Mr Arnaud Seeuws,
Bibliothécaire-Documentaliste
Interview réalisée en décembre 2013 |
Quelle est votre formation ?
Au terme de mes études secondaires dans l’enseignement technique, j’ai suivi un bachelier de bibliothécaire-documentaliste au sein de l’IESSID (Institut d’Enseignement Supérieur Social et Sciences de l’Information et Documentation). L’IESSID, situé à Ixelles, est un des départements de la Haute-Ecole Paul-Henri Spaak. Au terme de ces trois années, il m’était possible de réaliser un master en Sciences et Technologies de l’Information et de la Communication (accessible notamment à l’ULB). Cependant, l’envie de me lancer sur le marché de l’emploi assez rapidement a fait que je n’ai pas suivi cette formation complémentaire.
Quel est votre parcours professionnel ?
Diplômé au mois de juin 2011, j’ai postulé au sein de plusieurs institutions (banques, entreprises industrielles, médias, bibliothèques publiques, monde associatif) que ce soit en réponse à des annonces ou de manière spontanée. Au mois d’août 2011 (soit deux mois après la sortie de l’école), suit à une annonce diffusée par le Centre Antipoisons, j’ai postulé au sein de cet organisme. J’y ai été engagé dès le départ avec un contrat temps plein et de manière indéterminée. J’occupe donc toujours mon premier emploi. Il est à noter que le Centre Antipoisons a fait le choix de la confiance en engageant un jeune diplômé, ayant une expérience limitée, amené à travailler presque directement seul et en autonomie.
Qu’est-ce qui vous a amené à devenir bibliothécaire-documentaliste ?
Comme de nombreuses personnes, je ne savais pas précisément quelle formation suivre à la fin de mes études secondaires. Étant donné que j’avais un goût prononcé pour la lecture et que j’avais déjà eu l’occasion de travailler en tant que bénévole dans trois bibliothèques, je me suis engagé dans cette voie, sans bien savoir à quoi ce choix mènerait. Il est à noter que lors des premières journées de formation, l’argument «j’ai choisi cette formation car j’aime lire» revient souvent. Par ailleurs, l’image du bibliothécaire-documentaliste souffre encore parfois de cette caricature de «lecteur invétéré». Relevons également que le fait de travailler comme bénévole dans de petites bibliothèques ne montre que peu d’aspects réels du métier.
Au fur et à mesure de mes études, j’ai développé un grand attrait pour tout ce qui touche aux sciences de l’information d’une manière générale. Cela m’a permis de me professionnaliser.
En quoi consiste votre travail concrètement ?
Étant donné que je suis le seul documentaliste du Centre Antipoisons, je réalise quasiment toutes les étapes de ce que l’on appelle «la chaine documentaire» : préparation des sélections d’articles scientifiques, encodage des références de ces articles, attribution de mots-clés pour retrouver les articles (ce qui impose la lecture d’une littérature scientifique médicale parfois complexe). Je gère et je restaure également le thésaurus (liste de mots-clés hiérarchisés) utilisé pour classer la plupart des informations générées par les activités du Centre.
A côté de ces deux grosses tâches, je participe également à divers projets que le Centre Antipoisons développe (numérisation de collections, projets en santé publique, participation à la communication de l’institution, etc.). La recherche documentaire ponctuelle fait également partie de mes attributions : mise en place de la stratégie de recherche, recherche en elle-même, sélection de références (rôle de filtre), présentation des résultats au médecin demandeur, suivi de la recherche (commande des articles, etc.).
Le public principal du service de documentation est représenté par les 13 médecins de permanence, le pharmacien + la direction du Centre. Il m’arrive également d’offrir une aide ponctuelle (principalement au travers de conseils et de propositions de solutions pour une recherche sur Internet, pour résoudre un problème mineur en informatique, etc.) à toute personne travaillant au Centre Antipoisons.
Quel type d’information peut-on trouver au Centre Antipoisons ?
Les informations gérées par le Centre Antipoisons sont multiples. Chaque demande (plus de 50000 par an) est reprise dans ce que nous appelons une «fiche d’appel» (c’est-à-dire une description de l’appel : produit mis en cause, symptômes de la victime, traitement proposé, etc.). Afin de répondre au mieux, le Centre dispose également d’une très importante base de données reprenant les compositions de dizaines de milliers de produits (soit présents sur le marché belge, soit pour lesquels nous avons déjà eu des appels) commerciaux. Le Centre dispose aussi d’une importante base de connaissances factuelles composée par le suivi de nombreux cas. Enfin, une importante documentation scientifique composée de bases de données, d’articles, de périodiques et d’ouvrages de référence est gérée par le documentaliste.
Quelle est l’utilité d’un centre de documentation dans une structure comme celle-ci ?
