Mr Didier Buchet et Mr Jean-Marie Leurquin,
Sylviculteurs
Interview réalisée en septembre 2007 |
Quelle est votre formation, votre parcours professionnel ?
D.B. : c'est assez atypique puisque j'ai une formation d'électronicien. Ensuite j'ai fait fait l'école forestière à Chimay. Dans cette école de promotion sociale, j'ai obtenu en 1983 le certificat de capacité en sylviculture qui permettait de postuler pour devenir garde forestier pour les bois communaux. Je suis ainsi entré à la Division Nature et Forêts (DNF) en 1987.
J.M.L. : Chimay est une excellente école. On y arrive plus mature car on a déjà fait quelque chose avant. Pour ma part, j'y ai obtenu mon certificat en 1972 et je suis à la DNF depuis 1974.
Comment pourrait-on décrire le métier de sylviculteur ? En quoi consiste-t-il ? Quelles sont ses particularités ?
J.M.L. : je suis entré à la DNF surtout pour l'aspect sylviculture mais cette partie du métier est aujourd'hui passée au second plan car on gère le milieu naturel dans son ensemble (problèmes de chasse, de braconnage, de pêche, de haies, de ruisseaux, etc.). Mais il y aussi l'aspect aménagement du territoire : nous sommes ainsi consultés pour les permis d'urbanisme. La profession varie selon la perception que l'on en a. Mon collègue a parfois une approche différente de certains dossiers mais nous sommes complémentaires. Je suis davantage un gestionnaire de l'espace naturel tout en espérant rester un sylviculteur de pointe.
D.B. : tout le monde est censé être généraliste mais pour des problèmes plus pointus (ex : plantes rares), on fait appel à des spécialistes. Nous sommes des gestionnaires du patrimoine naturel au sens large même si la gestion forestière occupe une grande place. Ce patrimoine constitue une ressource importante pour nos enfants.
J.M.L. : nous travaillons sur le long terme. Les forêts survivent aux forestiers qui les ont cultivées. On est des transmetteurs de mémoire même si cette appellation est ambitieuse. La diversité des tâches est importante et induit une grande diversité dans notre personnel.
Dans la filière bois, à quel niveau vous situez-vous ?
J.M.L. : tout au début. Nous assurons la production, la sélection des essences forestières et la gestion des peuplements pour amener des bois de qualité sur le marché et en nous adaptant à celui-ci ainsi qu'aux impératifs de conservation de la nature. Il ne faut pas vouloir conserver la nature en négligeant la production ni faire le contraire non plus. La production a des impératifs économiques. Les exploitations sont plus rapides. Avant, le bûcheron mettait deux mois pour abattre un lot de bois. A présent, c'est fait en une journée grâce à la mécanisation.
D.B. : le préposé forestier a vu sa charge de travail augmenter sensiblement en fonction des nouvelles compétences qui lui ont été attribuées et donc diminuer ses disponibilités. On ne gérait pas des problématiques comme l'aménagement du territoire ou les camps de jeunesse. La sylviculture tenait une plus grande place dans notre emploi du temps. Maintenant, on ne fait plus bien souvent que répondre à des urgences, on n'a plus le temps de faire des inspections sans but précis mais qui permettaient d'anticiper certains problèmes et donc de faire de la prévention.
Quelles sont vos tâches principales ? Comment se compose votre emploi du temps ?
D.B. : c'est la gestion forestière, le contrôle de la chasse et de la pêche, la gestion et le contrôle en matière de conservation de la nature, les avis en matière d'aménagement du territoire et toutes les missions de police qui en découlent. Ce sont beaucoup de missions de surveillance. Je ne regarde jamais ma montre. C'est une des caractéristiques du métier.
J.M.L. : la survie de la profession dépend grandement de la responsabilisation qui découle de notre territorialité. Nous nous sentons chacun responsable du territoire qui nous est confié. Nos activités supposent une certaine liberté d'action au niveau de notre emploi du temps qui ne saurait concorder avec un horaire rigide.
D.B. : On s'attache à son travail et à l'évolution de celui-ci. On a le sentiment de gérer une forêt comme si c'était la nôtre car ce métier est une passion.
Quelles qualités incontournables faut-il réunir pour exercer cette profession ?
