Mr Benoit Smets,
Volcanologue au Musée Royal de l’Afrique Centrale
Interview réalisée en octobre 2020 |
Qu’est-ce que la volcanologie ? Si vous deviez résumer la discipline en quelques mots…
La volcanologie, c’est un terme très vaste. C’est la discipline qui étudie de près ou de loin les volcans. Il y a deux familles de volcanologues : il y a les généralistes, ceux qui vont avoir une vue d’ensemble et les personnes spécialisées sur une région ou un type bien précis d’activités volcaniques. Cela représente énormément de choses. On peut être appelé volcanologue alors qu’on a fait une formation en mathématiques, en physique, en chimie, en géologie (c’est mon cas, c’est ce que j’ai fait) ou encore en géographie. C’est un nom générique qui englobe tout un tas de personnes qui travaillent sur les volcans.
Quel est votre parcours scolaire et professionnel ?
Le mien est un peu particulier. J’ai fait mon bachelier à Namur aux Facultés Universitaires Notre-Dame-de-la-Paix (maintenant, UNamur), mon master à l’Université de Liège, une année d’agrégation pour être professeur de sciences dans le secondaire et puis une spécialisation en gestion des risques naturels. C’est via celle-ci que je me suis tourné vers les volcans et commencé ma carrière sur ce sujet. Après mon mémoire sur une problématique liée aux volcans, j’ai travaillé pendant plus de 4 ans sur les volcans comme chercheur junior au Musée Royal de l’Afrique Centrale, puis j’ai effectué une thèse de doctorat à la VUB dans le département de géographie.
Quels sont les éléments, du coup, qui vous ont motivé à choisir ce métier ?
Ah, c’est une histoire que j’aime bien raconter ! En secondaire, j’aimais beaucoup les sciences et j’étais fan des cours de physique et de chimie. Je suis donc allé au salon du SIEP à Liège en 2001. À l’époque, on pouvait prendre rendez-vous afin de discuter du métier avec un professionnel durant cinq à dix minutes. Je m’étais enregistré pour voir un chimiste et deux trucs qui n’ont rien à voir : le journalisme et l’armée. Trois choses bien différentes. Le chimiste a réussi en cinq minutes à me dégoûter de la matière. Ce n’était pas du tout ce qui m’intéressait (les problématiques environnementales) et lui ne me parlait que de chimie industrielle, pharmaceutique, etc. Il y avait trop de file pour voir les journalistes, de même pour l’armée. Je vois cependant un petit bureau avec une dame assise, toute seule, où il était écrit "Géologie". Alors, comme je n’avais rien à faire, je me suis assis à sa table et j’ai commencé à discuter avec elle. Quand on fait géologue, on fait plein de trucs différents : de la physique, de la chimie, même de la biologie ! Je me suis dit : "ça a l’air super !" et je me suis inscrit en géologie.
Quelles fonctions occupez-vous aujourd’hui ?
Alors, je viens de changer. Comme tous les chercheurs en milieu académique, ce n’est pas facile de trouver une situation stable. J’ai un poste FEDtWIN, un poste de chercheur et enseignant binôme entre un institut de recherche fédéral et une Université. Je suis donc à mi-temps chercheur au Musée Royal d’Afrique Centrale et je suis à mi-temps chargé de cours à la VUB (Vrije Universiteit Brussel), à Bruxelles.
À ce propos, vous pourriez présenter ce Musée Royal d’Afrique Centrale ?
Il se trouve à Tervuren, c’est un des dix instituts de recherche scientifique qui dépendent de la politique scientifique fédérale belge. Ce sont des petits joyaux belges : ils font de la recherche scientifique qu’on ne pourrait pas développer au sein d’une Université. On a par exemple l’Observatoire Royal de Belgique qui va surveiller la sismicité en Belgique, on a l’Institution d’Aéronomie spatiale (un peu notre NASA belge) qui est extraordinaire en termes de travaux dans l’aérospatial, et il y a le Musée Royal d’Afrique Centrale. Sa particularité est que les 70-80 chercheurs de cet institut de recherche travaillent tous sur l’Afrique, particulièrement l’Afrique Centrale et les trois colonies belges (Congo, Rwanda et Burundi), dans des thématiques différentes. Je travaille dans le domaine des Sciences de la Terre avec des géologues et des géographes, mais on a des biologistes spécialisés dans les bois tropicaux, les vertébrés ou encore les araignées, des historiens, des archéologues, des musicologues, des linguistes etc. Il y a une grande diversité de disciplines mais qui sont toutes concentrées sur une région du monde : l’Afrique Centrale.
Et actuellement, quel est l’objet de vos recherches ?
