Mme Marie Bodson,
Professeure de langues classiques à l’Athénée Royal Charles Rogier

Interview réalisée en novembre 2018

Comment présentez-vous les langues classiques à vos élèves ?

Mon rôle consiste à leur faire découvrir le latin, dès la première année du secondaire, à travers des mots et expressions utilisés couramment en français. Le français est une langue romane qui provient du latin, tout comme l’espagnol, l’italien, le roumain et le portugais. Le lien est évident : on retrouve des mots latins dans la racine de nombreux mots français. Les langues germaniques (anglais, néerlandais et allemand) sont aussi concernées, puisque, comme le latin et le grec, elles proviennent d’une langue indo-européenne commune. Les deux plus grandes motivations d’enseigner le latin sont l’étymologie (science de l’origine des mots) et l’orthographe. L’inspection insiste très fortement sur ces deux points. 

Quel est votre parcours scolaire et professionnel ?

J’ai commencé le latin en première année secondaire, je vivais alors en Afrique, et j’ai été d’emblée passionnée. À l’âge de quinze-seize ans, je m’intéressais aussi à l’astrophysique, mais j’étais plus littéraire que scientifique. Ma passion des langues classiques s’est poursuivie durant mes études à l’Université et jusqu’à aujourd’hui. C’est quelque chose que je remarque aussi chez mes jeunes confrères : les classiques sont des gens curieux, qui aiment fondamentalement ce qu’ils font. En début de carrière, à la sortie de mes études en 1983, j’ai connu le parcours du combattant. Il y avait trop de professeurs de latin et pas assez de postes. Beaucoup de mes condisciples de l’Université se sont réorientés, par exemple en travaillant dans des banques. Pour ma part, pendant quelques mois, j’ai vendu du double-vitrage en porte-à-porte, j’ai fait de la télévente, j’ai aussi travaillé comme employée dans une clinique et comme éducatrice dans différentes écoles. Ensuite, j’ai heureusement été rappelée pour donner cours de latin et de grec. 

Vos études vous ont elles bien préparée pour exercer votre profession ?

Les études classiques que j’ai suivies à l’Université duraient à l’époque quatre années, maintenant elles durent cinq ans. J’ai gardé des souvenirs magnifiques de mes cours et de mes professeurs et j’en suis sortie avec un beau bagage intellectuel. Cependant, au niveau de l’agrégation, nous effectuions nettement moins d’heures de cours pratiques que ce que l’on exige actuellement. En matière de pédagogie, il me semble que j’ai principalement appris le métier d’enseignante sur le terrain.

Travaillez-vous seule ou en équipe ? Collaborez-vous avec d’autres enseignants ?

Notre préfète a regroupé nos locaux par discipline, ce qui facilite davantage la communication. Par exemple, pour la troisième année, je me suis mise au diapason de mes collègues qui imposent l’étude du cahier de vocabulaire latin, même si je dois parfois adapter ces exigences avec ma propre façon de donner cours. En gardant une certaine liberté, nous échangeons des idées, des textes, des tableaux d’évaluation, des méthodes de travail. Il y a aussi une interdisciplinarité avec les cours de français, d’histoire, parfois de mathématiques, de sciences et de géographie (exemple très concret : l’éruption du Vésuve).

Combien d’étudiants encadrez-vous ? Avez-vous parfois des stagiaires enseignants en formation dans votre classe ?

Cette année, j’ai deux classes de première année (24 et 26 élèves), deux classes de deuxième année (25 et 13 élèves) et une classe de troisième année (24 élèves). J’ai eu à plusieurs reprises des stagiaires en formation ces dernières années. Je trouve cela magnifique, ils m’apportent beaucoup. J’aime leur jeunesse, leur fraîcheur, leur spontanéité et leurs façons d’aborder les leçons. Nous partageons une même passion, un même désir de bien faire. Ils sont travailleurs et méticuleux. Il faut être conscient que cela entraîne aussi plus de travail pour l’enseignant qui corrige toutes leurs préparations et leur suggère des améliorations.

Quels sont vos horaires de travail ? Enseigner dans l’enseignement secondaire nécessite-t-il beaucoup de travail à domicile ?

