Mme Marthe Rivière,
Conseillère en Création d’Entreprise chez Job’In
Interview réalisée en janvier 2016 |
Comment définiriez-vous le métier de conseiller/conseillère en création d’entreprise ?
Chez Job’In, notre mission est très claire car elle est inscrite dans un décret : accompagner les personnes à la création de leur activité en vue de créer leur propre emploi et, dans l’idéal, d’autres emplois à l’avenir. Nous les conseillons, les orientons, les réorientons parfois si on constate une inadéquation entre le porteur d’un projet et son objectif. Le facteur humain est très important dans notre métier : un créateur d’entreprise s’inscrit dans une vie, une famille, un passé, un futur, un réseau, etc. On doit prendre tout cela en considération. Conseils à la création d’entreprise, accompagnement, réorientation, conseils en formations, conseils en réseautage sont autant de facettes du métier. Nous ne sommes pas "que" des concepteurs de business plans, notre rôle ne se borne pas à remplir des papiers. Nous créons de la valeur avant tout humaine et aussi financière. Si le projet se révèle difficilement réalisable, c’est aussi notre mission de le signaler, mais nous devons toujours proposer une alternative. C’est notre raison sociale, notre objectif n’est pas de donner une sentence. Quand le projet est cohérent, nous les encourageons à se lancer, même si nous ne nous positionnons pas comme "coachs".
Pouvez-vous nous présenter Job’In ?
Job’In est une ASBL subsidiée par des fonds publics. C’est une SAACE, c’est-à-dire une structure d’accompagnement à l’autocréation d’emploi. La mission des SAACE a été fixée par un décret du Gouvernement wallon (Décret du 15 juillet 2008 relatif aux structures d’accompagnement à l’autocréation d’emploi) . Le décret prévoit également les ressources nécessaires en interne pour valider la faisabilité et la durabilité d’un projet. Cela ne sert à rien d’aider une personne à créer une entreprise dans un but à court terme, cela la mettrait en danger socialement. Nous sommes aussi une couveuse, c’est-à-dire que nous proposons une phase de test durant laquelle nous "hébergeons" des demandeurs d’emploi. Tout en gardant leur statut et leurs allocations de chômage, ils peuvent prester leur activité sans prendre de risque financier ou d’assurances. Ce sont des fleuristes, esthéticiennes, copywriters, élagueurs de parcs et jardins, micro-brasseurs, etc. Les revenus d’indépendant étant les plus difficiles à obtenir au début, la couveuse permet de faire croître son activité, sa clientèle et son réseau de manière fiable et durable, tout en conservant ses allocations de chômage le temps que l’affaire devienne rentable. C’est un merveilleux tremplin qui peut durer jusqu’à 18 mois. Job’In est présent sur six antennes : Liège, Basse-Meuse, Verviers, Nivelles, Namur et Sambreville.
Combien de personnes travaillent à Job’In Liège ? Quels sont leurs profils ?
Tous postes confondus, onze personnes pour Job’In et trois pour Job’In Design (conseillers spécialisés en création d’entreprises mode/design). Les conseillers viennent de profils d’études variés mais possèdent l’aspect entrepreneurial, soit par le diplôme soit par le vécu. Parmi les titulaires d’un bachelier, beaucoup ont eu une expérience en tant qu’entrepreneur : tenue du commerce familial ou participation à des concours entrepreneuriaux durant les études, etc. Le monde entrepreneurial est particulier et il est important d’avoir développé cette fibre. Les autres profils de conseillers sont des masters : en sciences de gestion/entrepreneuriat, agronomie, etc. Nous avons du personnel administratif également. Peut-être qu’au sein d’autres structures, les conseillers auront tous un profil financier mais chez Job’In il faut avant tout un côté humain car il faut prendre en considération la personne dans son intégralité. La rigueur est incontournable mais notre objectif est avant tout d’être ancrés dans la réalité.
Pouvez-vous nous présenter les différentes facettes de votre fonction ?
J’ai plusieurs casquettes : je suis conseillère en création et formatrice. Je donne des formations de sensibilisation à l’entrepreneuriat, en groupe. Pour la partie conseil, je rencontre individuellement chaque porteur de projet pour discuter de la stratégie à mettre en place : stratégie commerciale, financière et de réseaux. Un entrepreneur ne peut pas être seul, je dois les sensibiliser à rencontrer des gens, à aller frapper aux portes, serrer des pinces, etc. En tant que conseillère, je dois connaître ces réseaux sans quoi ma boîte à outils serait vide. Cela demande également une très bonne écoute et de l’assertivité. J’ai aussi un rôle de représentation de Job’In lors d’évènements extérieurs. Il m’arrive aussi de dépanner mes collègues, quand il n’y a personne à l’accueil par exemple. Il faut être flexible : si je demande de la flexibilité aux personnes que je reçois, je dois en faire preuve également !