Je travaille dans une unité de recherche qu’on appelle le Service Risques naturels. Mes travaux s’inscrivent dans l’étude d’aléas et des risques naturels d’origine géologique. On s’intéresse principalement aux volcans, glissements de terrain et tremblements de terre : tout ce qui a un lien avec l’origine géophysique, géologique des phénomènes naturels. J’ai une collègue qui travaille plus sur l’aspect humain, la vulnérabilité de la population face à cela et moi, je suis l’homme un peu « télédétection », j’utilise des techniques d’imagerie satellitaire, par drone, ou des techniques de photogrammétrie : on fait des mesures en trois dimensions à partir d’image. J’applique cela aux volcans mais je collabore aussi avec des collègues qui sont spécialistes d’autres thématiques comme les glissements de terrain, par exemple.
Concrètement, quels sont les outils et expérimentations que vous utilisez dans le cadre de vos recherches ?
Alors, mes outils sont principalement un ordinateur avec des logiciels pour le traitement d’image, la programmation, la télédétection et la cartographie. Sinon, on va aussi sur le terrain, c’est important d’avoir des données de terrain. J’utilise alors des GPS pour pouvoir mesurer des points de contrôle pour géoréférencer mes images, pareil avec des caméras au sol pour faire de l’imagerie. Le terrain représente très peu de temps de travail comparé à celui sur ordinateur même si la préparation de la logistique est conséquente.
Vous venez de mentionner le terrain, est-ce qu’un volcanologue est régulièrement amené à se déplacer ?
Comme tous les scientifiques, on est amené à se déplacer en mission ou alors participer à des colloques, conférences scientifiques : on doit présenter notre travail et le communiquer. C’est aussi une manière de faire du networking (se créer un réseau de contacts) et rencontrer des gens de la communauté scientifique provenant d’autres instituts, d’autres nationalités et régions du monde. Ça permet de créer des liens, des collaborations et de nouvelles idées : on découvre des techniques intéressantes qui peuvent nous inspirer à développer nos travaux et on va les contacter pour qu’ils nous aident.
En parlant de collaborations, est-ce que vous développez des contacts en dehors du monde académique (médias, particuliers, etc.) ?
Oui, les médias, évidemment. La communication vers le grand public est quelque chose qu’on a essayé de développer : j’ai participé à deux documentaires. Ça m’arrive, quand on a des informations qu’on trouve intéressantes à divulguer, de contacter la presse, de passer au JT une fois ou l’autre. Au niveau du secteur privé, cela peut arriver (notamment pour un outil particulier dont on a besoin), mais nous n’avons jamais vraiment eu quelque chose qui se développait à ce niveau-là. Nous travaillons avec des ONG par contre, des ONG locales (pas spécialement internationales) en Afrique ou avec des instituts de recherches africains et il y a vraiment un échange, une collaboration qui se fait. Le transfert de compétences et de connaissances vers les partenaires africains fait partie de la mission du Musée. On va au-delà de la recherche scientifique : il y a une mission de coopération scientifique où il existe des financements de la coopération belge pour organiser des formations, faire venir des étudiants en Belgique afin de suivre des études universitaires : essayer de développer des compétences bien spécifiques aux besoins locaux.
Est-ce que vous travaillez plutôt seul ou en équipe ? Avec qui est-ce que vous collaborez ?
Un travail de chercheur, c’est un peu particulier parce que je suis employé, je dois rentrer dans la politique de travail d’un département de recherche, mais aussi un « faux employé » car on est très indépendant. On doit créer sa recherche, ses questions de recherches, son agenda : un chercheur a beaucoup de liberté, mais il faut être proactif, il faut avoir de la motivation pour avancer. Donc oui, on travaille seul même si ce n’est pas la politique de mon groupe de recherche, on essaye d’avoir un groupe soudé avec des synergies très fortes afin d’atteindre des résultats beaucoup plus évolués que si on travaillait dans notre coin. C’est un travail qui demande d’être autonome tout en étant ouvert à d’autres collaborations pour choisir dans quelle orientation on se dirige dans notre recherche.
Vous parlez de fixer votre propre agenda, il n’y a pas vraiment d’horaire de travail : un volcanologue a une certaine flexibilité ?
Ça, ça dépend réellement de l’institut de recherche. Par exemple, dans mon cas, la VUB me considère comme un cadre donc je suis indépendant, je fais ce que je veux : je viens ou je ne viens pas. Je viens, bien entendu, si je dois donner cours. Il n’y a pas de contrainte horaire. Je suis là pour faire un travail et ils regardent aux résultats, pas aux heures prestées. Au musée, qui est un institut fédéral, c’est différent, c’est du « old-school »: il y a des horaires, un nombre d’heures fixé et je dois dire quels jours je dois être là et pour déroger à la règle, je dois demander une autorisation. Cela dépend du milieu de travail dans lequel on se trouve, mais dans les universités, c’est généralement beaucoup plus flexible.
