Mr Bruno De Cat, Mr Denis Bosse, Mr Gilles Gobert et Mr Jean-Pierre Deleuze,
Membres du Conseil d'Administration du Forum des Compositeurs
Interview réalisée en août 2011 |
En quoi consiste concrètement le métier de compositeur ?
Si être compositeur est avant tout une manière de vivre, de percevoir le monde et d’y réagir, il existe aujourd’hui de nombreuses façons d’en faire un métier. Les compositeurs sont souvent philosophes, et ils nous demandent : “Que voulez-vous dire par “métier“ ?“ S’agit-il uniquement d’une occupation rémunératrice ? Est-ce un apprentissage ? Un statut, comme celui du juge, du médecin, du prêtre ? Composer, c’est inventer, créer de nouvelles musiques, mais pourquoi, pour qui, dans quels buts ?
Tout d’abord, au risque de schématiser, il y a une distinction à faire entre les musiques qui sont écrites “pour elles mêmes“ : musiques destinées au concert ou à l’écoute chez soi, composées pour un soliste, un ensemble ou un orchestre, un opéra, de la musique électronique, mixte ou acousmatique, etc., (on peut les rassembler sous l’étiquette de “musique classique contemporaine“) et celles qui sont écrites pour servir un autre art ou encore un autre but : les musiques écrites pour le théâtre, le cinéma ou la danse, les musiques pour la publicité ou pour une circonstance particulière (on peut parler ici de “musiques appliquées“, et/ou de “musiques fonctionnelles“). Il est évident que ces deux types de musiques s’influencent et s’enrichissent mutuellement. De plus, ces frontières ne sont pas rigides : il existe de nombreux exemples de musiques “fonctionnelles“ qui peuvent s’écouter pour elles-mêmes. (Les fameuses musiques de Stravinsky pour les Ballets russes par exemple, mais aussi les musiques d’un Thierry De Mey).
S’il s’agit de faire de l’invention musicale son gagne-pain, au sens où l’on tire son revenu de ses compositions proprement dites. Cela concerne surtout les musiques de la deuxième catégorie, même si cette situation n’est pas considérée comme idéale par la plupart des compositeurs !
Cependant, il existe une autre façon de gagner sa vie pour un compositeur : c’est d’enseigner dans une institution pédagogique (académie de musique, école privée, conservatoire) ou encore en cours privés, ce qui se pratique depuis toujours par les compositeurs de la tradition classique.
Parmi les membres du Forum des compositeurs, si la plupart occupent une fonction d’enseignant, certains écrivent des musiques des deux catégories citées plus haut et d’autres uniquement de la musique “à écouter pour elle-même“. Cette dernière, si elle est moins lucrative, offre néanmoins des revenus certains : les compositeurs peuvent être les récipiendaires d’une commande (une somme d’argent forfaitaire reçue pour la composition), d’une bourse ou d’une aide à la composition (publique ou privée – le mécénat). Les exécutions publiques rapportent également des droits d’auteurs aux compositeurs inscrits à la Sabam (société belge des auteurs et des compositeurs et éditeurs).
On peut donc conclure que le métier de compositeur peut s’exercer de diverses manières, et consiste à diversifier ses activités en fonction de son propre choix de vie artistique et des circonstances socioéconomiques en vigueur.
Comment devient-on compositeur ? Selon vous, faut-il avoir suivi une formation particulière ?
Certains diront qu’on ne “devient“ pas compositeur, mais qu’il s’agit d’une qualité intrinsèque à posséder d’une manière innée. De toute évidence, cependant, il faut s’assumer et prendre la décision de faire ou non de la composition son occupation principale. Un tel choix exige, selon nous, une solide formation, ou formulé autrement, un long parcours d’apprentissage, qui prend du temps et de la patience.
Tout d’abord, il est nécessaire d’acquérir une bonne connaissance des instruments, de leurs possibilités techniques et de leur facture (construction des instruments, qu’ils soient acoustiques, électriques ou électroniques). Ensuite bien sûr, il s’agit d’apprendre les techniques d’écriture musicale, actuelles et du passé, en travaillant directement sur les textes et en découvrant au fil d’exercices le compositeur que l’on est.
Bien qu’il existe de nombreux exemples de compositeurs autodidactes, la plupart d’entre eux ont suivi une ou plusieurs formations dans des conservatoires et institutions de pédagogie (stages, résidences) ainsi qu’auprès de “maitres“ ou modèles. Depuis le milieu du XXème siècle, on constate un assouplissement progressif du parcours et des “exigences d’entrée“ aux cours de composition des conservatoires : alors qu’il fallait auparavant passer par un cursus complet d’écriture (harmonie-contrepoint-fugue), la classe de composition est désormais directement accessible à tout musicien inscrit au conservatoire intéressé par ce domaine. Ce qui ne veut pas dire que l’enseignement soit moins poussé qu’avant ! Au contraire, la rigueur des exercices du passé, souvent éloignés de la musique elle-même, est complétée actuellement par un plus grand intérêt pour l’invention musicale proprement dite, que ce soit à travers des exercices de composition ou d’analyse musicale.
Quelles sont les qualités à posséder si l'on veut exercer ce métier ?
Il s’agit tout d’abord d’avoir l’intérêt, le désir et la capacité de s’exprimer dans le monde des sons et des rythmes et de s’intéresser aux domaines qui y sont liés : écritures, rythmique, instrumentation, informatique musicale (analyse du son, composition assistée par ordinateurs, logiciels de composition), systèmes musicaux d’autres cultures, etc. Comme dans tous les métiers de création, les qualités à posséder pour un compositeur sont bien sûr aussi la curiosité, l’esprit d’invention, le grain de folie sans lequel aucune création ne peut voir le jour, la patience, la persévérance, l’indépendance d’esprit.
