Dr Henri Boon,
Médecin directeur d'un hôpital psychiatrique

Interview réalisée en janvier 2005

Un peu d'histoire à propos de la neuropsychiatrie ?

En Belgique il y a 30 ans, il y avait plus de neuropsychiatre qu'aujourd'hui, il n'y aura bientôt plus que des neurologues et des psychiatres. Ces professionnels sont ancrés dans l'approche médicale, il s'agit là d'une différence fondamentale par rapport aux autres professionnels de la santé mentale. Il y a ancrage dans une culture médicale biologique.
Nous sommes des spécialistes de la folie, ce qui est à différencier des troubles mentaux.
La psychiatrie a changé... elle s'est orientée vers l'intégration psycho-sociale et travaille en équipe (les psychologues, les assistants sociaux, les ergothérapeutes, etc.), pour amener le patient vers une réinsertion sociale.
Auparavant les "fous" étaient mis à l'écart de la société. Actuellement la prise en charge est plutôt intégrative.
Il y a des circuits de réinsertion sociale, une série de programme investit pas une équipe et qui prend aussi la société en charge. Nous avons des idéologies et garantir une diversification de celles-ci est une dimension importante. Il y a des psychiatres d'orientation psycho-dynamique analytique, des psychiatres biologistes, comportementalistes et d'autres encore;

Avez vous une fonction dans le recrutement des membres de votre équipe ?

Je suis chargé de faire un appel à candidature, examiner les candidatures et faire des propositions pour le poste. 

Comment qualifiez vous votre approche ? 

Aucune des approches ne représente la vérité, je suis un clinicien dans l'approche individuelle, je travaille au lit du malade et j'utilise une série d'outils à ma disposition. Les maladies mentales sont de plus en plus identifiées avec une origine biologique, cependant une approche sociale est indispensable. Les outils peuvent être psychanalytique, comportementaliste mais ce ne sont que des outils à intégrer dans une approche globale.
Il faut se méfier de la pensée unique, des idéologies. Les modèles ne sont que des références. Il faut avant tout se centrer sur la clinique, c'est à dire sur l'observation, l'écoute sans à priori.

Peut on dire que l'approche de la psychiatrie comme celle de la psychologie est évolutive dans le sens où l' on ne sait pas encore trop dans quelle sphère on évolue à la fois en tant que patient et comme intervenant ?

A chaque consultation il faut regarder la personne comme si c'était la première fois, revenir sur ce que l'on pensait. Je dirais qu'en psychiatrie et en psychologie, comme évoqué avant, il faut certes écouter, observer mais cela ne veut pas dire qu'il ne faut faire que cela, il ne faut pas craindre l'intervention ou de proposer des stratégies , il faut avoir un projet stratégique ou thérapeutique, tout projet n'étant pas nécessairement thérapeutique, un cerisier ne pourra jamais donner de pommes ! Il faut se méfier de cette attitude facile de rester uniquement dans l'écoute, il faut des modèles de références, une culture derrière soi, les considérer comme tels et non comme des étiquettes à coller ou à appliquer.
Trop de personnes se plaçant comme thérapeute n'articule leur pratique que sur une seule méthode et applique la même à tort et à travers sur tout le monde. C'est comme si nous n'utilisions qu'un seul anti-diabétique pour soigner tous les diabètes.
Il faut être capable de passer la main à des gens plus adéquats. Il faut donc essayer de remettre les choses sur le métier et ne jamais conclure. Mais travailler dans un partenariat.
Nous entrons en collaboration avec le patient ou le client, nous sommes son partenaire dans la stratégie. Cela ne doit pas se faire de manière ex-cathedra mais c'est dans l'interaction que l'on va prescrire un médicament en expliquant les raisons de la prise de ce médicament, les effets secondaires et ne pas oublier qu'en effet, certains médicaments sont très efficaces.

