Mme Frédérique Thewissen,
Directrice de la Direction de Géotechnique au Service Public Wallonie – Mobilité et Infrastructures
Interview réalisée en janvier 2021 |
Est-ce que vous pourriez vous présenter en quelques mots et parler de votre parcours académique et professionnel ?
J’ai une formation d’ingénieur civil géologue puis d’ingénieur des mines, toutes deux de l’ULg. J’ai réalisé la seconde alors que je travaillais déjà au MET car, à l’époque, les formations étaient classées en grade académique et grade scientifique. Pour être nommé dans des administrations, le grade légal était requis. La formation d’ingénieur civil géologue disposait d’un grade scientifique tandis que celle, plus ancienne, d’ingénieur civil des mines était reconnue au grade légal. La différence était liée au fait que le contenu des cours était ou pas défini dans un texte de loi. J’ai refait, tout en travaillant, une année complémentaire d’ingénieur des mines afin d’accéder à des postes statutaires.
J’ai terminé mes études d’ingénieur civil géologue en juin 1991. J’ai travaillé de juillet à octobre 1991 dans un bureau d’études qui s’occupait de la réhabilitation d’une décharge, ce que l’on appelle maintenant des centres d’enfouissement techniques. En même temps est parue une annonce de recrutement pour le MET – l’ancêtre du SPW – l’opération dite « Nouveaux Ingénieurs » autorisant d’engager 40 ingénieurs à titre contractuel, ce qui était plutôt inédit. C’était peu après la création du MET (issu de la deuxième vague de régionalisation de compétences, dont les travaux publics). La pyramide des âges étant plutôt inversée, ils avaient beaucoup de personnes partant à la pension et peu de jeunes. Je suis donc entrée à la Direction de la Géotechnique mi-octobre 1991. J’ai réussi des concours de recrutement au SELOR (ex SPR) et ai ainsi atteint mon objectif d’être nommée en tant qu’ingénieur des Ponts et Chaussées à la Direction de la Géotechnique. Désormais, j‘en assure la direction depuis le 1er janvier 2018.
De quoi s’occupe la Direction de la Géotechnique ?
Nous sommes une entité du SPW - Mobilité & Infrastructures (routes, voies hydrauliques, etc.). Nous faisons partie d’un département d’expertises techniques, qui comprend notamment les compétences en matière de géotechnique. Nous sommes au service, en priorité, de nos collègues (clients internes) du SPW - MI mais nous collaborons également avec d’autres SPW (ARNE, archéologie, mines, etc.).
Nous intervenons le plus en amont possible dans des projets de construction gérés par nos collègues, en phase d’étude ou de pré-étude (routes, ouvrages d’art, aéroport ou barrage par exemples).
Nous effectuons également le suivi de chantier d’un point de vue géotechnique.
Nous pouvons aussi placer une instrumentation pour un suivi régulier de l’ouvrage au cours de sa vie (mesure du niveau de la nappe phréatique ou détection d’un glissement potentiel par exemple).
Nous surveillons également d’anciennes carrières/exploitations souterraines car il est important de détecter tout signe précurseur d’instabilité pour éviter des dégradations catastrophiques en surface.
Nous effectuons le diagnostic de stabilité de parois rocheuses sur ou à proximité immédiate du domaine public quand un signal d’alerte s’est manifesté (de quelques cailloux tombés au milieu de la route à un effondrement plus important). Nous définissons les moyens de confortement à mettre en œuvre pour sécuriser les lieux à court, moyen et long termes.
Nous gérons la réception technique préalable des matériaux liés aux ouvrages géotechniques et nous sommes également organisme d’inspection accrédité dans le domaine des granulats.
La Direction de la Géotechnique réalise des essais de sol in situ et en laboratoire. Nous offrons notre meilleure expertise en concevant une campagne géotechnique adaptée au contexte géologique et au projet pour lequel notre intervention est demandée. La réalisation d’essais en laboratoire nécessite le prélèvement d’échantillons, le plus souvent par forage.
L’autre essai géotechnique in situ le plus connu en Belgique est certainement l’essai de pénétration statique : il consiste à enfoncer à vitesse constante un train de tiges terminé par une pointe dans le sol avec une force allant jusqu’à 200 kN (20 tonnes) et à mesurer la résistance à la pointe et au frottement le long des tubes. Cela nous permet, d’une part, de calculer des capacités portantes et, d’autre part, par expérience, de connaître la nature des terrains rencontrés.
Qu’il s’agisse d’essais in situ ou en laboratoire, l’objectif est de caractériser le sol de façon à concevoir le projet de manière adaptée. Globalement, le terrain lui ne peut être changé …
Quelles sont les différentes étapes d’un projet ?
Quand nous recevons une demande d’un de nos clients, la première action est de vérifier le contexte dans lequel le projet se trouve. Nous consultons la carte géologique de la Wallonie, les cartes géotechniques (quand elles existent) et les informations déjà disponibles dans notre propre base de données (archives depuis 1937). Une fois la récolte des informations terminée, nous croisons tous ces éléments pour avoir une bonne idée du site que l’on va investiguer. En fonction de cette recherche et du projet, le gestionnaire géotechnique du projet va conseiller une campagne d’essais adaptée. Ensuite, nous la mettons sur pied : pour ça, il faut disposer des autorisations d’accès (c’est le client qui s’en occupe) et de la position des impétrants éventuels dans la zone. Les contrôleurs et topographes de notre équipe vont vérifier l’accessibilité pour nos équipements d’essais. Ils implantent également les essais et relèvent les coordonnées (x, y, z) de ces emplacements. Le gestionnaire de projet de la direction de la Géotechnique récupère les résultats et les interprète afin de tirer les conclusions pour le projet.
