Mme Anne Thoul,
Astrophysicienne et chercheuse F.R.S.- F.N.R.S.
Interview réalisée en février 2017 |
Qu’est-ce que l’astrophysique ? Si vous deviez résumer la discipline en quelques mots ou quelques phrases …
L’astrophysique utilise la physique pour comprendre l’univers qui nous entoure. Cela va de la compréhension des planètes, des étoiles, des galaxies (qui sont des amas d’étoiles), jusqu’à la formation de notre univers. Le «astro» d’astrophysique renvoie aux astres, c’est donc de la physique appliquée à tout ce qui se trouve dans l’univers autour de nous.
Astrophysique et astronomie : quelles sont les différences et les similitudes entre les deux ?
Selon moi, l’astronomie consiste plutôt à observer les astres, mais aussi à les nommer, leur donner des noms. L’astrophysique est l’étude de la physique des astres, elle essaye de comprendre ce que l’astronomie observe. Un astronome observe le ciel au moyen d’un télescope, qu’il soit amateur ou professionnel. L’astrophysicien étudie la physique qui régit l’évolution des astres. Au Chili par exemple, il y a des astronomes qui s’occupent de développer des instruments d’observation et de réaliser des tests. En Belgique, au niveau professionnel, on retrouve plutôt des astrophysiciens. Dans certains cas, la limite entre les deux est assez mince, certains chercheurs astrophysiciens pratiquent les deux disciplines, comme l’équipe qui travaille sur TRAPPIST[1].
Quel est le rôle d’un astrophysicien/d’une astrophysicienne ?
On fait ce métier parce qu’on l’aime, par passion pour la physique et parce qu’on est curieux, on a envie de comprendre ce qui se passe autour de nous, d’où l'on vient, comment s’est formé l’univers dans lequel on vit. C’est presque de la philosophie… L’astrophysique est une science fondamentale, elle n’a pas d’application directe dans la vie de tous les jours. Cependant, le développement des télescopes et des missions spatiales permet de pousser la technologie dans ses recoins et suscite indirectement d’autres progrès technologiques. Le rôle de l’astrophysicien est de faire évoluer les connaissances mais aussi de transmettre ces connaissances, ainsi que la passion et la curiosité, l’envie de comprendre plus et mieux.
Quel est votre parcours scolaire et professionnel ?
J’ai effectué mes études secondaires dans un lycée français, ayant suivi mes parents à l’étranger. J’adorais les mathématiques et la physique, c’étaient mes deux matières favorites. Quand s’est posée la question de mes études supérieures, mon premier choix s’est porté vers les sciences mathématiques. J’étais très douée pour cette matière qui ne nécessitait pas de mémoire mais de la logique. Mes parents m’en ont découragée car ils trouvaient les débouchés trop limités. Ils auraient aimé que je fasse des études de médecine, mais cela ne me convenait pas du tout : plus de biologie, moins de mathématiques, trop d’étude «par cœur», moins de réflexion. J’ai choisi de faire des études d’ingénieure, contre l’avis de mes parents qui disaient que ce n’était pas un métier pour femme. Mon père était ingénieur chimiste et il me le déconseillait mais j’ai tenu bon car je voulais étudier les mathématiques et c’est dans ces études qu’il y en a le plus (en dehors des sciences mathématiques). J’ai fait mes études à l’ULB, où j’ai choisi l’option la plus théorique : ingénieure physicienne.
