Mme Marie Uccellatore et Mme Fabienne Lebrun,
Educatrices
Interview réalisée en janvier 2008 |
Educatrices spécialisées pour l’asbl Aide aux Devoirs et Animations (ADAS) de Saint-Servais.
Quelles études avez-vous entreprises pour devenir éducatrice et quelles ont été vos motivations pour choisir ce métier ?
M.U : après avoir terminé mes secondaires dans une option “photographie“, j’ai d’abord entamé une année préparatoire en cinéma parce que je voulais faire une carrière artistique. Je me suis alors aperçue que ça ne me correspondait pas. Je suis à l’écoute des gens et j’ai besoin de communiquer. Le social me permet d’être moi-même et le métier d’éducatrice allie aussi le côté artistique, ce qui pour moi est indispensable. J’ai donc opté pour le bachelier d’éducatrice spécialisée.
F.L : suite à la rencontre d’un éducateur de rue dont le métier m’a fasciné, j’ai commencé à vouloir faire ce métier à l’âge de 17 ans. Cependant, je me sentais trop jeune et pas assez forte à ce moment-là. Après avoir travaillé plusieurs années dans la restauration et le secrétariat, j’ai décidé d’entamer les études d’éducatrice spécialisée en Promotion Sociale. Ce choix a été guidé par mon envie de donner, d’être utile, d’aider les autres et par le fait que j’aime être à l’écoute des gens.
De manière générale, quelles sont les missions de l’ADAS ?
M.U : la mission principale est d’apporter une aide aux jeunes en difficulté ou en décrochage scolaire à travers différentes activités : une école de devoirs reconnue par l’ONE ; des cours d'alphabétisation pour des primo arrivants de l’enseignement primaire et secondaire ; des animations pour enfants de 6 à 12 ans le mercredi après-midi et pendant les vacances scolaires (théâtre, sport, bricolage, contes, cuisine, etc.), des animations pour adolescents de 13 à 18 ans (sport, visites de musées, permis de conduire théorique, etc.). Le but est de permettre aux jeunes de réaliser des activités qu’ils ne font pas chez eux et de les ouvrir à la différence que ce soit culturelle ou autre.
Comment est née cette école de devoirs et qui y travaille ?
M.U : elle a été initiée par des professeurs d’une école technique et professionnelle (I.T.N. – centre Asty-Moulin) pour répondre aux nombreuses demandes des jeunes issus des quartiers défavorisés, notamment pour apprendre le français. Des bénévoles ont d’abord développé l’asbl, une personne a ensuite été engagée à temps plein et l’équipe actuelle se compose de deux éducatrices spécialisées, d’une assistante sociale, d’un professeur de mathématiques et de physique, d’une institutrice maternelle et de bénévoles.
Quel est votre rôle en tant qu’éducatrice ?
M.U : le travail en école de devoirs permet aux jeunes de devenir plus autonomes. Nous leur apportons une aide, des soutiens au travail scolaire, des cours de français notamment pour les enfants qui ont des parents dont ce n’est pas la langue maternelle. Pour l’aide aux devoirs, je travaille surtout avec les élèves de primaire car je me sens plus à l’aise avec les enfants de 6 à 12 ans, c’est plus concret, il y a plus de manipulations. Mais je travaille aussi avec les jeunes du secondaire avant 15h30. Mon rôle consiste aussi à écouter les jeunes. Certains viennent ici pour avoir un soutien, du réconfort, faire partie d’un groupe. Nous essayons de renforcer l’estime de soi de ceux qui sont en difficultés “psychologiques“ ou scolaires, de les valoriser dans des situations. Nous veillons à instaurer progressivement une relation de confiance. Les activités du mercredi après-midi permettent aussi aux jeunes venant d’autres pays de s’intégrer dans un groupe où beaucoup parlent le français et c’est aussi l’occasion pour les autres de s’ouvrir à d’autres cultures. Nous essayons que les adolescents respectent leurs engagements (arriver à l’heure, prévenir s’ ils ne savent pas venir) et qu’ils deviennent plus autonomes, que les questions viennent d’eux, qu’ils grandissent un peu.
F.L : nous avons aussi comme rôle la conception des projets qui intègre différents éléments : réflexion sur les projets à développer, rédaction des projets pour la demande de subsides notamment, mise en place des activités. Une partie du travail est d’ordre administratif. Nous avons aussi des décisions à prendre comme le ferait une direction pour la demande de subsides, les projets. Etant donné que nous travaillons avec des bénévoles et des stagiaires, notre fonction consiste aussi à les accueillir, les intégrer auprès des jeunes.
M.U : en outre, nous avons une collaboration avec un kot à projet “Kap Nord“. Ce sont des étudiants qui viennent bénévolement nous aider. Nous essayons de participer aussi à des activités qu’ils organisent. Nous participons à des réunions avec d’autres associations et notamment, avec la coordination des écoles de devoirs Namur-Luxembourg. Cela permet de discuter de problématiques rencontrées et de trouver des solutions en commun. Enfin, nous suivons des formations par le biais de la Fédération Francophone des Ecoles de Devoirs. J’ai par exemple suivi les formations suivantes : fabrication d’instruments de musique à partir d’éléments naturels, apprentissage de la lecture, fabrications de jeux de société à partir de matériel de récupération, jeux coopératifs, expression du corps, comptabilité des asbl, etc.
Travaillez-vous aussi avec les familles des jeunes ?