Quels sont les aspects positifs de votre métier ?
L’aspect positif, c’est la possibilité de laisser son imagination et sa créativité aller où elles veulent. C’est le plaisir d’avoir une idée, de la faire murir : parfois on laisse tomber, parfois on la reprend plusieurs années plus tard, parfois elle prend tout de suite et elle permet d’atteindre des résultats intéressants. Un chercheur crée son propre travail et s’il a besoin de financer sa recherche, c’est à lui de le faire : nous sommes très indépendants, nous n’avons pas forcément de frais de fonctionnement. On doit trouver l’argent par nos propres moyens, déposer un dossier pour un projet qui va durer deux, trois, quatre années voire plus. C’est vraiment ce côté libre et la possibilité d’aller dans tous les sens qui est très gai.
Et à l’inverse, les négatifs ?
Les gens qui se retrouvent dans la recherche sont des passionnés : on ne compte pas ses heures, on a parfois de très grosses journées. Ça empiète sur le reste, ça se fait au détriment de la famille, du couple, de la relation avec les enfants. Il y a un équilibre à trouver. C’est la même chose pour les hobbies notamment le sport : je regrette de ne plus avoir le temps de faire autant de sport que lorsque j’avais vingt ans. C’est un choix, il faut ne pas laisser les côtés négatifs prendre le pas sur tout le reste, mais cela fait partie d’un self-control à avoir.
Quelles sont les qualités qu’il faut posséder pour exercer ce métier ?
Être très curieux, s’intéresser à beaucoup de choses avec une grande ouverture d’esprit. Savoir se remettre en question régulièrement et ne pas attraper la grosse tête.
En plus de ces qualités, quel(s) conseil(s) donneriez-vous à quelqu'un qui souhaite se lancer dans ce métier ou ce domaine ?
Personnellement, dès que j’ai mis un pied à l’université, on m’a dit « la volcanologie, c’est un secteur ultra bouché, y a plein de passionnés, mais pas de place ». Donc quand j’ai commencé, je ne me suis pas intéressé aux volcans à cause de ces préjugés. À certains aspects, c’est vrai, il n’y a pas de master en volcanologie en Belgique, on n’a pas d’équipes dédiées aux volcans (même si ça commence à changer car une partie des professionnels de ma génération accèdent à des postes de professeur, nous sommes désormais quatre jeunes professeurs dans trois universités différentes). Si on accepte de partir à l’étranger, il y a moyen de travailler sur les volcans : quand on veut, on peut ; il faut juste accepter les contraintes qui viennent avec. Si j’ai un autre conseil qui est plus général, quand on veut rentrer dans le monde de la recherche, c’est d’être vraiment proactif : ne pas attendre qu’on nous serve une opportunité sur un plateau en argent, ça n’arrivera pas sauf dans des cas très exceptionnels. Il faut toujours vouloir apprendre. C’est ça qui est génial, dans le métier de chercheur, c’est qu’on n’arrête jamais d’apprendre.
Est-ce que la connaissance de l’anglais (ou une autre langue) est nécessaire, voire indispensable ?
Alors en Belgique, le néerlandais est un atout à avoir. C’est d’ailleurs un de mes gros défauts. Je vais commencer des cours pour l’améliorer car je travaille au fédéral, et, depuis peu, dans une université flamande. Beaucoup de tâches administratives se font en néerlandais et j’aimerais également pouvoir mieux communiquer avec mes collègues et mes étudiants. La particularité en Flandre, c’est que 80% des cours de master en sciences sont donnés en anglais. Cela montre l’importance de l’anglais dans la recherche scientifique. L’anglais n’est pas utile, il est juste indispensable. On ne sait pas le contourner. C’est la langue internationale de la science : on écrit, on publie en anglais.
Comment envisagez-vous votre avenir professionnel ?
Là, maintenant je viens de démarrer une nouvelle étape dans ma carrière qui est d’être professeur à l’université. Ce que j’envisage, c’est de pouvoir développer ma propre équipe. Quand on est chercheur sans position stable, il y a des contrats à durée déterminée qui sont parfois très courts (dépendant du financement) et c’est plutôt frustrant. Jusqu’il y a peu, je n’avais pas vraiment de vision à long terme. J’avais beaucoup d’idées, mais je devais souvent les laisser tomber ou du moins les mettre de côté. On est sans cesse dans l’évaluation pour rester compétitif sur le marché de l’emploi : il faut publier des articles, obtenir de bons résultats et sans cesse décrocher de nouveaux financements. Mon ambition maintenant, c’est de passer d’un système où je me fais croitre moi-même à un autre ou je permets aux autres de croître, à travers notamment le développement de mon équipe de recherche.