A quel public vous adressez-vous ?
Principalement à des demandeurs d’emploi souhaitant créer une activité à titre principal, en d’autres termes à temps plein. C’est notre mission première. Nous ne refusons cependant pas les personnes qui souhaitent créer une activité d’indépendant à titre complémentaire, ni les employés. Nous restons ouverts. Les demandeurs d’emploi ne sont pas forcément dans les meilleures dispositions financières pour créer une entreprise mais ils ont cette envie, ce besoin d’entreprendre. Ce sont eux qui viennent vers nous, on ne va pas les chercher.
Quels sont les conseils que vous donnez aux futurs entrepreneurs ? Que doivent-ils absolument savoir avant de se lancer ?
En premier, il faut commencer par un état des lieux de ce que la personne possède : connaissances, matériel, expérience, réseau, hobby, etc. Nous analysons comment utiliser ces outils à bon escient. C’est toujours plus facile de partir d’une base déjà construite que de zéro. En second lieu, il faut étudier ce qui existe sur le marché : concurrence, clientèle possible, partenaires envisageables, activités-clés, etc. Enfin, on analyse le tout et on monte sa stratégie. C’est comme préparer son bagage : on met toutes ses affaires sur un lit en petits tas et quand on est certain que tout est là, on empaquète. Le package s’appelle un business plan. Le business plan est un emballage, si les informations qu’il contient ne sont pas pertinentes, il est vide. On l’appelle aussi parfois plan d’affaires, plan financier. Pour l’entrepreneur, il est le guide d’utilisation de son activité, son carnet de bord. Il ne doit pas le ranger au fond d’une armoire, c’est sa stratégie ! Face à des imprévus, des aléas, une nouvelle législation, il s’y replongera toujours et son jugement lui permettra d’y apporter nuances et adaptations.
Des exemples concrets de créations d’entreprises réalisées grâce à votre aide ?
La mercerie créative Koxinels (produits d’exception et organisation d’ateliers), dont la responsable est passée par notre couveuse et aussi par CREaSHOP (une initiative de la ville de Liège pour booster le commerce), le centre de psychomotricité Anim’Action à Crisnée, plusieurs projets dans l’horeca, une micro-brasserie, une société de reconditionnement de machines de sport, des comptables, des concepts stores, beaucoup d’activités en bien-être et coaching, des instituts de beauté, de la création de cosmétique, etc. Pour Job’In Design, on retrouve du stylisme (Fabrice Bertrang), de la création de bijoux (Lara Malherbe), Wattitude (produits wallons), du design mobilier, etc. Il y a certaines activités que nous ne prenons pas pour des raisons éthiques. Par exemple, en couveuse, on n’accepte pas de paris sportifs mais on peut proposer un accompagnement.
Quels ont été vos parcours scolaire et professionnel ?
Je suis originaire de France. J’ai obtenu un BAC en sciences et techniques du tertiaire (spécialisé en gestion et comptabilité). Je suis ensuite allée dans un IUT (Institut Universitaire du Tertiaire) à l’Université Paul Cézanne à Aix-Marseille pour mon obtenir un DUT (diplôme universitaire de technologie). On m’a proposé à l’issue de celui-ci une année supplémentaire en Erasmus, un DUETI (diplôme universitaire d'enseignement technologique international), en gestion et comptabilité. C’est durant cette année que je suis arrivée à Liège, à la Haute École de la Province de Liège, où j’ai suivi des cours de logistique, d’e-business, de droit fiscal, etc. Mon objectif était de découvrir toutes ces facettes pour devenir un véritable "couteau suisse" en entreprise. Une amie m’a alors conseillé de poser ma candidature pour entrer à HEC-ULg, où j’ai été acceptée en année passerelle. Dans mon master en sciences de gestion, je me suis rapidement orientée vers la finance. Je m’intéresse plus à la finance d’entreprise qu’à la finance bancaire : comment améliorer les stocks, lisser les coûts, etc. J’étais déjà passionnée par la micro-économie, j’étais fière quand j’entendais que des initiatives locales avaient le vent en poupe ou étaient rachetées par des compagnies étrangères. Je suis ensuite entrée dans le programme HEC-ULg Entrepreneurs durant ma seconde année de master. On y travaille comme consultants externes sur des dossiers réels, en équipes pluridisciplinaires (ingénieurs, communication culturelle, etc.). C’est une année très intense, on ne compte pas ses heures. Emotionnellement, c’est difficile mais cela permet de rencontrer énormément de monde. En tant que Française débarquée à Liège depuis seulement deux ans, je me suis rapidement créé une liste impressionnante de contacts. Il ne faut pas hésiter à sortir de sa zone de confort ! J’ai aussi présenté deux concours entrepreneuriaux, un dans le secteur alimentaire et l’autre dans la création d’un label belge.