À la fin de mes études, le secteur industriel ne m’attirait pas trop. Plusieurs étudiants de mon année partaient aux États-Unis pour réaliser des doctorats. J’ai postulé pour partir moi aussi. Je n’ai pas obtenu de bourse et je suis allée me présenter directement sur place. Je voulais faire de l’astrophysique mais j’ai été embauchée par un professeur pour faire de la recherche dans le domaine de la fusion nucléaire. Le sujet m’intéressait aussi car je suis persuadée que c’est une des voies du futur pour remplacer nos énergies fossiles. C’est une énergie assez propre même si elle n’est pas aussi propre que les énergies renouvelables. C’était à la fois un beau sujet de recherche et un beau sujet sociétal, je me sentais utile pour la société. J’ai donc fait mon doctorat aux États-Unis sur la fusion nucléaire. À la fin de celui-ci en 1992, le projet ITER[2] a été plus ou moins mis de côté, les fonds ayant été coupés. Les opportunités professionnelles qui s’offraient à moi dans la physique nucléaire étaient militaires et cela ne m’intéressait pas. Pendant mon doctorat à Cornell, j’avais suivi une « major » (majeure) en physique nucléaire et une « minor » (mineure) en astrophysique. J’ai postulé pour des postdoctorats en astrophysique. J’ai été engagée par John Bahcall à l’Institute for Advanced Study à Princeton pour étudier le plasma au centre du soleil. J’avais étudié la fusion nucléaire, qui concerne les plasmas (qui sont les gaz ionisés, le quatrième état de la matière après les solides, les liquides et les gaz). La plus grande majorité du centre d’une étoile est constitué de plasma. Ma formation convenait bien pour ce projet qui consistait à améliorer les connaissances en physique au centre du soleil. J’étais entourée d’astrophysiciens qui se penchaient plutôt sur l’étude des galaxies et j’en ai profité pour me mettre au courant de ce domaine de recherche et j’ai aussi rédigé des articles sur la formation des galaxies et des premiers objets dans l’univers. J’aime apprendre de nouvelles choses continuellement. Après trois années à Princeton, j’ai fait une année de postdoctorat à Harvard, où j’ai continué mon travail sur la formation des premiers objets dans l’univers. D’un point de vue plus personnel et familial, j’ai eu mes deux premiers enfants à l’époque où je travaillais à Princeton et la quasi-totalité de mon salaire partait dans les frais de crèche des enfants. Aux États-Unis, les crèches sont beaucoup plus chères qu’ici et les salaires des contrats de postdoctorat sont plus faibles qu’en Belgique. Je ne pouvais pas m’arrêter de travailler quelques années car il est indispensable de rester dans le bain, tout va très vite en sciences (publications, recherches). C’était une période assez difficile au niveau personnel.
Pour des raisons personnelles, j'ai souhaité rentrer en Belgique. J’ai été engagée à l’Université de Liège sur un PAI (Pôles d’Attraction Interuniversitaires qui ont aujourd’hui disparu) pour travailler sur les amas globulaires, des amas de plusieurs millions d’étoiles qui ont été formées au même moment. Le sujet est très intéressant car toutes les étoiles au sein d’un amas ont le même âge et la même composition chimique initiale puisque formée à partir d’un même nuage. J’ai postulé comme chercheuse qualifiée au FNRS[3] et ai obtenu le poste en 1998. Peu de temps après, mon chef de service de l’époque a été contacté par les Français qui travaillaient sur la mission spatiale CoRoT[4]. Cette mission poursuivait deux objectifs : l’observation des exoplanètes[5] et l’observation des pulsations des étoiles. Ils cherchaient des partenaires européens et nous ont contactés dans ce but. Cela m’intéressait car cela se rapprochait des recherches que j’avais effectuées à Princeton sur le soleil. Depuis cette période, je travaille sur l’évolution stellaire et plus spécifiquement sur l’astérosismologie.
Tout au long de votre parcours, vous êtes revenue à plusieurs reprises vers l’astrophysique, même quand vous travailliez sur d’autres sujets de recherches. D’où est venue cette passion pour les astres et les étoiles ?