F.L : nous avons des contacts avec les parents lors de l’inscription parce que nous demandons qu’ils soient présents à ce moment. Nous essayons alors de les investir dans la scolarité de leurs enfants. Nous avons plus de contacts avec les parents des élèves du primaire car ils viennent conduire et rechercher leurs enfants.
M.U : nous sommes à l’écoute des parents et nous répondons à leurs demandes dans le cadre de nos activités. Nous les orientons vers d’autres services si nécessaire.
Concrètement, quels types d’animations organisez-vous et comment se déroulent-elles ?
M.U : on organise un camp pendant les vacances de juillet. C’est l’occasion d’effectuer de l’éducation à la santé, en proposant de faire des repas équilibrés. On prépare des activités de divertissement, des idées de bricolages. On amène d’autres valeurs aux enfants. La vie en communauté suscite le respect de l’autre, de sa culture et de ses différences. On a mis en place une école de consommateurs pour les jeunes. Faute de subsides, le projet ne fonctionne plus. A travers des jeux de société et diverses activités, nous voulons leur faire prendre conscience que l’argent se gagne et qu’il faut le gérer pour ne pas être surendetté. Nous faisions aussi de la prévention en les sensibilisant aux questions environnementales comme le triage des déchets, le sur emballage, etc. Le but est aussi que ça remonte dans les familles.
F.L : on organise des ateliers pour aider les jeunes à passer le permis de conduire théorique. Certains jeunes qui suivent une formation en apprentissage via le Centre d’Education et de Formation en Alternance (CEFA) ont besoin du permis de conduire pour être engagés par un patron. Ils ne maîtrisent pas bien le français et n’ont pas toujours les moyens financiers pour se procurer les nouvelles réglementations. On leur explique donc en petit groupe, les conditions pour le passer, les différentes règles de circulation, les Dias, la manière dont ça va se dérouler, les démarches à effectuer.
Qu’appréciez-vous dans votre métier ?
M.U : les enfants et les adolescents sont toujours en demande de plein de choses, ils ont beaucoup d’énergie, ce qui rend le domaine très vivant. De plus, c’est un métier qui bouge, on fait des activités variées. On n’a pas le temps de s’ennuyer !
F.L : certains parents sont reconnaissants par rapport à ce qu’on apporte à leurs enfants, ça fait plaisir ! De manière générale, j’aime ce que je fais mais je préférerais travailler comme éducatrice de rue avec des adolescents ou des adultes en difficultés autres que scolaires.
Quels sont les aspects moins agréables de cette profession ?
M.U : l’ingratitude et le non-retour de certains parents.
F.L : l’ingratitude et peut-être l’aspect pécunier.
D’après vous, de quelles qualités essentielles faut-il faire preuve pour exercer ce métier ?
F.L : écouter, observer et ne pas juger. Il faut être neutre même si ce n’est pas toujours facile.
M.U : pour pouvoir aider les autres, il faut être bien soi-même. On les aide à améliorer leur vie mais on ne fait pas à leur place. On les accompagne et on met en place des outils pour leur permettre de devenir plus autonomes. Il est important de travailler en collaboration avec l’équipe pluridisciplinaire, de donner à chacun une place et l’occasion de s’exprimer. Il faut faire preuve d’ouverture aux autres et à des cultures différentes.
F.L : accepter la personne comme elle est avec ses qualités et ses défauts.
M.U : il faut être disponible pour les gens et reconnaître ses faiblesses. Savoir prendre du recul dans ce métier est une qualité indispensable.
F.L : il faut pouvoir prendre du recul par rapport aux situations rencontrées et savoir fermer la porte quand on rentre chez soi.
M.U : il faut aussi pouvoir canaliser la violence et l’agressivité de certains jeunes. La créativité peut aussi être une qualité utile pour imaginer des stages et des activités.
F.L : personnellement, je ne suis pas créative mais par contre, le travail administratif ne me dérange pas et j’aime animer des activités ciblées comme le permis de conduire, le surendettement, etc.
Quelles connaissances sont utiles dans cette profession ?
M.U : il faut une connaissance de la psychologie de l’enfant et de l’adolescent, les différents stades de leur développement. La connaissance de techniques de communication qui sont des outils essentiels dans ce métier.
F.L : durant les études, on a acquis des bases pour travailler comme éducateur et ensuite en fonction du contexte professionnel, d’autres connaissances sont importantes. C’est la raison pour laquelle il est important de continuer à se former. Pour l’aide aux devoirs, une formation en apprentissage de la lecture est fort utile.
M.U : c’est bien de se tenir au courant des nouvelles méthodologies.
Quels conseils pouvez-vous donner à une personne qui souhaiterait se lancer dans une carrière d’éducatrice ?
M.U : comme expliqué précédemment, il faut être bien soi-même pour pouvoir aider les autres. Les adolescents racontent certaines situations très difficiles. Il faut avoir une certaine force de caractère pour tenir le coup.
F.L : il faut connaître ses limites. Personnellement, je sais que je ne pourrais pas travailler dans certains domaines car je ne saurais rester neutre. Il faut donc savoir refuser un emploi si on sent que c’est au-delà de nos limites.
M.U : les stages permettent de découvrir des secteurs différents. Au départ, je voulais uniquement travailler avec des adultes ou des adolescents. J’ai fait un stage avec des enfants et j’ai été vraiment étonnée de voir à quel point ça me plaît. Les enfants ont toujours envie de découvertes.
F.L : j’appréhendais le travail avec les personnes en situation de handicap pourtant lors d’un stage j’ai changé d’avis. En conclusion, c’est un beau métier, il faut le vouloir, être persévérant et s’accrocher !