Sébastien Doutreloup,
Climatologue à l’Université de Liège

Interview réalisée en avril 2022

Qu’est-ce que la climatologie ?

C’est l’étude de l’atmosphère et de toute une série de choses qui sont en lien avec celle-ci, sur le long terme. Quant à la météorologie, c’est l’étude de l’atmosphère mais plutôt sur le court terme : on va étudier les processus physiques qui vont déclencher des pluies, des orages par exemple.

La météorologie constitue l’étude du temps au jour le jour et parfois quelques heures en avant ou en arrière alors que la climatologie va reprendre toutes les mesures quotidiennes du temps et en faire des statistiques. On va regarder l’évolution du climat, de l’état de l’atmosphère sur le long terme. Il y a différentes parties associées à la climatologie, notamment ici à l’ULiège où l’on est spécialisé - pas moi mais mes collègues - dans l’étude des calottes polaires : la température qui se réchauffe sur le long terme fait fondre les calottes. Moi, par exemple, je suis plus spécialisé sur les changements climatiques en Europe et en Belgique, comme récemment avec les inondations. 

La question du climatologue c’est « Va-t-on avoir plus régulièrement ce type d’événements (à savoir des pluies extrêmes) avec le réchauffement climatique ou plutôt en fonction du scénario prévu pour l’évolution du climat dans les années à venir ? ». Mon sujet de postdoctorat, c’est plutôt : « Est-ce que la culture de la vigne pour la production de vin sera plus favorable en Belgique ou pas à cause du réchauffement climatique ? ». J’ai voulu prendre un sujet qui est un peu plus fun parce qu’on travaille toujours sur des points négatifs, mais rarement sur des points positifs. J’étudie toujours le climat mais avec un but appliqué derrière : la vigne, en l’occurrence. J’ai dû me perfectionner un peu dans la biologie de la vigne : quelles sont les interactions biologiques de la vigne avec l’atmosphère ? Cela concerne toujours l’évolution des conditions atmosphériques mais on cherche un but appliqué à cela. Il y a plein d’autres buts, je cite ceux qui m’entourent, mais bref, un chercheur en climatologie va vraiment se concentrer sur l’étude de l’atmosphère sur le long terme lié généralement à une problématique associée. 

Quel est votre parcours académique et professionnel ? 

Je suis passé par beaucoup de stades.       
 J’ai d’abord fait un bachelier en Géographie qui était la porte d’entrée directe pour le master en Climatologie que j’ai suivi ensuite. En fait, il faut savoir qu’en sortant de primaire, je voulais faire la météorologie. J’étais allé visiter l’aéroport de Bierset puis je suis rentré chez mes parents et j’ai dit : « C’est ça que je veux faire ! Je veux être météorologue pour les avions ! ». J’ai fait tout mon parcours d’études secondaires en sciences et mathématiques, puis le parcours universitaire déjà cité et en sortant de master, ils n’engageaient pas à ce moment-là. Heureusement, mon professeur de l’époque m’a dit : « Si tu veux, j’ai six mois de contrat de recherche où tu devras élaborer un modèle pour prévoir la production des énergies éoliennes ». C’était un modèle qui prévoyait la vitesse du vent à 100 mètres, là où se situait le rotor de l’éolienne, et on traduisait cette vitesse de vent en production électrique. J’ai donc commencé ma vie professionnelle dans la recherche scientifique et je ne l’ai plus quittée tellement ça me passionne.

Par après, mon professeur m’a suggéré l’idée de faire un doctorat. Je l’ai initié mais je n’ai obtenu aucune bourse pour travailler à 100% dessus, donc j’ai continué de travailler via des contrats en climatologie appliquée qui me permettaient par la même occasion d’avancer dans mes recherches de doctorat. Ensuite, les projets de climatologie appliquée se sont succédé. J’ai donc commencé avec les éoliennes, puis le photovoltaïque où c’était le même but : non pas de prévoir le vent cette fois-ci, mais le soleil pour le traduire en énergie électrique. J’ai aussi travaillé sur les réseaux électriques car il faut savoir que les grandes lignes électriques principales, en fait, peuvent faire passer plus ou moins l’électricité mais elles peuvent en faire passer davantage quand il y a du vent, notamment parce que le vent refroidit la ligne ; la ligne ne chauffe pas trop en température, donc on sait faire passer plus d’électrons dedans. J’ai donc fait des prévisions de vent pour les lignes électriques afin de savoir quelle quantité d’électrons faire passer dedans. 

Un contrat, un peu hors du commun, m’a aussi permis de travailler quelques mois sur la reconstitution d’une cartographie des températures de surface de la Lune. C’était une mission européenne qui avait pour but de poser un module sur la Lune. Il fallait que celui-ci ne se pose pas à des températures extrêmement froides, ni extrêmement chaudes. On devait donc faire une cartographie pour savoir où était l’endroit le plus propice pour déposer le module. 