Nous sommes d'accord sur le fait que le patient est un élément fondamental dans cet accord de stratégie ? Le patient a t-il changé, est il différent de ce qu'il était il y a de nombreuses années ?

Il y a une telle mauvaise information du public, de telles erreurs ou idées fausses véhiculées par les pseudos experts, ceux qui s'expriment à la volée à la télé, qu'il est vrai que le patient se croit au courant et qu'il prend position en acceptant ou non tel ou tel traitement. Cela peut revêtir un caractère catastrophique. Pour exemple, prenons le rejet du médicament suite à l'influence des médias. Des patients se croient informer, recherchent la performance que le médecin ne peut leur donner simplement parce que ces patients n'ont pas la capacité d'atteindre ces performances. Il y a plus d'exigences.
Certes il y a des côtés positifs puisqu'ils exigent une qualification supérieure des professionnels. Mais il ne faut pas oublier que le médecin n'est pas responsable de l'existence de la maladie. Le problème est que l'exigence ne correspond pas toujours aux moyens mis à la disposition des médecins, nous sommes de moins en moins outillés. Il y a une médecine à deux vitesses qui est là bien installée.

La maladie mentale a t-elle évolué dans le sens où ce qui était considéré comme maladie mentale ne le serait plus aujourd'hui de même que le fait que ce qui ne l'était pas à l'époque serait considéré comme maladie mentale aujourd'hui ?

La maladie mentale est toujours là, est toujours aussi fréquente. Ce qui a changé c'est l'approche, on ne considère plus cela comme des maladies de faiblesse, on ne donne plus de traitements moraux, on ne les enferment plus. Le regard des professionnels et d'une petite partie de la population a changé. Cependant le regard de tout un chacun est resté stigmatisant. Il faut avoir eu un fils schizophrène pour se rendre compte de ce que c'est.
L'approche a réellement changé, il y a des groupes de familles, des techniques de réhabilitation etc.

Au départ, dans l'hôpital que vous gérez, y a t-il une prédominance de certaines pathologies ?

Il y a ici 60% de psychotiques, 10% d'alcoolique, 10% de personnes présentant un retard mental, 10% de troubles de la personnalité et de troubles du comportement. C'est un hôpital public et 40% des personnes hospitalisées ne savent pas payer les frais. Cela risque d'augmenter.

Le fait qu'il y ait à l'extérieur des murs de l'hôpital la mise en place de pratiques thérapeutiques telles que des centres de jour, des appartements thérapeutiques, cela a t-il contribué à changer la dynamique de la prise en charge ?

Absolument et je suis un fervent défenseur de ces circuits de soins centrés sur le patient qui va chercher le meilleur de la trajectoire pour le patient dans le réseau d'équipement c'est à dire d'institution qui peut apporter ce meilleur dans la trajectoire. On développera de plus en plus cette notion là.

Quel est le rapport qui s'établit entre un psychiatre et un psychologue ou autre professionnels d'approches différentes ?

On ne peut pas tout connaître, la notion d'équipe pluridisciplinaire ou diversifiée va s'étendre. Ici vous avez des comportementalistes, des psycho-dynamiciens. Le médecin a une vision plus biologique, le psychologue est un peu plus souvent spécialisé dans des approches psychothérapeutiques, le rapport est celui d'une collaboration.

Vous aviez évoqué le fait que la formation de neuropsychiatre va disparaître ?

Les branches se développent tellement qu'il est impossible de tout connaître, c'est l'ampleur des connaissances qui justifient la spécialisation. Il y aura probablement trois branches : la psychiatrie, la neurologie et la psycho-physiologie c'est à dire ceux qui font des électroencéphalogrammes, les potentiels évoqués, des investigations par électronique et imagerie mentale, comme il y a déjà à présent des neuro-radiologue, il y a des neuro chirurgien. La plupart de mes assistants ne font plus d'électroencéphalogramme, non pas parce que ce n'est plus utile, au contraire, c'est encore plus précis et cela nécessite une spécialisation des connaissances qui deviennent trop étendues.

