triptyque coût/délai/qualité qui doit être une préoccupation constante pour chaque société. Dans cette optique, l’assurance qualité a de l’avenir.
Quel conseil donneriez-vous aux personnes qui souhaite exercer ce métier ?
C’est un métier que l’on peut exercer dans n’importe quel secteur, que ce soit la construction automobile, le spatial, le pharmaceutique, car ils ont tous un département assurance qualité. Il faut donc un minimum de connaissances dans différents domaines et un bagage technique assez conséquent. On a souvent tendance à penser que certaines matières, certains cours ne nous serviront pas. C’est un tort ! Il ne faut pas négliger le peu que l’on peut apprendre.