Mr Michel,
Professeur dans l'enseignement spécial

Comment avez-vous abouti dans l'enseignement spécial ?

A l'époque où je suis sorti de l'école normale (actuellement, Haute-École), il n'y avait pas de place dans l'enseignement. J'ai postulé mais tout était bouché. Comme je ne trouvais rien, j'ai travaillé dans une banque. Mais je gardais toujours en moi ce désir d'enseigner. Finalement, cinq ans plus tard, une école du spécial m'a contacté. J'avais parmi mes connaissances un professeur qui exerçait dans le spécial. Il m'a vivement conseillé d'accepter cette offre d'emploi : "Les enfants sont parfois un peu turbulents mais très attachants", m'avait-il dit. Malgré mes réticences du départ, dues au fait que je n'avais absolument pas été formé à enseigner dans le spécial, j'ai donné mon accord. Je ne l'ai jamais regretté. Quand j'ai débuté, j'ai pu compter sur l'aide de mes collègues, de la directrice et des services d'inspection. Leurs conseils m'ont été précieux et ils ont facilité mon intégration.

Pouvez-vous nous expliquer le cheminement suivi par les élèves du spécial ?

Lorsque les instituteurs remarquent une déficience, quelle qu'elle soit, chez un élève, ils contactent le centre PMS de l'école qui lui fait passer toute une série de tests. En fonction du résultat de ces tests, les psychologues du PMS proposent aux parents de placer leur enfant dans une école spéciale ou non. 

En cours d'année, il peut arriver que l'enseignant constate que l'élève n'est pas à sa place dans le type d'enseignement auquel on l'a confiné. Dans ce cas, il peut convoquer un conseil de classe et demander au centre PMS de reprocéder à des tests. Le PMS est le seul habilité à faire passer un élève d'un type à l'autre.

Un enfant du spécial peut réintégrer l'enseignement ordinaire. Mais il faut faire très attention : les apprentissages sont très différents. Un enfant du spécial travaille à son propre rythme, généralement dans des petits groupes. Dans l'ordinaire, il sera davantage livré à lui-même et devra suivre le rythme imposé par l'enseignant tout en se retrouvant dans un groupe d'élèves plus important. Si les parents souhaitent voir leur enfant réintégrer l'enseignement traditionnel, il est d'abord demandé aux enseignants du spécial de hausser le rythme d'apprentissage pour voir s'il est capable de suivre.

En fait, il faut savoir que toutes les décisions concernant un élève du spécial résultent de la collaboration entre les centres PMS, l'école primaire, les instituteurs et les parents, ceux-ci ayant toujours le dernier mot.

Les élèves dont vous avez la charge souffrent d'une légère déficience mentale. Comment travaillez-vous avec eux ?

Dans ma classe, je travaille beaucoup par ateliers. Je veille à ce que chacun travaille à son propre rythme. Ainsi, je n'impose quasiment jamais une limite dans le temps, du style : "il faut que ceci soit fait pour la fin de l'heure !". 

L'important est tout d'abord de cerner les lacunes de chacun. C'est pourquoi le premier jour de classe, je fais un tour de table et demande à chacun d'entre eux de m'expliquer les problèmes qu'ils rencontrent : certains accusent un gros retard pédagogique (en lecture ou écriture, par exemple), pour d'autres ce sont des problèmes médicaux (épilepsie, dyslexie, etc.). Après quelques jours, je parviens à mieux cerner les besoins de chacun et j'adapte donc le contenu pédagogique de mon cours à ces données. Chaque année, je dois donc retravailler mon cours en fonction de ma classe.

Dans un premier temps, je cherche à être très proche de mes élèves puis, petit à petit, je veille à susciter leur autonomie.

On colle souvent une étiquette aux élèves de l'enseignement spécial. Quelle est votre opinion à ce sujet ?

Il est un fait que l'enseignement spécial est souvent déprécié. Combien de fois n'ai-je pas entendu les termes : "Ecole de fous" ou "Ecole de demeurés". Cela me blesse profondément. L'école dans laquelle je travaille se trouve juste à côté d'un athénée. Ce qui est très bien car les enfants peuvent, à l'une ou l'autre occasion, se côtoyer. Malheureusement, dans certains établissements, on opère une sorte de ségrégation. Moi, je pars du principe que tous les enfants, quelles que soient leurs éventuelles déficiences, méritent tous la même considération. Je conseille à tout le monde de se rendre dans une école d'enseignement spécial pour se rendre compte de ce que l'on y fait, ou plutôt, de ce que les enfants parviennent à faire. Cela leur permettra de revoir leurs jugements.

Quand je vois un enfant progresser, réaliser des choses qu'il ne pouvait pas faire, ou qu'il ne se sentait pas capable de faire, et quand je le vois sourire, heureux d'avoir réussi ce qu'il a entrepris, je suis le plus heureux des hommes.

Quelles qualités doit posséder le professeur dans l'enseignement spécial ?

Il doit être ouvert, accessible, très attentif et avoir une grande faculté d'écoute et d'adaptation. Il doit créer dans sa classe un environnement sain où ses élèves se sentiront à l'aise, en sécurité. Bien souvent, les élèves qui fréquentent le spécial ont connu précédemment plusieurs situations d'échec. Il faut donc pouvoir les (re)motiver, leur (re)donner le goût d'apprendre en établissant une relation de confiance avec eux, et également leur redonner confiance en leurs moyens.

Pour ma part, je cherche constamment à utiliser une "pédagogie positive". Ainsi je déteste sanctionner. Si, lorsqu'ils font une dictée et qu'ils commettent dix fautes, je leur mets 0/10, je dévalorise totalement l'effort qu'ils viennent de fournir. La valorisation du travail effectué est pour moi l'un des meilleurs moyens de faire progresser les élèves du spécial.

Le travail est bien sûr fondamentalement différent selon le type dans lequel on enseigne ?

Oui, c'est certain. Les rythmes d'apprentissage, comme les objectifs pédagogiques, peuvent être très différents. On ne travaille pas de la même façon avec des jeunes souffrant de déficience légère qu'avec des troubles du comportement ou des enfants portant un handicap moteur. Mais l'enseignant n'est jamais seul dans sa tâche. Plus que dans tout autre système scolaire, une collaboration entre tous les intervenants de l'école (direction, inspection, enseignants, centres PMS, parents) est nécessaire. Il est important que l'enseignant ne se sente pas seul dans les problèmes qu'il peut rencontrer au quotidien mais qu'au contraire il se sente entouré. Des formations continues, par exemple en médiation scolaire, en gestion de la violence ou en psychologie de l'enfant, peuvent l'aider dans sa tâche. 

Pour ce qui concerne les enseignants travaillant avec des élèves présentant des déficiences physiques, il me paraît important de préciser qu'ils travaillent en collaboration avec les services paramédicaux de l'école : infirmiers, puéricultrices, kinés, logopèdes, etc. 

Si c'était à refaire ?

Je referais exactement la même chose. J'adore le contact avec les enfants qui suivent ce type d'enseignement. Pour moi, ils sont vraiment "spéciaux", réellement attachants.

En fait, je n'ai qu'une seule critique à adresser à ce type d'enseignement : le manque de suivi des élèves quand ils quittent l'école. Souvent, ils viennent nous revoir pour se faire aiguiller dans leurs démarches de la vie de tous les jours. Je le fais bien volontiers car j'ai beaucoup appris sur les valeurs humaines à leur contact.             

 
SIEP.be, Service d'Information sur les Études et les Professions.