Je donne actuellement 20 heures de cours par semaine (20 périodes de 50 minutes). Pendant de nombreuses années, j’en donnais 24. Mais le travail de l’enseignant ne se borne pas à cela. Même avec mon ancienneté, je travaille beaucoup en dehors des heures de cours. J’ai dernièrement consacré la plupart de mes congés de Toussaint au remaniement de tous mes cours, notamment pour donner suite à une demande de notre préfète concernant un changement de police de caractère (afin de faciliter la lecture). Les préparations, remaniements et corrections nous demandent des heures de travail à domicile. Les enseignants travaillent aussi le week-end et pendant les congés scolaires. En ce qui me concerne, j’ai travaillé tout le mois de juillet sur mon nouveau cours de troisième année, mon dossier de journée "portes ouvertes" et mon cahier de matières vues dans lequel nous devons faire apparaître les leçons de l’année scolaire à venir. Toutes disciplines confondues, mes collègues et moi-même partageons également le constat que nos choix de lecture personnels sont le plus souvent influencés par nos cours et par ce que nous pourrions partager avec nos élèves.

Quels sont les aspects positifs et négatifs de votre métier ?

S’occuper de jeunes est une des plus belles expériences qui soient. S’enrichir soi-même perpétuellement et transmettre ce qui peut nourrir l’âme est un privilège. Malgré ce que nous impose l’inspection, nous avons l’opportunité de laisser libre cours à notre esprit créatif ; on peut toujours enseigner selon sa personnalité tout en respectant le programme et ses exigences. C’est très épanouissant. Les congés scolaires sont aussi très précieux si l’on a des enfants en âge de scolarité. On est en vacances en même temps qu’eux.

Pour le côté négatif, nous sommes parfois confrontés à des enfants qui ne veulent pas travailler et font obstruction. Ils bavardent ou empêchent le déroulement normal du cours. C’est épuisant et pas du tout valorisant. Les notes et punitions ne fonctionnant pas toujours, la direction de l’école est contrainte, dans ce cas, de convoquer les parents pour essayer de mettre un terme à ces comportements perturbateurs.

Quelles qualités faut-il posséder pour exercer ce métier ?

Il faut se remettre en question tout le temps. Mes élèves ont toujours les mêmes tranches âge tandis que moi je deviens chaque année plus âgée ! Je dois être capable de voir les choses avec leur regard et leur point de vue. Il faut aussi rester exigeant, ouvert, patient et avoir beaucoup d’humour, ce qui me manque parfois, faute de recul suffisant. Il faut avoir envie d’apprendre de nos élèves autant qu’ils apprennent de nous. Il faut faire passer l’humain avant tout, être capable de s’arrêter et d’écouter les élèves quand quelque chose ne se passe pas bien dans un cours. Il faut être créatif, varier la façon dont on aborde les choses. Il faut également canaliser sans cesse l’attention des élèves, les intéresser, les motiver et être disponible. Si l'on ne possède pas tous les éléments de réponse à une question posée, il faut être capable de l’admettre et de faire des recherches complémentaires. Si l’on se trompe, il faut aussi l’assumer et corriger ses erreurs. Enfin, il faut rester curieux toute sa vie et développer cette curiosité chez les jeunes.

Quel conseil donnez-vous aux personnes qui souhaitent se lancer dans ce métier ?

Quand j’accueille des stagiaires dans mes classes, je les encourage beaucoup et m’assure d’être très disponible pour eux. Les études sont très difficiles et exigeantes, il faut s’accrocher ! Je leur dis aussi que c’est splendide de pouvoir transmettre leur passion à de jeunes élèves. Il n’y a pas que des élèves difficiles qui ne veulent pas étudier et qui posent problème, on rencontre aussi des élèves extrêmement intéressés et qui excellent dans nos cours, à la recherche constante de sens, de profondeur, d’esprit critique et d’analyse.

Le mot de la fin ?

Quand l’enseignant est passionné, les jeunes le ressentent et vivent le même enthousiasme, la même aventure. Les cours de latin et de grec sont une invitation au voyage dans le temps et dans l’espace. Depuis la préhistoire, les peuples ont marché, migré, se sont mélangés et sans doute unis. On comprend dès lors que le racisme n’a pas de raison d’être. Grâce à l’étude de ces langues anciennes, on peut aborder tous les domaines humains : philosophie, art oratoire, théâtre, poésie, style épistolaire, histoire, sciences, religion, mathématiques, musique, etc. En donnant son cours, le professeur est ainsi, à tout moment, dans une démarche de don. De leur côté, les élèves sont censés le recevoir, avec toute une gamme, une palette possible de réactions selon leur motivation, leur état d’esprit, leur énergie. C’est un métier de partage sans cesse renouvelé, avec ses doutes et ses victoires, à refaire, dans des conditions identiques, je choisirais le même.

 
SIEP.be, Service d'Information sur les Études et les Professions.