Quand j’étais petite, à l’époque de l’école primaire, mon papa m’emmenait souvent dans le jardin pour me montrer les étoiles. Il me racontait aussi comment les araignées tissaient leur toile, par exemple. Il m’expliquait plein de choses par rapport à ce que je voyais autour de moi. Il a stimulé ma curiosité par rapport au monde qui m’entoure. Mon amour des maths et de la physique a fait le reste. L’astrophysique étant le domaine où il y en a le plus. Certains astrophysiciens sont astronomes amateurs depuis leur jeunesse mais ce n’est pas mon cas, j’ai attendu 2011 pour regarder dans un télescope pour la première fois. J’étais plus axée sur la théorie et je voulais utiliser les mathématiques et la physique pour comprendre quelque chose de magique. J’ai toujours eu une préférence pour la physique théorique plutôt que les expériences et la physique appliquée, malgré mes études d’ingénieure. Enfin, le hasard a bien fait les choses car ce sont les opportunités qu’on m’a proposées qui m’ont aussi guidée vers ce domaine. Maintenant, dès que j’ai la possibilité d’observer les étoiles, je le fais : je suis allée deux fois au Chili, une fois à La Palma (Iles Canaries) pour le télescope Mercator (télescope belge flamand) et je pars prochainement en Arizona, notamment pour faire de l’observation.
Votre spécialité est l’astérosismologie, pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet et nous présenter l’objet de vos recherches ?
L’astérosismologie est l’étude des pulsations des étoiles. Les étoiles sont comme des instruments de musique. Quand on fait vibrer les cordes d’une guitare, elles émettent des sons qui dépendent de la matière qui compose la guitare et de la forme de l’instrument. Les étoiles vibrent aussi et l’étude de leurs modes de vibrations permet d’avoir une information sur ce qui se passe à l’intérieur de l’étoile. Cette méthode est la seule qui permet d’obtenir ces informations car une étoile est opaque, on ne peut voir que sa surface. Et l'on ne peut pas aller y placer des sondes comme on le fait sur Terre. On observe les pulsations et on les compare avec des modèles numériques qui reprennent toutes les connaissances actuelles de la physique des étoiles. On reproduit les pulsations observées dans les modèles numériques et l'on obtient des renseignements sur ce qui se passe au centre de l’étoile en comparant ce que les modèles prédisent et ce qu’on observe, ce qui nous permet ensuite de corriger le modèle physique de l’intérieur des étoiles. En écoutant la « musique » d’une étoile, on obtient des renseignements sur sa masse, son âge, son état d’évolution, etc. C’est l’outil le plus précis et le plus puissant actuellement pour étudier les étoiles.
Concrètement, quels outils et/expérimentations utilisez-vous dans le cadre de vos recherches ?
Mon outil c’est l’ordinateur, je fais de la programmation et du calcul, je développe des outils numériques. Quand j’étais aux États-Unis, j’ai écrit un code numérique qui permettait de simuler la formation d’une galaxie. À Princeton, j’ai créé une routine qui calcule la diffusion des éléments dans le plasma solaire. Cette routine est aujourd’hui utilisée dans de nombreux codes d’évolution stellaire. J'utilise et aide à développer un programme qui inclut tout ce que l'on connait de la physique à l'intérieur d'une étoile. Grâce à ce programme, on essaie de reproduire l'évolution et la structure interne des étoiles. La comparaison entre ces modèles théoriques et les observations permettent d'améliorer notre compréhension des différents processus physiques, et donc nos modèles. Je travaille avec un code d’évolution stellaire (un code numérique qui représente la physique de l’étoile) pour reproduire une étoile et j’utilise ensuite un code de pulsation pour la faire vibrer. Sur base de la structure de l’étoile, le code recherche les modes de pulsation et ressort de ce calcul un spectre de fréquences qu’on compare aux observations. Il y a deux façons d’observer ; la première est la photométrie[6]. Quand l’étoile vibre, elle change de rayon, ce qui provoque un faible changement de luminosité. C’est la même méthode que celle utilisée pour détecter les exoplanètes car quand elles passent devant l’étoile, elles l’obscurcissent brièvement ce qui provoque aussi un changement de luminosité. La seconde façon d’observer est de mesurer le spectre de l’étoile. Dans le spectre, il y a des raies d’éléments chimiques à la surface de l’étoile qui changent de forme et de taille quand l’étoile pulse. Le spectre varie dans le temps, ce qui donne des observations sur les fréquences et les amplitudes des pulsations. La photométrie et le spectre sont observés par télescope (au sol ou lors de missions spatiales). Je ne réalise pas les observations moi-même, j’utilise les données observées et analysées par d’autres chercheurs et je les compare avec mes modèles théoriques numériques.
