Le secteur du livre scolaire belge en pleine mutation

Le paysage de l'édition scolaire en Belgique traverse actuellement une période de transformation profonde, influencée par plusieurs facteurs clés tels que le Pacte d'excellence, l'essor du numérique, et la diversité du système éducatif fragmenté entre différentes communautés et réseaux.

Chaque année, des dizaines de milliers de manuels sont achetés, loués ou prêtés pour accompagner les élèves et enseignants tout au long de leur parcours scolaire, même si aucune statistique précise n'est disponible pour évaluer l'étendue de ce marché. Selon les observations des acteurs du secteur, les manuels scolaires regagnent en popularité dans les écoles malgré leur utilisation non obligatoire.

La Belgique présente un marché unique et complexe pour l'édition scolaire, divisé entre communautés linguistiques francophones et néerlandophones et de nombreux réseaux éducatifs. Cette diversité complique la tâche des éditeurs qui doivent souvent développer des manuels en plusieurs versions pour répondre aux référentiels et programmes spécifiques de chaque région. Vicky Adriaensen, CEO de Van In¹, illustre cette complexité en soulignant la nécessité de créer des manuels adaptés à ces divers cadres éducatifs.

Le marché francophone, avec un chiffre d'affaires estimé à moins de 25 millions d'euros en 2023, reste nettement en retrait par rapport à son homologue flamand, dont le chiffre d'affaires atteint environ 110 millions d'euros. Benoît Dubois, directeur général de l’Association des éditeurs francophones belges (Adeb), attribue cette différence à un manque de soutien politique et pédagogique pour les manuels scolaires du côté francophone. De plus, des obstacles tels que la gratuité de l'enseignement et le recours massif aux photocopies par les enseignants freinent le développement du secteur. Les enseignants, souvent contraints par des budgets limités, optent pour des copies de manuels plutôt que pour l'achat de nouvelles éditions, une pratique qui érode les droits d'auteur et les revenus des éditeurs.

Domination de deux grands groupes et impact de la concentration

Le secteur de l'édition scolaire belge est désormais dominé par deux principaux acteurs : Van In, filiale du groupe finlandais Sanoma, et Plantyn, filiale du groupe néerlandais Infinitas Learning. Ces deux entreprises contrôlent environ 85 % du marché, une situation qui résulte des investissements significatifs nécessaires pour le développement de contenu éducatif. Bien que cette concentration permette des économies d'échelle et une certaine efficacité, elle suscite des préoccupations concernant la diversité et la concurrence dans le secteur. Certains acteurs craignent une homogénéisation des contenus pédagogiques et une perte de diversité éditoriale, même si Benoît Dubois estime que la présence de deux éditeurs principaux offre encore des choix pédagogiques aux enseignants.

La transition numérique : une révolution en marche

L'intégration croissante du numérique dans l'enseignement représente un autre défi majeur pour l'édition scolaire belge. Les outils numériques, tels que les plateformes interactives et les QR codes intégrés aux manuels papier, gagnent en popularité, offrant des possibilités d'apprentissage interactives et adaptées aux besoins des élèves. Vicky Adriaensen souligne l'importance de maintenir un équilibre entre le numérique et le papier, compte tenu des études montrant que la rétention des informations est souvent meilleure avec le support papier.

Cependant, cette transition nécessite des investissements substantiels, non seulement en termes de technologie mais aussi pour garantir que les écoles et les élèves disposent de l'équipement nécessaire. Le modèle économique actuel, basé principalement sur la vente de manuels papier, doit évoluer pour soutenir le développement et l'entretien des plateformes numériques.

Le Pacte d'excellence : une opportunité stratégique

Les réformes éducatives en cours, en particulier le Pacte d'excellence, offrent aux éditeurs scolaires une opportunité de renouveler et d'enrichir leurs offres. En révisant en profondeur les programmes d'études, ces réformes nécessitent la création de nouveaux manuels conformes aux objectifs éducatifs actualisés. Pour les éditeurs, il s'agit d'une occasion unique de contribuer de manière significative à l'évolution du système éducatif belge tout en stimulant leur propre développement commercial.

Malgré les défis que pose cette transformation, le secteur de l'édition scolaire belge semble bien déterminé à saisir ces opportunités pour continuer à jouer un rôle essentiel dans l'éducation des jeunes générations.