Savoir gérer sa carrière a toujours été important pour un compositeur : posséder un sens de l’organisation, un talent de communication s’avère très utile !
En Belgique, existe-t-il beaucoup de compositeurs "à temps plein" ou cumulent-ils cette fonction avec d'autres activités ?
Comme c’est le cas pour tout artiste produisant des œuvres, le temps passé par un compositeur à écrire de la musique est considérable et ne se comptabilise pas comme pour d’autres métiers : on peut dire qu’il s’agit souvent d’une occupation permanente, sans relâche. Dans le cas de la composition de “musiques à écouter pour elles-mêmes“, la quantité d’heures passées à écrire est la plupart du temps sans commune mesure avec l’éventuelle rémunération qu’il pourra toucher pour ce travail.
Comme évoqué à la première question, en Belgique, (mis à part les compositeurs de musiques “fonctionnelles“ citées plus haut), si quelques rares personnalités (comme Philippe Boesmans par exemple) arrivent en fin de carrière à vivre uniquement de leurs compositions, la plupart d’entre eux exercent en parallèle un métier d’enseignant et/ou d’interprète, de musicologue ou même d’employé à la radio (Pierre Bartholomée, Luc Brewaeys). Ceci par nécessité matérielle, sans doute, mais au-delà de ces contraintes et du choix de transmettre leur passion, leur savoir, il s’agit pour beaucoup de compositeurs, d’une nécessité artistique. En effet, ces activités parallèles leur permettent d’être en contact avec un public, suscitant la créativité, la remise en question, la recherche, et leur apportent un enrichissement personnel inestimable de par les relations humaines que cela suppose.
Par contre, dans les pays scandinaves comme en Finlande par exemple, l’état octroie un salaire à des compositeurs pour écrire de la musique. Ceux-ci bénéficient d’une assurance matérielle et peuvent organiser leur journée de manière à composer comme toute personne salariée à temps plein. Est-ce un système idéal auquel aboutir, ou bien la composition musicale nécessite-t-elle, pour être de qualité, une lutte, des contraintes ?
Quels sont les domaines pour lesquels un compositeur peut travailler ?
Ces domaines sont nombreux : de la composition pour le concert à celle pour la publicité en passant par la musique de film, de théâtre ; de la pédagogie à l’école à l’enseignement au conservatoire ; de l’interprétation instrumentale à la direction d’orchestre, du journalisme musical à la musicologie ; de la direction artistique d’un festival à la gestion d’un centre de recherches.
Parlez-nous du statut de compositeur en Belgique...
Mis à part la possibilité d’obtenir le statut d’artiste (ce qui est plutôt le cas des interprètes), un compositeur ne bénéficie pas d’un statut particulier. Depuis la scission des ministères de la culture dans les années 1980, il faut différencier la situation des compositeurs en fonction de leur “appartenance linguistique“. Il n’existe jusqu’à présent pas de critère officiel de reconnaissance en tant que compositeur professionnel. Tout compositeur peut faire appel à un certain nombre d’aides publiques (bourses à la composition, aides au déplacement à l’étranger, etc.) et privées (fondations principalement). Ce statut est donc surtout symbolique.
Quelles sont les difficultés qu'un compositeur peut rencontrer au cours de sa carrière ?
La difficulté principale est de faire jouer sa musique, en Belgique et à l’étranger. Les centres culturels diffusent peu de musique classique (3% en 2008 pour la Région Wallonne, d’après les résultats de l’enquête de l’OPC (Obdervatoire des Politiques Culturelles, ce qui ne dit encore rien sur la musique contemporaine).
Il n’existe pas de “modèle économique“ pour les compositeurs de musique contemporaine, ce qui fait qu’ils ne peuvent bénéficier des services d’un agent. Il s’agit donc de gérer sa carrière soi-même, en prenant contact avec les ensembles, les producteurs, les différentes institutions publiques et souvent de créer ses propres structures (ensembles, asbl).
Quelles sont les missions du Forum des compositeurs ?
Le Forum des compositeurs a pour mission, d’une part, d’informer et fédérer les acteurs de son secteur en proposant des recommandations aux pouvoirs publics et, d’autre part, de promouvoir la musique contemporaine de la Fédération Wallonie-Bruxelles en Belgique et à l’étranger. Dans ce but, il gère un site web d’informations et de promotion des artistes ; il organise un festival chaque année, fin novembre ; il publie une revue bisannuelle et il est membre de diverses associations internationales, parmi lesquelles la Société Internationale de Musique Contemporaine et le Forum Européen des Compositeurs.
Quels sont les conseils que vous pourriez donner à une personne qui souhaite se lancer ?
Tout d’abord d’acquérir une formation la plus large et approfondie possible dans le domaine musical, sans oublier des formations qui peuvent préparer la gestion d’une future carrière (marketing, etc). Au moins être en contact régulier avec un “maitre“, une personne avec qui avancer. Participer à des stages, des résidences, en Belgique et à l’étranger. Se nourrir de ce qui a été fait avant, en s’ouvrant à la diversité des musiques. Pour cela, s’informer au maximum des structures existant en Belgique et à l’étranger (conservatoires, centres de documentation et de ressources, lieux de concerts, de résidences, aides publiques, etc.).
Créer un réseau de connaissances avec qui il existe des affinités communes pour développer ensemble des projets personnels. Travailler avec des interprètes. Aller au concert le plus souvent possible, assister à des spectacles d’autres disciplines. S’ouvrir au maximum à ce qui nous entoure, être curieux des autres cultures. Se préparer à être actif dans la communication et la promotion de son travail. S’armer contre le doute.