Quels sont les concepts que vous avez intégrés durant votre parcours et parmi ceux ci ceux qui trouvent leur place aujourd'hui ? Lorsque l'on parle d'approche jungienne, qu'est ce que cela représente aujourd'hui ?

Aujourd'hui cela représente tout et rien, il y a beaucoup d'experts et de faux experts. L'approche jungienne est une approche basée surtout sur l'inconscient collectif, elle commence là où finit l'approche freudienne. Freud se centre sur l'inconscient individuel, faisant émerger le refoulé pour débloquer les choses. Lorsque l'on a résolu ses problèmes névrotiques et que l'on est dans la société, on peut alors aller vers ce que Jung appelait les processus d'individuation de soi. C'est selon moi, une approche complémentaire à l'approche freudienne, mais cela n' engage que moi. Il y a des freudiens jungiens, des jungiens freudiens et des jungiens jungiens plus en rapport avec la mystique, la religion et le transpersonnel. Tout le monde s'est inspiré de Jung… c'était un homme qui défrichait beaucoup de choses.

Vous avez également évoqué la sophrologie, est ce une approche utilisée en hôpital psychiatrique ?

La sophrologie n'est peut être pas utilisée dans son fondement philosophique mais ici, les kinésithérapeutes sont formés aux techniques de modifications de conscience. Je préfère utiliser le terme de techniques que le terme de sophrologie. Il y a toujours des gourous qui se servent de ces mirages de la pensée unique. En tant que scientifique je me méfie des étiquettes que l'on colle aux phénomènes naturels. Que l'on appelle cela technique de relaxation, sophrologique, de Schultz ou de Jacobson, tout cela se résume pour moi à des techniques de modifications de conscience.
Le problème dans l'approche psychologique c'est ce que les psys sont très narcissiques et doivent toujours mettre leur nom partout ! Lorsqu'un gynécologue opère un curetage, il ne dit pas qu'il a fait le curetage selon monsieur X ou Y. Mais en psychologie beaucoup insiste sur le fait de mettre un nom…. On est freudien, jungien etc.. sans doute est-ce de là que naissent les conflits entre les courants. Je préfère privilégier la notion de clinique.

Vous avez évoqué succinctement l'hypnose, aujourd'hui, quand l'utilise t-on ?

On utilise l'hypnose quand on est formé à l'hypnose. C'est ce que j'essaie de ne pas faire. Il faut se poser la question fondamentale : y a t-il indication pour utiliser l' hypnose et est ce la bonne technique. Je n'utilise plus ce terme mais uniquement celui de techniques de modifications de conscience. La télé, les pubs, tout cela c'est de l'hypnose ! Les grands hypnotiseurs de notre époque sont les publicistes. L'hypnose est simplement une technique de modification de conscience qui a toujours été utilisée, qui malheureusement pour nous, médecins, a été utilisée par des prêtres, des gourous, par des prophètes et des gens de music hall et donc dévalorisée comme technique médicale. Il n'y a pas que l'hypnose qui soit utile.

Pour en revenir à la fonction du directeur médical, quels sont les savoirs-êtres indispensables ?

Il faut connaître la médecine, la santé publique, ce qu'est l'hôpital et pouvoir gérer les humains avec tous les conflits que cela engendre, un management d'équipe et individuel. Il faut de l'expérience. Je suis directeur médical depuis plusieurs années.

Le directeur médical est nommé de manière indéterminée, comment êtes vous arrivé à ce poste ?

On est venu me chercher, je n'avais pas d'intention de ce type personnellement. J'ai été convaincu par la demande insistante et j'ai trouvé cela passionnant le fait de me retrouver dans la santé publique, dans une institution non-universitaire. Mais je termine ma carrière prochainement, je serai pensionné.

Que fait un psychiatre qui prend sa pension ?

