Mme Véronique Vercheval, Photographe
Parlez-nous de votre parcours...
A 16 ans, j'ai entamé des cours du soir de photo, parallèlement à mes secondaires en sciences sociales. De 1979 à 1983, j'ai été photographe-reporter au magazine "Voyelles", où les sujets étaient avant tout liés à la condition des femmes en Belgique. Ensuite, de 1983 à 1999, j'ai travaillé pour les Archives de Wallonie. Nous constituions une mémoire photographique essentiellement liée aux entreprises, aux industries, aux mouvements sociaux. J'ai aussi réalisé de nombreux reportages et expositions. En 2001, j'ai publié, chez Luc Pire, un livre de photographie consacré à la vie des chauffeurs de poids lourds. L'année suivante, je me suis rendue pour la première fois en Palestine. Ce sont des reportages motivés par des intérêts personnels comme ceux réalisés en Haïti, au Rwanda ou au Congo.
Pourquoi avoir choisi le reportage ?
Au début de mes études, je voulais faire de la photographie "artistique", graphique, jouant sur la lumière. Puis, un jour, j'ai fait des photos d'une dame assise dans un bistrot. Et j'ai compris que c'était ça que je voulais faire : montrer des histoires, des photos d'humains, d'humanité. Pour moi, la photographie qui restera, est celle qui parle de l'être humain, celle qui se demande comment notre planète fonctionne, quel est son avenir, etc.
Est-ce la caractéristique principale de vos photos de reportage ?
Pour moi, la photo est un prolongement de ce que je suis dans la vie. A la fois comme femme, et comme militante. J'ai bien sûr été influencée par le courant humaniste, Cartier-Bresson surtout mais aussi Doisneau. Bresson a su comme personne avant lui "saisir" la vie au moment où elle passe.
Quelle est selon vous la fonction de la photo reportage ?
Une photo est toujours le témoin d'un temps et d'une époque. Pour moi, c'est une "arme de dénonciation". Par exemple, mes photos sur la Palestine veulent éclairer une réalité très rarement relatée dans la presse : le témoignage de la vie quotidienne sur les marchés, scènes de joies ou de jeunes à la plage. Bref, très loin des habituels clichés de bombes et terrorisme !
Vous êtes photographe de reportages, mais également enseignante. Ces activités sont certainement complémentaires ?
Il est vrai que je n'ai pas la fibre commerciale. En m'assurant un revenu fixe, l'enseignement me garantit une liberté dans mes choix professionnels. Mais au-delà, enseigner m'a apporté une ouverture plus large. Au contact des élèves vous êtes amené à vous intéresser à divers aspects du métier, y compris les plus éloignés de votre attrait personnel. Ce rôle pédagogique favorise en définitive la faculté d'analyse des points de vue de l'autre.
Comment voyez-vous votre rôle d'enseignante ?
C'est d'abord un rôle de guide qui aide les étudiants à avoir un regard critique. On les pousse à s'interroger sur la correspondance entre leur projet et les images sur pellicule. Actuellement, avec le numérique, la maîtrise technique est largement facilitée. Tout un chacun peut atteindre par lui-même un certain niveau. Par contre, on peut apprendre à développer le recul et l’œil critique.
Selon vous, les études préparent-elles bien au métier de photographe ?
Tout dépend de l'école et du métier photographique que l'on veut exercer. Certaines formations vont privilégier le reportage à la technique, d'autres l'inverse. Suite au bouleversement numérique actuel, nous devons, en tant que professeurs, revoir notre manière d'enseigner. Mais la base et la finalité de la photographie restent les mêmes. Les étudiants doivent faire preuve d'une très grande motivation, à l'heure actuelle. En effet, les travaux et les contacts établis pendant les études sont essentiels pour la future vie professionnelle. Toutes ces démarches proactives demandent beaucoup d'énergie et de dynamisme. Il y a lieu aussi de se rendre compte de la diversité des métiers de la photographie : photographe-reporter, photographe de mariage, photographe d'architecture, etc. Ce ne sont pas les mêmes métiers.
Comment une formation prend-elle en compte cette diversité ?
Il y a des écoles de vulgarisation où l'on pousse l'étudiant au touche-à-tout, d'autres vont davantage développer l'aspect technique ou d'autres encore la partie artistique et créative. "Je veux faire de la photo" ne veut pas dire grand chose. Tout dépend de la représentation que l'on a du photographe. Celle du "photographe de village" est encore présente dans les esprits. Pour savoir quel professionnel on veut devenir, il faut se former l’œil et l'esprit. S'ouvrir au monde. Il faut en somme expérimenter la profession.
Quelles sont les qualités requises ?
Il faut du caractère pour percer dans la profession. Quand le matériel était très spécifique, un mauvais photographe pouvait gagner sa vie. Aujourd'hui, avec les changements technologiques, on ne sait pas très bien comment le métier va évoluer. On peut juste dire qu'un œil formé, un esprit d'ouverture au monde et une volonté bien trempée sont des atouts importants. Pour former cet œil et cet esprit, beaucoup de travail est bien sûr nécessaire.
Quelles sont les difficultés du métier ?
La première difficulté est de rentabiliser le métier si on veut en vivre. A l'heure actuelle, il est primordial de rencontrer des gens du métier. Être proactif, offrir son travail demande beaucoup d'énergie et de générosité. Il est aussi nécessaire de surveiller ses images. Question simplement de se faire respecter. Certaines images sont parfois recadrées ou scannées sans l'autorisation de l'auteur. Il est, par ailleurs, indispensable d'être attentif à ce que son nom figure d'une manière ou d'une autre quand un cliché est diffusé. Enfin, Internet pose de gros problèmes au sujet des droits d'auteur des photos qui circulent sur le web. Ainsi, comment un photographe belge peut-il savoir que son travail a été reproduit dans une revue japonaise locale ?
Quels sont les avantages du métier ?
C'est un métier merveilleux mais il faut assumer. Il permet de développer sa créativité avec un avantage par rapport aux autres métiers créatifs : la production peut être monnayée. On travaille souvent sur commande, contrairement aux peintres ou aux sculpteurs. De plus, il permet des rencontres et des discussions inattendues : notre appareil photo nous emmène dans des lieux où l'on n'aurait sans doute pas pu aller. Ce métier est une véritable ouverture au monde. En ce qui me concerne, ce fût le monde du théâtre, de l'enseignement, des entreprises et celui des voyages et des rencontres à l'étranger. Pour le reste, tout dépend du secteur dans lequel on a choisi d'exercer.
Quels conseils donneriez-vous à un futur photographe-reporter ?
Il est important d'envisager les études sous un angle directement professionnel, de travailler énormément et d'établir des contacts. Au départ, les travaux ne rapportent rien mais ils sont indispensables pour se créer une identité, pour développer un regard original, voire surprendre les gens. Si on est indifférent à ce que l'on fait, on ne le fait pas bien. D'ailleurs, les grands photographes de reportage ont toujours été en empathie avec leur sujet. Et ils ont eu parfois le courage de se mettre en danger.