Anonyme, Ichtyologue

Interview réalisée en novembre 2021

Pouvez-vous retracer brièvement votre parcours scolaire ?

J’ai suivi des études universitaires de Bioingénieur à Gembloux. J’ai choisi l’option « Ecologie » qui concerne surtout l’aménagement du territoire mais aborde aussi le domaine de l’eau qui m’intéressait déjà. Mon travail de fin d’études portait d’ailleurs sur ce domaine et plus particulièrement sur le suivi de pression de pêche en Afrique. Ensuite, j’ai suivi un master complémentaire et interuniversitaire en Aquaculture où j’ai eu des cours liés à l’écologie et au suivi des poissons dans le milieu naturel. Les aspects production et écologie m’intéressaient.

Je n’ai pas suivi de formation spécifique d’ichtyologue. J'ai plutôt essayé de travailler en aquaculture et sur des projets liés à la préservation des écosystèmes aquatiques.

Quelles ont été vos expériences professionnelles ?

J’ai travaillé pour des Contrats de Rivière où je faisais des inventaires de terrain. J’ai aussi été employé à la Maison Wallonne de la Pêche. J’étais chargé d’un projet de frayère artificielle qui est une structure qui favorise la reproduction des poissons. Ensuite, j’ai travaillé 4 ans dans un centre de recherche en aquaculture. Mon rôle était alors plus orienté sur la production. J’ai eu l’occasion de donner des cours de travaux pratiques et de procéder à des expériences sur la recherche en aquaculture sur le lieu de mon master complémentaire. J’ai aussi pu travailler sur un projet d’aquaponie, c’est-à-dire la production de plantes en lien avec les poissons.

Depuis 2 ans, je suis chargé de projets dans un bureau d’études. Je travaille sur des projets de renaturation des cours d’eau. Nous essayons de créer des conditions naturelles pour favoriser les habitats des espèces aquatiques et principalement des poissons. En faisant cela, nous contribuons au développement des habitats des autres espèces accompagnatrices (insectes, plantes, etc.). L’objectif principal est d’améliorer les conditions d’accueil pour la faune et la flore.

En quoi consiste votre travail ? Comment s’organise-t-il ? 

Nous travaillons sur des projets variés comme la création de sous berges, la mise en place de bois mort de grandes dimensions dans le cours d’eau, la création de zones de frayère, etc. En général, nos clients sont des administrations qui sont les gestionnaires de cours d’eau et qui nous interpellent pour mettre en place des projets. Nous travaillons aussi parfois, mais plus rarement, pour des particuliers qui veulent aménager leurs propriétés.

Quand nous recevons une demande de renaturation d’un cours d’eau fortement artificialisé, nous établissons tout d’abord un état des lieux écologiques. Nous parcourons la zone de projet et regardons les déficits hydromorphologiques qui empêcheraient les populations de pouvoir s’installer. Nous pouvons compléter nos observations avec des inventaires de terrain via des pêches électriques. Après l’état des lieux, nous faisons part de nos conclusions à notre client, le maître d’ouvrage, souvent sous forme d’esquisse pour faire des projections et de la détection de problèmes. Nous lui proposons aussi un certain nombre d’aménagements et des pistes d’améliorations. Nous réalisons beaucoup d’études de faisabilité comme cela.

Ensuite, nous effectuons des études d’exécution de chantiers où l’on prépare les plans avant-projet, les plans projet, etc. jusqu’à la sélection des entreprises. Pour les petits chantiers des particuliers, il nous arrive de les réaliser nous-mêmes. Mais généralement, nous accompagnons simplement les entrepreneurs sur le terrain et faisons un suivi.

En général, lors d’une restauration d’un milieu naturel, on supprime l’obstacle qui empêchait la circulation de l’eau, la recolonisation des espèces se fait naturellement avec les individus qui étaient en amont de l’obstacle. Si nous sommes dans un milieu vraiment isolé ou dégradé, nous proposons de faire des translocations, c’est-à-dire des prélèvements d’individus ou d’espèces pour renaturer la zone restaurée.

Quels sont les aspects positifs et négatifs de votre profession ?

Au niveau des points positifs, c’est la variété de mes tâches et l’aspect multidisciplinaire de mon métier que j’apprécie. Je travaille dans un bureau modeste et en plein développement, il faut donc jongler avec de nombreuses notions (écologie, législation, hydrologie, hydraulique, etc.). Nous devons réfléchir à des solutions adaptées à chaque projet en mettant parfois en place des solutions qui n’existent pas encore. C’est la partie stimulante du métier. C’est à la fois du travail de terrain et du travail de bureau. Nous créons quelque chose, nous en faisons des projections sur plan puis nous voyons la concrétisation du travail lors de l’exécution.