Il continue à travailler avec sa clientèle importante qui attend avec impatience cette disponibilité. Mais le métier est tellement passionnant… difficile de s'arrêter.
Je vais enfin pouvoir lire un tas de livres, suivre quelques cours à l'Université, des cours de cuisine, suivre des cours de jazz. Je suis un ancien saxophoniste. J'ai eu l'occasion de jouer avec pas mal de grands musiciens.

Vous êtes aussi professeur à l'UMons, que représente cette fonction ?

C'est là une partie très plaisante de ma profession, en contact avec des jeunes désirant apprendre. On peut parler de nos expériences, cela nous oblige à nous tenir au courant, à résumer, réfléchir. L'idée de transmettre un certain savoir est très agréable. Mais je vais devoir arrêter prochainement.

Vous êtes à l'initiative d'un 3ème cycle, le DES en psychologie, orientation psychologie des assuétudes et états modifiés de conscience. Quels furent vos objectifs ?

C'est le professeur Dierkens qui est à l'origine de cette initiative, qui m'a demandé de lancer ce DES étant donné mon intérêt pour le sujet, mais l'Université ne continue pas le projet, il n'aura donc plus lieu.

Avez vous écrit ?

J'évite l'écriture d'ouvrage, il y a trop de risque de figer les savoirs et comme je ne pense plus aujourd'hui ce que je pensais hier, ce sont des erreurs de jeunesse. J'ai écrit un livre s'intitulant "la sophrologie", publié en espagnol, en portugais, au Canada… près de 150000 exemplaires vendus et dont je n'ai pas bénéficié de l'apport financier. c'était le premier ouvrage écrit sur la sophrologie. J'ai écrit sous un nom d'emprunt "La sexualité du couple" chez Marabout et des articles. Mais cela date d'il y a 30 ans.

Quels conseils donneriez vous à un.e étudiant.e en médecine qui aurait l'intention de s'orienter vers la psychiatrie ?

J'écrirais en lettre d'or : "Ecoute les anciens, lis les livres anciens, fais ton expérience, ne va pas trop vite pour conclure". Il y a trop de redite et d'ajout à des choses qui existent depuis longtemps. Ce qui ne nie pas l'importance des nouvelles avancées. Un danger reste néanmoins dans le fait de ne pas se servir de l'expérience. Faire son expérience sur le dos des autres est dangereux .

Quelle idée vous faites-vous de l'évolution de la psychiatrie dans les années futures ?

Après le jour il y a la nuit et ensuite de nouveau le retour du jour. Pour le moment nous sommes dans une psychiatrie très biologique, cela n'aura qu'un temps, nous passerons à une autre approche… une suite de cycles. Nous avons perdu un peu de la psychiatrie phénoménologique pour en arriver à la psychiatrie médicamenteuse.

Pouvez-vous précisez ce qu'il faut entendre sous le terme de phénoménologie ?

La psychiatrie phénoménologique veut dire que c'est une méthode de questionnement et une vision anti-naturaliste mais qui ne s'y oppose pas pour autant. Il y a toute l'approche naturaliste , psycho-dynamique, c'est celle qui croit que les choses sont réelles, qui décortiquent tout sur le plan de la chimie et de la physique, c'est l'approche réelle. Et l'approche phénoménologique dit que derrière tout cela il y a autre chose, il y a un être au monde, une entité philosophique qui s'appelle homme et l'on ne peut le réduire à de la chimie, de la physique ou de la psychologie. C'est une approche qui se veut philosophique qui va étudier les modalités d'être au monde. Un phénoménologue ne va pas identifier une pathologie, il ne fait pas de diagnostic médical.

Quels ouvrages sont à conseiller sur le sujet ?

Il y a en un qui a été écrit par Mr Tatosian, professeur de psychiatrie de Marseille, " Introduction à la phénoménologie ".

 
SIEP.be, Service d'Information sur les Études et les Professions.