J.M.L. : une bonne santé et des nerfs assez solides. On a des déceptions à la hauteur de nos passions. Il faut aussi faire preuve de bon sens et avoir de la psychologie car il n'est pas toujours facile de raisonner les gens qui sont en infraction. Nous sommes souvent seuls sur le terrain. Or, dans 80 % des cas, il s'agit de flagrants délits et les risques d'affrontements sont bien réels.
D.B. : parfois, on rencontre aussi des personnes non qualifiées qui travaillent dans les bois et qui dès lors peuvent mettre les autres en danger ou elles-mêmes.
J.M.L. : cela n'arrive pas tous les jours mais il faut garder les pieds sur terre, particulièrement face à des contrevenants qui se rebellent et peuvent être agressifs. Il y a une part de rêve ou d'idéal qui vous fait arriver dans la profession mais les réalités économiques ou sociales sont parfois lourdes à assumer.
Présente-t-elle certains avantages ou des inconvénients (notamment horaires, risques pour la santé, etc.) ? Quelles difficultés rencontrez-vous ?
J.M.L. : en plus de tout ce que j'ai dit précédemment, il y a un risque de maladies (hantavirose, échinococcose, maladie de Lyme) suite à des contacts avec la faune et la flore. La difficulté réside dans le fait de pouvoir combiner ses horaires avec une vie de famille normale.
Qu'est-ce qui vous plaît le plus dans votre métier ?
J.M.L. : tout ! Je ne rejette rien. Le jour le plus triste pour moi, ce sera la veille de prendre ma pension. Je suis assez généraliste, un vrai touche-à-tout. J'ai pu me réaliser dans mon métier car les tâches y sont diversifiées. C'est un métier-passion. Je suis entré en forêt comme on entre en religion. J'adore, par exemple, accompagner une classe d'enfants. Ce qui est fantastique, c'est que si on a une déception, on peut rebondir sur autre chose.
D.B. : la diversité des tâches. On ne fait jamais la même chose d'un jour à l'autre. C'est un métier de passionnés, on ne regarde pas le temps passer. Personnellement, je suis davantage orienté sur les missions de police.
La profession a-t-elle évolué ? De quelle manière ?
J.M.L. : on est beaucoup plus encadré, voire contrôlé, et souvent obligé, diversité des tâches oblige, de faire appel à des experts. Il y a beaucoup plus de tâches administratives, qui nous empêchent d'être sur le terrain. J'ai parfois l'impression que les gens sont jaloux de notre liberté et s'imaginent qu'on ne fait rien.
D.B. : c'est vrai qu'on avait plus de libertés lorsque je suis entré en fonction en 1987. A présent, lorsqu'on va quelque part, c'est qu'il y a un problème à régler, souvent dans l'urgence, ou un objectif à atteindre.
Pensez-vous qu'il s'agit d'un métier d'avenir ?
J.M.L. : pour moi, oui, dans le cas où il s'agit de la conservation du milieu naturel de manière générale. Les autres aspects du métier n'ont pas régressé. Il faut au contraire être de plus en plus pointu tout en conservant une vision générale. Bref, on ne doit pas devenir des spécialistes, on doit continuer à regarder les choses à 360°C.
D.B. : je suis assez sceptique concernant l'avenir car une restructuration est en cours. Le forestier de demain ne sera plus celui d'aujourd'hui. Par exemple, sur Viroinval, on va perdre trois postes sur dix-sept. Donc, ceux qui restent vont avoir davantage de travail ainsi qu'une plus grande zone à couvrir. On devra agir par priorités, ce que nous faisons déjà actuellement, et sûrement travailler davantage en équipe. Cela dit, beaucoup de jeunes suivent les cours, effectuent leur stage et veulent rentrer dans l'administration forestière.
Quel conseil pourriez-vous donner à quelqu'un intéressé par ce métier ?
D.B. : au départ, il faut être passionné et avoir une grande disponibilité car on peut être appelé à toute heure pour de multiples tâches : une infraction, un accident de voiture avec du gibier, des personnes qui nous apportent des animaux trouvés ou encore du braconnage.
J.M.L. : il faut être costaud mentalement et physiquement, avoir un idéal et parallèlement beaucoup de bon sens. En fait, le métier est très beau mais les déceptions ne sont pas rares et il faut donc régulièrement se raccrocher à cet idéal.