Travaillez-vous seule ou en équipe ? Collaborez-vous avec d’autres chercheurs ?
Je travaille énormément en équipe. Je n’ai jamais travaillé seule à part pendant mon doctorat, par un hasard de circonstances. Mon promoteur a changé d’Université pendant mon doctorat, il est parti à Yale et je me suis retrouvée seule à Cornell. Cette expérience était assez décourageante, je n’ai pas aimé travailler seule. Les collaborations se font parfois avec peu de personnes (deux à Princeton ou à Harvard), parfois avec un grand nombre. À l’ULg, les équipes au sein desquelles je travaille sont plus grandes notamment pour les collaborations sur des missions spatiales avec des équipes internationales. De nos jours, 99% des scientifiques qui font de la recherche travaillent en équipe. Ce n’est pas bien vu de travailler seul, les collaborations sont encouragées aussi bien avec les personnes au sein d’un même laboratoire mais aussi en dehors du labo et en dehors du pays. La recherche est internationale. Le lieu où je me rends prochainement aux États-Unis est un institut qui fonctionne sur fonds privés et qui organise des programmes d’une durée de trois mois dans ce but. Ils regroupent des scientifiques du monde entier qui ne collaborent pas forcément au départ. Ils les mettent dans d’excellentes conditions de travail pour créer de nouvelles collaborations et provoquer une émulation scientifique. Le sujet de recherche qui y sera traité concerne les étoiles plus massives, ce qui va me permettre d’apprendre et de me former dans un domaine légèrement différent du mien.
Vous avez évoqué les États-Unis, le Chili, les Canaries, bientôt l’Arizona. Les déplacements à l’étranger sont-ils fréquents dans votre profession ?
Oui, dans mon rapport FNRS on me demande par exemple de lister les conférences internationales auxquelles j’ai participé. Pour obtenir un poste en recherche de nos jours, il est indispensable d’aller passer plusieurs années à l’étranger. Il faut effectuer plusieurs postdoctorats à l’étranger pour espérer obtenir un statut de chercheur permanent par la suite. Les astrophysiciens qui font de l’observation se rendent là où se trouvent les télescopes. Et je participe à une, deux ou trois conférences internationales par année pour présenter l’état de mes recherches et écouter ou rencontrer des confrères. En dehors des contrats de postdoctorats, les voyages de longue durée sont plus rares, j’en ai effectué deux de plusieurs mois (bientôt un troisième). C’est possible pour moi car mes enfants sont grands maintenant, il était plus compliqué de partir longtemps quand ils étaient jeunes. En 2011, je suis partie en Californie pendant trois mois et j’avais emmené ma fille avec moi, elle est allée à l’école là-bas durant cette période. J’ai aussi la chance que mon mari me soutienne et m’encourage dans ces projets car ces déplacements ne sont pas toujours conciliables avec la vie de famille. Quand on développe une collaboration privilégiée avec un chercheur à l’étranger, il est aussi important d’aller passer quelques semaines sur place pour avancer dans nos recherches. Malgré les progrès technologiques en matière de communication (comme Skype ou les emails), je continue de penser que le face à face reste plus efficace. Avec mes collaborateurs en Californie, nous ne sommes pas sur le même fuseau horaire donc il y a beaucoup de délais dans les temps de réponse car notre collaborateur dort quand nous travaillons et inversement. Ces déplacements demandent d’être flexible et disponible. Quand on a des enfants, il faut avoir un conjoint compréhensif qui peut pallier nos absences.
Avez-vous beaucoup de tâches administratives dans votre travail ?
Assez peu, je suis assez chanceuse de ce côté-là en tant que chercheuse FNRS car d’autres en ont beaucoup plus. J’aime participer à la vie de l’institution donc je suis représentante du personnel scientifique au sein de la Faculté des sciences. J’ai aussi été jusqu’à l’an dernier vice-présidente du conseil des doctorats. Je m’occupais de l’accueil des doctorants, de leurs dossiers. J’ai aussi fait partie de quelques commissions. Il y a des tâches administratives mais dans mon cas, c’est très léger.