Ensuite, je suis parti dans le secteur du bâtiment pour effectuer des prévisions météo pour les immeubles qui ont des panneaux photovoltaïques sur le toit. Cela permettait de déterminer, lorsqu’on prévoyait du soleil, l’heure à laquelle il était le plus intéressant de faire tourner son lave-vaisselle, par exemple. Cela permet d’intégrer un peu mieux les énergies renouvelables dans le réseau actuel. Maintenant, je travaille dans les bâtiments pour savoir si les canicules vont se produire plus régulièrement et si oui, avec quelle hausse de température. Ici, je donne plutôt ces informations à des ingénieurs qui vont travailler sur le design des futurs systèmes de climatisation des pièces. On fait des simulations de la consommation de l’énergie pour le futur et en fonction de l’évolution du climat. 

Concernant la culture des vignes, de nombreuses questions se posent également. Dans quelles conditions climatiques serons-nous en Belgique en 2050, 2100 ? Et si nous avons vraiment beaucoup plus chaud ou froid, quels cépages devrons-nous mettre ? J’ai une étude en cours de relecture et qui relève qu’en Belgique nous avons 30 ans de retard par rapport à la Bourgogne. Il y a toujours une latence de 5-10-15 ans en fonction du cépage avant qu’une vigne devienne rentable. Cela aide donc les viticulteurs belges à déterminer quels cépages planter à quel moment. 

Il faut peut-être préciser ici que chaque étudiant qui souhaite faire le master en Climatologie pourra provenir d’horizons différents mais la voie royale pour la climatologie reste quand même le bachelier en Géographie. Ensuite, une fois dans le monde professionnel, chaque climatologue aura un parcours différent, il n’y a pas de parcours type. 

Une journée type pour vous, c’est quoi ?

Je suis chercheur à l’Université, assistant aussi donc je donne des cours et des travaux pratiques. Si on part sur le principe d’un chercheur qui fait une thèse de doctorat en climatologie, ou un chercheur en climatologie qui ne s’occupe que de ses recherches, en gros, à l’université, on a l’horaire qu’on veut. Ça dépend principalement du chef, certains aiment bien imposer un rythme mais mes professeurs ont toujours privilégié la confiance sur ce point où notre seule contrainte est de respecter les deadlines. Par exemple, j’ai commencé ce matin par une visioconférence, je suis arrivé à 10h30-11h, j’ai eu une réunion à 11h mais j’ai une vie un peu dissolue : je gère 36 trucs en même temps donc je n’ai pas de journée type. Un doctorant en climatologie va arriver plus ou moins à 10h puis il repart quand il veut. On n’est pas du tout lié à un rythme. Si on a envie de faire du télétravail, on peut le faire. Du coup, le rythme est beaucoup plus régulier : j’arrive quand je veux et je repars quand je veux mais on a des deadlines à respecter, le travail doit être fait. Je ne suis pas quelqu’un du matin, je vais du coup faire tout ce qui est répétitif, le secrétariat, répondre aux mails, etc. Je vais plutôt faire le travail intellectuel l’après-midi et le soir, ce sera plutôt rédiger des rapports et des articles. Je décale complètement mes journées, mais chacun fait comme il veut. 

Vous mentionniez plusieurs projets (les lignes électriques, les vignes, etc.) : quels sont les outils qu’un climatologue va manipuler en travaillant sur ceux-ci ? 

L’outil principal du climatologue, ici à Liège, c’est la modélisation. Nous sommes spécialisés en modélisation climatique grâce au modèle MAR, Modèle Atmosphérique Régional. Il va nous aider à faire plein de choses : aussi bien dans le passé que dans le présent ou pour des prévisions futures. C’est notre outil universel. Donc les compétences qu’on donne aux étudiants dans le master, c’est apprendre à programmer ; parce qu’un modèle, c’est quoi ? C’est un programme informatique où il faut encoder toute une série de paramètres, de choses qu’on va aller chercher. En fonction des résultats qu’on veut, il y a toute une série de choses à paramétrer. Puis envoyer tout ça vers des supercalculateurs parce qu’un modèle, ce sont des millions et des millions de calculs qui doivent être faits. Ce n’est pas possible de réaliser ces calculs avec un ordinateur de bureau, cela prendrait beaucoup trop de temps. 

Vous avez mentionné les intempéries de juillet, est-ce que vous êtes régulièrement amené à intervenir dans les médias ou à être consulté comme expert ? Quel est votre rôle lorsque cela arrive ?