La science médicale est un domaine dans lequel une mise-à-jour permanente doit être réalisée. En effet, si l’on n’invente pas tous les jours de nouveaux principes fondamentaux en toxicologie ou en médecine, des substances potentiellement dangereuses, voire toxiques apparaissent en permanence. Par ailleurs, la multiplication des publications scientifiques (multiplication des revues, publications en OpenAccess sur Internet, etc.) nous contraint à une certaine vigilance et à mettre en place une veille. Il s’agit ici de deux facteurs (parmi d’autres) contribuant à une explosion de la masse et des sources d’information. C’est ici que le service de documentation montre son intérêt, en jouant entre autres le rôle de filtre pour fournir une information de qualité au médecin. Par ailleurs, nombre de nos médecins ne travaillent pas à plein temps au Centre. De ce fait, certaines tâches comme la lecture de la littérature médicale pour l’attribution de mots-clés peuvent également être confiées au documentaliste.
Les compétences développées par le documentaliste pour maîtriser l’information, tant durant sa formation que durant sa carrière, peuvent également être transmises au travers de la présence du service de documentation dans l’entreprise.
D’une manière générale, le service de documentation possède les compétences et les outils nécessaires afin de fournir continuellement une information de qualité à son public. Son rôle est également de former le public visé afin de lui faire acquérir un minimum de compétences documentaires.
Quel est l’impact des nouvelles technologies sur votre travail ?
Les nouvelles technologies, et elles sont nombreuses, ont un impact sur mon travail et sur le travail de tous les professionnels de l’information. Voici deux exemples :
- Le développement du Web et de ses diverses possibilités ont ouvert des perspectives immenses. Il est facile aujourd’hui d’utiliser le Web, les bases de données en ligne (payantes ou gratuites), etc. pour trouver une information, un document, etc. Cependant, à côté de tous les avantages (rapidité, facilité, sources multiples), le développement du Web, particulièrement des réseaux sociaux, et de l’information rapide ont fait apparaître de nouveaux défis: surcharge d’information due à la multiplicité des sources, informations douteuses, etc. De fait, le professionnel que je suis doit développer des stratégies à la fois pour jouer le rôle de filtre mais également pour évaluer de manière pertinente l’ensemble de l’information qui rentre au sein du service de documentation.
- L’informatisation généralisée (via les PC et les nouveaux dispositifs de type tablette) nous a permis d’évoluer vers une documentation toujours plus informatisée, offrant de nouvelles perspectives au niveau du contenu (par exemple des documents PDF présentant des références bibliographiques interactives). Ici également, à côté des avantages indéniables, il a fallu mettre en place des dispositifs « de sécurité » : que faire si l’informatique rencontre une panne, quelles sont les mesures de protection des données, etc.
Quelles sont, d’après vous, les compétences et qualités à posséder pour exercer ce métier?
Je dirais personnellement que les compétences nécessaires à posséder se développeront suivant le secteur et le type de travail que le professionnel devra exercer. La formation de base nous permet d’assimiler les compétences de base du domaine : catalographie, indexation, recherche documentaire, gestion des connaissances, utilisation de plusieurs outils, etc. Une fois diplômé et inséré dans la vie professionnelle, les compétences se développeront petit à petit suivant l’activité : certains deviendront des professionnels de la catalographie et de l’indexation, d’autres ne pratiqueront que de la recherche, d’autres encore deviendront des gestionnaires de connaissance ou des formateurs.
Au niveau des qualités, voici quelques mots-clés qui peuvent ouvrir de nombreuses possibilités de réflexion : curieux, proactif, courageux, à l’écoute, pédagogue, sérieux, esprit critique…
Il n’est pas forcément nécessaire de posséder toutes ces qualités ensemble. Certaines se développent également au cours de la formation et des stages.
Continuez-vous à vous former ? Est-ce nécessaire ?
L’envie et la capacité de se former de manière continue sont selon moi deux des qualités premières que doit posséder le documentaliste car cela est absolument indispensable pour continuer à fournir un travail de qualité à son public. D’une part, il n’est pas possible de tout apprendre sur les bancs de l’école ou en stage, surtout en matière d’outils de travail (logiciels spécifiques au monde de la documentation par exemple) et de ressources documentaires (bases de données existantes dans tel ou tel domaine, sources d’informations de référence dans telle discipline, etc.). D’autre part, l’évolution permanente, tant de ces outils que des diverses technologies (en particulier le Web) nous oblige à nous «mettre à la page». La formation permanente nous permet donc de nous maintenir à niveau dans ces deux domaines.
Autre élément important : suivant le domaine dans lequel le professionnel de l’information sera amené à travailler, il sera parfois amené à acquérir des connaissances de base dans un domaine du savoir (dans mon cas par exemple, la médecine, la toxicologie, la chimie ; dans d’autres cas, cela pourra être le droit, l’art, etc.). On ne lui demandera pas de tout connaitre sur un sujet (ce n’est pas son métier). Cependant, pour réaliser certaines tâches éventuelles, un bagage de base est un atout indéniable. Ce sera souvent l’employeur qui dispensera d’une manière ou d’une autre ces connaissances de base du domaine de travail. Le documentaliste devra alors montrer qu’il est prêt à s’investir pour se former et apprendre.
La curiosité étant un de nos «meilleurs défauts», ce goût pour la découverte permanente se développe en général au cours de nos études. Il est également à noter que le désir de se former en permanence constitue un atout important lorsque l’on postule auprès d’un employeur.