Ce qui prend le plus de temps, ce sont les demandes d’argent, de crédits. Qui plus est, le taux de succès est minuscule. Une partie de mon travail scientifique comporte aussi un versant administratif, ce sont les travaux d’expertise : par exemple être référé pour des publications d’autres personnes (évaluer des articles avant parution dans un journal scientifique) ou réaliser des expertises pour des bourses. Durant huit ans, je l'ai fait pour le FWO (Fonds Wetenschappelijk Onderzoek, le pendant flamand du FNRS), j'ai fait partie d’un panel d’experts pour l’octroi de bourses de doctorants et de bourses de demandes de crédits pour des projets. J’en ai fait aussi pour d’autres pays : Pologne, France, etc.
Quels sont vos horaires de travail ? Avez-vous des horaires fixes ?
Non, c’est le grand avantage d’être chercheur et j’ai profité toute ma vie de cette flexibilité. Pour un ingénieur, les salaires dans la recherche sont beaucoup plus faibles que dans le privé mais les horaires sont beaucoup plus libres. Il y a quelques horaires imposés : cours à donner, réunions, etc. Mais pour mes recherches, j’organise mon temps de travail. Quand un de mes enfants était malade, je travaillais à la maison pour rester près de lui. Si le weekend il pleut et que je suis au milieu d’un calcul dans lequel j’ai envie d’avancer, je peux passer mon weekend sur l’ordinateur à travailler. D’un autre côté, si le mercredi après-midi il fait beau et que mes enfants ont envie d’une sortie, je quitte le bureau. Je travaille beaucoup d’heures, beaucoup plus que quarante heures par semaine, mais quand je le veux. Je travaille souvent en soirée car je ne regarde pas la télévision. Je suis incapable de travailler sur base d’un horaire 9h à 17h, quand les idées viennent à moi et que le calcul fonctionne, je suis incapable de m’arrêter de travailler. D’autres jours, les idées ne viennent pas et rien n’avance. La quantité de travail vient par vagues.
Quels sont les autres aspects positifs de votre métier ?
Je fais ce que j’aime faire, comme j’ai envie de le faire. J’ai énormément de liberté. Mon prochain projet, c’est moi qui le choisis, personne ne va me l’imposer. En tant que chercheur qualifié FNRS, je ne suis pas affectée à un projet précis pour lequel on me paie, j’ai une totale liberté de choix. C’est pour moi un énorme avantage. Certains chercheurs sont engagés suite à l’obtention d’une bourse de financement pour travailler sur un projet spécifique et dans ce cas, ils n’ont pas le choix.
Et les aspects les plus négatifs ?
Le salaire est beaucoup plus faible que ceux proposés dans le secteur privé, pour le même niveau d’étude. Ce n’est pas très important pour moi, car je ne l’ai pas fait pour l’argent. Certains de mes anciens collègues chercheurs sont partis dans le privé parce qu’ils n’avaient pas les moyens de financer leurs recherches en restant à l’Université et qu’ils ont obtenu ces moyens dans les laboratoires privés (dans la biochimie par exemple). On travaille avec peu de moyens, j’ai acheté mon dernier ordinateur professionnel avec mon argent personnel, faute de financement. En vieillissant, être toujours à la pointe peut devenir fatigant, mais c’est aussi stimulant. Mais c’est un très beau métier, qu’on ne peut pas exercer si on lui trouve trop de points négatifs car il est exigeant en investissements temps et énergie. Ce métier fait partie de ma vie tout le temps, y compris en vacances, en soirée et le weekend. Il n’y a pas vraiment de répit, même après mes accouchements j’ai continué à travailler à la maison tout en m’occupant de mes enfants. Si l'on s’arrête deux ou trois mois, c’est difficile de se remettre dans le bain après. L’Europe propose maintenant des bourses de « restart grant » pour permettre aux personnes qui ont interrompu leur carrière (pour avoir des enfants ou suite à un problème de santé) de se réinjecter dans le circuit.
Quelles qualités faut-il posséder pour exercer ce métier ?