Cela fait partie des mille choses que j’ai à faire quotidiennement. En outre, depuis le départ à la retraite de plusieurs climatologues, les médias tombent principalement sur mon chef et moi au sein du laboratoire car nous n’avons pas trop peur de parler aux médias. Il faut s’habituer parce que c’est stressant de parler à la caméra. Avant, je stressais, mais en faisant régulièrement des interviews depuis dix ans, à un moment donné, on s’y fait. 

On est également appelé dans des débats : on apporte une caution d’informations scientifiques et on y intervient comme experts du climat. On se retrouve face à des professionnels aussi : on intervient, par exemple, par rapport à des gestionnaires électriques ou on nous demande des services pour des cabinets de la Région wallonne notamment. J’ai été repris comme expert dans le plan « Get Up Wallonia ! » : le plan de relance écologique, économique et sociale de la Wallonie. Il y avait une soixantaine d’experts dans tous les domaines variés et moi j’intervenais dans la partie climatologie. Suite aux inondations catastrophiques de juillet 2021, un master plan a vu le jour pour redéfinir toute la vallée de la Vesdre, comment la gérer dans les court, moyen et long termes ? De nouveau on est repris comme expert pour fournir toute une série de données sur l’évolution des conditions climatiques de la Vesdre. 

Par rapport aux intempéries de juillet, est-ce que l’on doit s’attendre à ce que cela se reproduise régulièrement ?

C’est la grande question que l’on se pose. La réponse dépend du scénario d’émissions de gaz à effet de serre sur lequel on va se trouver : un réchauffement élevé, intermédiaire ou faible ? Un réchauffement faible me parait de plus en plus improbable, il faudrait parvenir à zéro émission de gaz à effet de serre dans les deux prochaines années, ce n’est pas encore possible. On est soit dans un réchauffement intermédiaire soit élevé. Plus on est sur un scénario élevé, plus ce type d’événement va se reproduire dans le futur proche avec des précipitations d’intensité similaire à ce qu’on a eu en juillet 2021. 

Est-ce qu’un climatologue est amené à se déplacer ?

Ça dépend, comme tout est automatisé, on fait beaucoup de travail depuis le labo. Ce qui est avantageux. Par exemple, je me suis déplacé pendant les jours d’inondations parce que j’étais en permanence avec les médias. Ils voulaient un climatologue sous la main pour décrire ce qu’il se passait. Et comme en plus je suis issu de la géographie, j’ai aussi des notions d’hydrologie, d’aménagement de territoire, etc. Cela me permettait d’être vraiment expert généraliste sur ce problème d’inondations et d’aller voir tous les dégâts au moment où ils se produisaient.    
 Pendant les jours d’inondations, j’ai donc plutôt été référent scientifique pour les journalistes. Je consultais les données sur mon smartphone et après, je les analysais. C’est important de remettre l’événement dans son contexte, d’analyser les causes, les différents facteurs qui sont intervenus dans cette inondation. Cela prend du temps. D’ailleurs, ici, neuf mois après, on n’a toujours pas les conclusions définitives. Il reste encore toute une série de questions à éclaircir. 

Quelles qualités faut-il avoir pour être climatologue ? 

Je dis toujours à mes étudiants - ça marche pour la climatologie et pour toutes les sciences - : qu’il faut rester curieux. Si tu n’es pas curieux, tu ne saurais pas faire de la recherche scientifique. 

Il faut savoir gérer son temps aussi. Maintenant, c’est un cas particulier parce que je me suis investi volontairement dans plein de trucs. Un climatologue qui ne fait que sa recherche n’aura pas nécessairement de pression. Personnellement, je ne suis pas trop dans l’optique de faire un seul truc, j’ai besoin d’être sous pression pour avancer, mais ça dépend de chaque personnalité.  

Vous avez mentionné qu’à votre sortie d’études, il n’y avait plus de place. Est-ce qu’on peut espérer trouver du travail en Belgique ?

Cela dépend de ce que l’on veut faire. Dans la géographie, il y a trois grandes options : la géomatique, la géographie (plutôt du côté de l’urbanisme, de l’aménagement territoire) et la géographie physique (climatologie, hydrologie, géomorphologie). Il y a aussi la filière pour être professeur de géographie dans l’enseignement secondaire. 

Pour la géomatique, il y a un manque cruel de main-d’œuvre. Tous les deux jours, il y a une offre d’emploi qui tombe pour un géomaticien. Il manque clairement de diplômés. 

Pour tout ce qui est de l’aménagement du territoire, de l’urbanisme : il y a aussi beaucoup d’offres d’emploi qui sont disponibles en Belgique, au moins une offre par semaine. Le nombre d’étudiants n’est pas suffisant pour répondre à la forte demande.