Le côté plus négatif, c’est la pression du timing qui est dicté par le client. On a parfois des périodes de rushs où on gère plusieurs projets à la fois. Ce n’est pas toujours évident de prendre du recul et d’avoir un agenda bien construit. Nous avons aussi certaines contraintes liées à des zones urbaines ou du génie civil. Nous devons faire des compromis avec les demandes des clients.

Selon vous, quelles sont les qualités requises pour exercer ce métier ?

Il faut être passionné par le milieu aquatique. Pour mes collègues et moi, c’est aussi un hobby en dehors des heures de travail. Le soir, je passe énormément de temps à me balader le long des cours d’eau. Il est essentiel d’aimer travailler sur le terrain, parfois dans des conditions météorologiques délicates. Nous parcourons souvent des cours d’eau en ayant les pieds dans l’eau, il ne faut donc pas avoir peur de se mettre à l’eau.

Une certaine flexibilité est aussi utile par rapport aux différentes thématiques qui sont abordées. Il faut être curieux et ne pas avoir peur de s’informer sur des matières qui peuvent sembler complexes comme l’hydraulique. Il faut sortir de ce qu’on a appris à l’université et s’aventurer sur de nouveaux champs d’études.

Une bonne organisation est aussi utile, surtout au niveau de la gestion du temps. Il faut bien avoir en tête les objectifs, les dates, etc.

L’esprit d’équipe est essentiel. On ne travaille pas seul sur les projets, on est en contact régulier avec nos collègues qui ont des particularités et des spécificités différentes des nôtres. La communication est donc importante, il faut savoir imposer son point de vue et ses idées lors de réunions avec d’autres bureaux d’études ou des administrations. Il y a aussi une part de négociation.

Avec qui collaborez-vous ? 

Dans mon entreprise, il y a un ingénieur hydraulicien, des hydrobiologistes et des bioingénieurs. Nous faisons aussi appel à des personnes qui ont de l’expérience dans le domaine des cours d’eau comme un vidéaste spécialisé dans les cours d’eau et qui est hydrobiologiste de formation ou un ancien professeur d’université spécialisé dans la qualité des eaux.

Quelles sont les conditions de travail ? 

J’ai des horaires classiques de bureau, mais nous organisons parfois des réunions en soirée ou des inventaires nocturnes. Nous sommes assez flexibles. Lors de chantiers, il nous arrive de faire des allers-retours quotidiens et d’être présents sur le chantier en même temps que les ouvriers.

Quels conseils donneriez à un jeune qui a envie de se lancer dans ce métier ?

Il y a plusieurs moyens d’aborder la gestion des rivières, plusieurs filières coexistent. Avec un bachelier, on peut être technicien de rivière et travailler sur la partie technique du suivi des cours d’eau. Des études universitaires en Biologie, par exemple, permettent de ne pas faire uniquement des bilans ou des inventaires biologiques. En effet, grâce à ces études, il est possible de réaliser plus de calculs, d’aider à la création des plans de restauration. Je conseillerais peut-être de commencer par un bachelier et d’effectuer éventuellement une passerelle vers un master si le jeune veut aller plus loin.

Je pense qu’il faut aller se promener le long de l’eau, aller voir les cours d’eau en bonne santé et ne pas hésiter à en discuter avec des personnes qui connaissent les rivières (personnes travaillant pour les Contrats de Rivière, pêcheurs, etc.). Cela permet de faire attention à des particularités auxquelles on ne penserait pas forcément. Être passionné par le milieu aquatique permet d’avoir un autre regard sur les rivières.

Pourquoi avoir choisi ce métier ?

Depuis tout petit, je suis intéressé par les rivières et en particulier les poissons. Mon cœur balançait entre la production et la conservation. J’ai travaillé dans la production en aquaculture et mon emploi actuel est plus en lien avec l’écologie. Ce qui est valorisant dans ce métier, c’est de pouvoir être un acteur direct de l’amélioration des écosystèmes.

Avez-vous une anecdote ? 

En zone urbaine, il arrive souvent que nous devions aller dans un cours d’eau. Nous sommes alors habillés avec des combinaisons étanches en néoprène. On nous regarde parfois un peu bizarrement. Par deux fois, nous avons même été interpellés par la police mais nous leur avons expliqué la situation et n’avons pas eu de problème.

 
SIEP.be, Service d'Information sur les Études et les Professions.