On associe souvent le métier de bibliothécaire à celui de documentaliste. Est-ce correct selon vous ou existe-t-il quand même des différences fondamentales ?
Répondre à cette question est particulièrement difficile et la réponse réside souvent dans l’expression d’un avis plutôt que dans une réponse purement «scientifique» avec des arguments clairs. La réponse à cette question n’engage donc que moi et sera très loin d’être claire.
Il est à noter tout d’abord que la formation dispensée à l’IESSID nous donne accès au titre de bibliothécaire-documentaliste. Nous sommes donc formés aux deux fonctions.
Je dirais que la différence est la suivante : un bibliothécaire gèrera plutôt l’aspect physique d’une collection et qu’un documentaliste gèrera plutôt le contenu de la collection. Cependant, un documentaliste, pour travailler efficacement, doit être capable de gérer également une collection physique afin de retrouver rapidement un document. A noter également qu’à titre personnel, étant donné que je travaille seul dans mon service, j’exerce les deux fonctions et que celles-ci sont indissociables si je veux être efficace.
Il est également souvent rapporté qu’un bibliothécaire travaillera le plus souvent en bibliothèque publique et qu’un documentaliste travaillera le plus souvent en entreprise ou dans une autre structure quelconque. Une fois de plus, la différence peut être bien mince puisque l’on trouve également des bibliothécaires ailleurs que dans les bibliothèques publiques.
Je dirais donc que la question n’a pas de réponse claire et que d’une manière générale, nous sommes des professionnels de l’information.
Quels sont les avantages et les inconvénients de votre métier ?
Ici aussi, suivant le secteur dans lequel on exercera, des avantages et des inconvénients apparaitront. Dans mon cas personnel voici les avantages de mon métier :
- Métier passionnant permettant de découvrir et d’apprendre de nombreuses choses ;
- Satisfaction de pouvoir rendre un service de qualité et utile ;
- Chance de pouvoir travailler seul et de m’organiser en toute autonomie ;
- Chance d’avoir un employeur de qualité.
Au niveau des inconvénients, je citerais ceci :
- Le fait d’être seul implique une plus grande responsabilité. Si je m’absente pour une raison ou une autre ou si j’ai un plus gros travail à réaliser, je ne peux envisager aucune délégation de tâche ;
- Le fait de travailler dans un organisme public peut parfois représenter une contrainte en termes de moyens, notamment humains. Il est possible de réaliser plus de projets quand on peut être plusieurs à les porter ;
- Le fait de travailler dans un service d’urgence peut parfois rendre les rapports humains plus complexes. Lors de très grosses urgences, l’énervement et le stress peuvent arriver plus vite et amener à avoir des réactions que l’on peut regretter par la suite.
Quels conseils donneriez-vous à une personne qui voudrait se lancer dans ce métier ?
Les conseils que je donnerais peuvent être les suivants (liste non-exhaustive) :
- Dès le début de la formation, oublier ses préjugés sur le métier : le bibliothécaire ne fait pas que lire et ne passe pas 8 heures par jour derrière un bureau tout seul ;
- Si l’on envisage de réaliser des études de bibliothécaire-documentaliste, ne pas hésiter à s’informer sur la filière : prendre contact avec des professionnels, se rendre aux journées portes ouvertes d’une Haute-Ecole, utiliser des services d’orientation tels que le SIEP, etc. ;
- Entamer la formation avec une très grande ouverture d’esprit, l’envie d’apprendre, de découvrir ;
- Ne pas oublier son esprit critique : le professionnel de l’information est quelqu’un qui doit souvent juger et émettre un avis, entre autre sur une ressource documentaire ;
- Être proactif, ne pas toujours attendre des ordres mais prendre des initiatives. Tant que vous êtes critiques et que vous justifiez vos choix, on ne vous reprochera pas d’essayer d’aller plus loin ;
- Pour les élèves sortant de l’enseignement secondaire, une période d’apprentissage sera nécessaire pour sortir du modèle «d’exécutant». Lors des divers travaux, ne pas hésiter à émettre un avis, à sortir des sentiers battus, à aller plus loin que la consigne de base, tant que cela est justifié par des arguments valables ;
- Ne pas se décourager, même si la masse de travail à fournir durant la formation peut paraitre très importante. Certes, ce bachelier demande du travail et de la rigueur. Mais le résultat au bout des trois années est à la hauteur de l’effort investi. Une bonne organisation et un agenda sont des outils précieux pour entamer ces études ;
- Ne pas hésiter à s’investir lors des stages et du TFE, à être inventif, trouver des stages à l’étranger, etc. C’est durant ces périodes que l’on peut vraiment entrer le plus en contact avec notre futur métier ;
- Ne pas hésiter à s’investir dans les langues étrangères. Le français et le néerlandais sont les deux langues nationales les plus parlées et constituent un atout lors d’une recherche de stage ou d’emploi. Par ailleurs, de très nombreux outils et ressources utilisés dans le cadre de notre profession (logiciels, base de données, littérature scientifique) sont en anglais.