Pour la géophysique, c’est un peu plus compliqué, notamment la climatologie, parce qu’il n’y a pas beaucoup d’offres d’emploi en Belgique. En météorologie, c’est peut-être une ou deux offres qui tombent par an. En même temps, il n’y a que cinq diplômés par an donc ce n’est pas très grave. Par contre, dans la recherche scientifique, en climatologie, on en demande tout le temps : pour faire une thèse de doctorat ou de la recherche. Cependant, ce n’est pas toujours en Belgique. Il faut aimer voyager et accepter d’aller à l’étranger, en Europe ou ailleurs. En Belgique, il n’y a souvent qu’une ou deux places par université pour faire une thèse de doctorat et évidemment, on prend généralement nos étudiants. 

Il y a aussi tous les climatologues qui travaillent ailleurs qu’à l’université. J’ai un ami qui travaille en Suisse pour des réassurances c’est-à-dire des assurances qui assurent les assureurs. Il est chargé d’évaluer le risque agronomique avec le réchauffement climatique. On sait que sur tout le bassin méditerranéen, une partie de la France et d’autres pays, il y a un risque accru agricole : il y aura moins d’eau en été et donc c’est le moment où la végétation a besoin d’eau justement pour grossir. Il y a un risque que les compagnies de réassurances doivent anticiper car on sait que les compagnies d’assurance vont avoir des soucis à assurer les agriculteurs. J’en ai un autre qui travaille au service de la météo d’aéroport comme je voulais le faire initialement. Il y en a un à l’armée aussi. Je crois que le dernier gros service de météorologie en Belgique est à l’armée. Parce que l’armée a toujours besoin d’un service qui n’est pas seulement automatisé. Pourquoi ? Car les avions de chasse, par exemple, ne peuvent pas faire de trainées de condensation. Sinon, dans un pays en guerre, ils sont facilement repérables par des missiles au sol. Donc, on doit définir dans quelle tranche d’altitude ils doivent voler pour ne pas voler dans une tranche d’altitude humide et laisser une trace derrière eux. Il y en a d’autres qui travaillent dans des compagnies : si on veut établir un parc éolien, il faut une étude d’incidence sur l’environnement, sur la faune, la flore mais aussi les conditions de vent : « Est-ce que ça vaut la peine de mettre un parc éolien à tel endroit ? Est-ce que ce parc va rester rentable à l’avenir ? ». Il n’y a pas que des climatologues à l’université. Il y a aussi les agroclimatologues, qui travaillent avec les agriculteurs. Par exemple, il faut déterminer quel est le moment le plus adéquat pour répandre de l’engrais car si c’est fait au mauvais moment et que la plante ne l’absorbe pas avant que la pluie nettoie le sol, l’engrais va rejeter des gaz à effet de serre et l’agriculteur aura payé un produit cher pour rien. 

Comment expliquez-vous le manque d’attrait pour le cours de géographie en secondaire voire les études supérieures dans ce domaine ? 

La géographie en secondaire, c’est une ou deux heures par semaine, ce n’est pas super valorisant ni pour les étudiants ni pour le prof. Et, surtout, une explication est que, comme il y a de plus en plus de non-géographes qui donnent cours de géographie, je pense que pour la plupart ils ne donnent pas de la « vraie géographie ». Ils donnent la géo qui est dans leur tête mais pas du tout celle qui est enseignée ici à l’Université. Et tout ça, ça déforce la géo en tant que telle et c’est pour ça aussi qu’on n’a pas forcément beaucoup d’étudiants parce qu’elle est mal enseignée ou enseignée de manière inadéquate. On se retrouve donc face à un cercle vicieux : moins on a de géographes, moins on a de profs de géo, moins les étudiants ont un attrait pour la géo et moins on forme des profs de géo, et donc on tourne en rond. On fait un travail énorme pour essayer de faire passer le message que la géographie n’est pas juste apprendre les rivières et les capitales. La question fondamentale de la géographie c’est « Pourquoi ici et pas ailleurs ? ». Dans tous les domaines de géographie, c’est cette question qui domine. La géographie permet de faire le lien entre une problématique et son espace et ça, on ne l’apprend pas du tout en secondaire, et c’est vraiment dommage. Si la géo était bien enseignée et surtout valorisée en secondaire, alors on aurait beaucoup plus d’étudiants. C’est pour cela qu’on organise chaque année ou presque des géodatings (https://www.geodating.uliege.be/) pour faire rencontrer des étudiants du secondaire avec de vrais professionnels de la géographie afin de faire passer le message que la géographie est beaucoup plus diversifiée que ce qu’on peut en apprendre dans l’enseignement secondaire et qu’en plus : on manque cruellement de diplômés pour pourvoir à toutes les offres d’emploi.

 
SIEP.be, Service d'Information sur les Études et les Professions.