Nous travaillons avec nos clients et/ou collègues des directions territoriales. Lorsqu’ils s’adjoignent les services de bureaux d’études, nous collaborons avec ceux-ci.
Y a-t-il des outils particuliers que nous ne connaissons pas ?
D’un point de vue géotechnique, le portail WAL’ON MAP nous est d’une grande aide. Il est accessible à tous sur internet.
Au niveau des projets routiers, il existe un cahier de charges type : Qualiroutes. Il permet de ne pas réinventer la roue à chaque projet et sert donc de base à la rédaction du cahier spécial des charges relatif aux travaux de chaque projet. Les entrepreneurs vont remettre le prix sur base du contenu de celui-ci.
Comme tout référentiel, Qualiroutes est évolutif et se nourrit des expériences du secteur. Avec mes collègues, nous travaillons à l’améliorer continuellement. Cela prend du temps mais cela nous permet de garantir la qualité et la pérennité des ouvrages qui vont être construits.
Comment devient-on géotechnicien ?
Pour être géotechnicien, il faut suivre des études d’ingénieur des constructions, ingénieur des mines ou géologue puisqu’on a besoin des compétences spécifiques de chacune de ces formations : c’est tout ce côté pluridisciplinaire qui fait la force de chaque équipe. Notre direction comporte aussi un hydrogéologue, par exemple, qui étudie les interactions entre les nappes phréatiques et nos projets de construction.
Sur quoi le géotechnicien se concentre-t-il ?
En résumé, c’est l’étude du sol, son comportement et son interaction avec tous les ouvrages. Pour tous projets de construction, il est nécessaire de pouvoir modéliser suffisamment le sol pour que l’ouvrage soit conçu de manière adéquate afin qu’il soit durable. Par exemple, lorsque l’on veut construire un pont, il est nécessaire de connaitre à quel niveau, dans quel type de terrain on va l’asseoir. C’est exactement pareil pour une maison : le terrain doit supporter la surcharge que le bâtiment va apporter. Il ne faut pas de tassement, différentiel de surcroit. En effet, si on est à cheval sur deux types de terrains qui vont avoir des comportements différents, il est nécessaire de le savoir au préalable de manière à concevoir le système de fondations pour que l’ouvrage construit soit pérenne.
Vous avez évoqué précédemment le travail en laboratoire mais est-ce qu’un géotechnicien est régulièrement amené à se déplacer ?
L’équipe est composée d’une large gamme de compétences. À l’aval, il y a des gestionnaires géotechniques de projet qui ont fait des études supérieures de type long (sciences de l'ingénieur industriel des construction, ingénieur géologue, ingénieur des mines, géologue). À l’autre bout de la chaine, pour réaliser les essais, le personnel n’a pas de formations scolaires et académiques, il est formé en interne. Entre les deux, l’équipe comprend des contrôleurs et des topographes qui organisent toute la logistique chantier mais aussi du personnel administratif.
En dehors de ce personnel administratif, tous les agents de la Direction de la Géotechnique sont amenés à se déplacer. Préalablement à la conception d’une campagne géotechnique, le gestionnaire géotechnique de projets doit consulter toutes les données géotechniques déjà disponibles et s’assurer de leur représentativité sur le site à investiguer. C’est important d’aller jeter un coup d’œil sur place car l’observation nous permet par exemple de dire qu’un terrain ne paraît pas naturel parce que le relief n’est pas logique à cet endroit-là.
Pour ce qui est de la réalisation des essais, ce sont des équipes de techniciens spécialisés qui s’en chargent, pas le géotechnicien. Nous travaillons sur toute la Wallonie, pas seulement sur Liège, même si nos bureaux s’y trouvent, donc des déplacements en Wallonie sont fréquents.
Admettons qu’une personne soit intéressée par la géotechnique : quelles sont les qualités qu’elle doit avoir ? Est-ce que vous auriez des conseils à lui donner ?
Il faut quelqu’un qui, malgré tout, soit sensible au fait que la nature n’est pas une structure calculée ou manufacturée. Donc, si un ingénieur en construction est un peu plus axé sur le calcul de structure et la modélisation, il doit avoir l’esprit ouvert et comprendre que la nature n’est pas prévisible à 100%.
En ce qui concerne la réalisation des essais in situ, il ne faut pas avoir peur du mauvais temps. On ne sort pas que les jours où il fait beau !
Pour les essais de laboratoire, il faut quelqu’un qui possède les atouts de tout laborantin. Avoir l’envie de travailler dans un environnement fermé et être précis !
Que ce soit sur le terrain ou en labo, la qualité de tout ce qui se passe en aval des essais dépend de la qualité des résultats de ceux-ci. Donc si les résultats de nos essais ne sont pas fiables, les calculs ultérieurs seront faussés. Du début à la fin du processus, tout le monde doit être impliqué et méticuleux, comme partout cela dit mais ici particulièrement.
Dans mes recherches, je tombais régulièrement sur des profils d’homme. Est-ce que ce domaine est principalement masculin ou on peut voir de plus en plus de femmes ?
Cela dépend de la tranche d’âge. Quand j’ai fait mes études à Liège, sur 250 étudiants, il y avait quinze à vingt filles, moins de 10%. Maintenant, si on va faire un tour dans les auditoires d’ingénieur, on voit qu’il y a un équilibre qui est beaucoup plus respecté. Oui, ça reste un métier masculin, mais ici dans ma direction j’ai deux géologues qui sont des filles sur sept, plus moi, trois sur huit, ce n’est pas encore la moitié mais on y arrive !
Par contre, les techniciens d’essais in situ sont exclusivement des hommes. Cela est sans doute dû au fait que les conditions sont rudes et les charges lourdes.