Au niveau de mon parcours professionnel, j’ai été embauchée durant un an par une société d’IT (Information Technology) directement à l’issue de mes études, en PFI (Plan Formation-Insertion du Forem). Puis, durant une période de six mois de chômage, j’ai suivi une formation en processus et techniques de recrutement qui m’a permis de décrocher un contrat intérim du côté de Jambes. Après avoir envoyé beaucoup de candidatures, j’ai passé deux entretiens d’embauche, à l’UCM (Union des Classes Moyennes) et chez Job’In, tous deux pour le poste de conseillère en création d’entreprise. J’ai été embauchée chez Job’In car mon profil correspondait à ce qu’ils recherchaient : le côté IT les intéressait pour un projet informatique, le côté social et empathique, ma connaissance de la réalité et des difficultés du chômage, le réseau et le savoir-faire développés durant mes études.
Vos études vous ont-elles bien préparée à exercer votre métier ?
Oui, très clairement. Tout ce que j’ai appris m’a été utile : IT, gestion, comptabilité, finances, etc. Je ne vois pas d’études qui puissent mieux y préparer. Mais il faut aussi des qualités humaines et se former en assertivité, gestion du conflit, techniques de communication, etc. Le développement personnel est très important, nous sommes confrontés à un public large, parfois dans une forte précarité. En face de nous, ce sont des êtres humains qu’il faut faire avancer, dans toute leur complexité. Il n’y a pas deux projets identiques, car chaque personne est unique. Il faut aussi être curieux, lire, écouter la radio, s’informer et faire preuve de créativité.
Quels sont les éléments qui vous ont motivée à faire ce métier ?
Assez étonnement, j’ignorais l’existence de ce métier en sortant de mes études. Je l’ai découvert en lisant la description des offres d’emplois et j’ai trouvé le concept génial.
Quels sont vos horaires de travail ? Etes-vous régulièrement amenée à vous déplacer ?
Selon notre règlement d’ordre intérieur, de 9h à12h30 et de 13h00 à 17h06, du lundi au vendredi. Je peux également me rendre à des évènements en soirée (after-work, conférences, présentations) et faire beaucoup de kilomètres. Je me rends aussi parfois à l’étranger.
Quels sont les aspects positifs de votre métier ?
Avant tout, la mission sociale. Ce qui me fait vibrer, c’est de me promener dans les rues et de voir les enseignes, les commerces qui ont été créés par des gens qui sont passés par Job’In ! Quand je vois un magasin magnifique, qui rapporte de l’argent et permet à cet indépendant et à sa famille de vivre, je sais que j’ai contribué à l’amélioration du tissu économique local. Je suis également très fière quand un porteur de projet reçoit un prix, est interviewé dans la presse ou participe à un salon. Mes collègues de travail sont un autre aspect positif, nous partageons tous la même vision. J’adore aussi les relations partenariales : je rencontre des gens, je découvre, ça me fait réfléchir. Enfin, je reçois beaucoup de reconnaissance de la part des personnes que j’aide.
Et les aspects les plus négatifs ?
Le manque d’argent, tant au niveau du salaire qu’au niveau de la structure. Nous ne travaillons pas dans des conditions optimales, et on ne peut pas comparer cela à la situation d’une entreprise privée. De plus, notre rôle est défini par une institution supérieure qui est parfois fort éloignée du véritable marché.
Quelles qualités faut-il posséder pour exercer ce métier ?
Écoute, assertivité, empathie, curiosité, goût du contact. Il faut aussi être stratège et créatif.
Quel(s) conseil(s) donnez-vous aux personnes qui souhaitent se lancer dans ce métier ?
Je leur conseille de faire tout ce qui leur est possible d’envisager pour cultiver leur profil entrepreneurial. Il faut connaître les structures (Sowalfin, Sowaccess, Sogepa), s’ancrer dans la réalité, entrer dans le réseau. Je leur conseille également d’entreprendre toujours les études les plus hautes, de ne pas chercher la facilité, la simplicité. On a parfois l’impression que les choses sont inaccessibles mais ce n’est pas vrai.
Envisagez-vous de créer un jour votre propre entreprise ?
Je me suis posée la question à l’époque où j’étais au chômage mais mon savoir-faire concernait plutôt des métiers de support. A côté de cela, je n’avais pas de hobby ou de passion me permettant d’en faire une activité professionnelle. Aujourd’hui, j’ai l’impression de créer des entreprises par procuration, par mon accompagnement. Mais je songe tout doucement à me lancer moi aussi …