La persévérance, la curiosité, l’envie d’apprendre, le courage, l’ouverture d’esprit, le goût du travail en équipe, la volonté de voyager, la passion, la flexibilité, le goût d’apprendre et d’étudier.
Quel conseil donnez-vous à un jeune qui souhaite se lancer dans ce métier ?
Je lui conseille de prendre des options maths fortes et sciences fortes durant ses études secondaires. S’il n’aime pas ces cours, il ne faut pas faire le même métier que moi. Et puis je lui conseille de foncer, de donner le meilleur de lui-même. Pour ceux qui souhaitent faire un doctorat, il faut être conscient que les probabilités d’obtenir un poste permanent dans la recherche ou l’enseignement sont très faibles. Il faut le faire par passion pour la recherche et pour avoir l’opportunité de faire ce qu’on aime pendant quelques années mais après les postdoctorats, de nombreux docteurs universitaires sont contraints de travailler dans un autre secteur.
Comment envisagez-vous votre avenir professionnel ?
J’ai déjà changé plusieurs fois de spécialisation dans ma vie, et je vais continuer à apprendre de nouvelles choses, développer de nouvelles collaborations. Je ne vais pas changer de carrière professionnelle mais je suis ouverte à de nouveaux projets de recherche.
Quelque chose à ajouter ?
Je voudrais préciser l’importance du rôle des langues étrangères dans une carrière scientifique. Il vaut mieux choisir l’anglais que le néerlandais quand on envisage de devenir scientifique. Mes enfants ont suivi un enseignement secondaire en immersion anglaise, ce qui a permis à ma fille de me suivre aux États-Unis et de suivre une partie de sa scolarité là-bas. L’anglais est indispensable et c’est la langue véhiculaire de la recherche scientifique de nos jours : toute la littérature est en anglais, certains masters universitaires sont enseignés en « full English ». Cependant, il faut apporter une nuance. J’ai parlé à des jeunes qui se croient mauvais en langues parce que dans les écoles secondaires les professeurs de langues se concentrent sur le bon accent et la bonne grammaire. Or, ce n’est pas le plus important dans la pratique : il faut surtout oser parler et avoir du vocabulaire. Quelques fautes de grammaire et une mauvaise prononciation ne sont pas un frein, cela ne doit pas les décourager d’entreprendre des études scientifiques.
[1] TRAPPIST (TRAnsiting Planets and PlanetesImals Small Telescope) est un projet regroupant deux télescopes robotiques belges installés au Chili et au Maroc et pilotés depuis l’Université de Liège. Il a donné son nom à sa plus notable découverte : TRAPPIST-1, un système planétaire situé à environ 39 années-lumière de la Terre. Autour de cette étoile gravitent au moins sept exoplanètes rocheuses. Cette découverte a fait l’objet d’un communiqué officiel de la NASA en février 2017.
[2] ITER (en anglais : International Thermonuclear Experimental Reactor, en français : réacteur thermonucléaire expérimental international) est un réacteur de recherche civil à fusion nucléaire. Le projet de recherche s'inscrit dans une démarche à long terme visant à l'industrialisation de la fusion nucléaire. Le projet associe trente-cinq pays : ceux de l'Union européenne ainsi que l'Inde, le Japon, la Chine, la Russie, la Corée du Sud, les États-Unis et la Suisse.
[3] Fonds de la Recherche Scientifique, anciennement connu sous le nom de Fonds National de la Recherche Scientifique.
[4] CoRoT (pour COnvection, ROtation et Transits planétaires) est un télescope spatial destiné à l'étude de la structure interne des étoiles et à la recherche d'exoplanètes. Lancé en 2006, CoRoT est le premier télescope en orbite destiné à la recherche de planètes extrasolaires et notamment de planètes telluriques. Après 7 ans et demi de fonctionnement et de nombreuses découvertes, le satellite est désactivé en 2014.
[5]Une exoplanète, ou planète extrasolaire, est une planète située en dehors du système solaire.
[6] La photométrie est la science qui étudie le rayonnement lumineux tel qu'il est ressenti par la vision humaine.