Mme Michelina Nardelli, Potier
Avez-vous suivi une formation professionnelle en céramique ?
Je mentirais si je répondais non à votre question puisque j'ai bel et bien suivi une année de cours du soir. J'ai aussi reçu un prix de meilleur apprenti qui m'a permis de partir en stage au Portugal dans un village habité à 80% par des artisans céramistes. Pourtant, je n'ai guère la sensation d'avoir une formation scolaire. A 12 ans, déjà, je créais des petites pièces : des cendriers, des pots, etc. A 16 ans, je suis devenue apprentie auprès d'un céramiste, ami de la famille. J'ai ensuite été salariée avant de reprendre l'atelier et le magasin de mon père.
Vous avez donc suivi les étapes classiques de l'apprentissage de la céramique ?
Oui, les étapes classiques, qui ne ressemblent en fait à rien ! Nous sommes très peu nombreux dans la profession et, au niveau de l'apprentissage, rien d'officiel et de sérieux n'est prévu. J'ai appris en autodidacte, par passion de la terre.
Que voulez-vous dire par "Nous ne sommes pas nombreux" ?
Il y a peu de place pour les apprentis. Parce qu'il y a peu de professionnels. Si vous consultez l'annuaire, vous vous apercevrez vite que nous ne sommes que quelques potiers pour toute la Belgique francophone. Bien entendu, des gens font de la poterie comme hobby. Mais ce sont des amateurs.
Des places sont à prendre dès lors ?
Oui, mais à condition de commencer très jeune.
Est-il rentable d'être potier à l'heure actuelle ?
Pour ma part, je ne peux pas trop me plaindre. Mais il va de soi que nous travaillons sur notre main-d'œuvre. Je dois produire suffisamment de pièces par jour pour que ce soit bénéficiaire. Sinon, nous serions perdants vu tous les produits industriels qui se trouvent déjà dans le commerce. Vous comprendrez aisément que les prix de nos créations artisanales ne peuvent pas concurrencer les importations de Taiwan. Tous les potiers ne choisissent pas non plus d'être indépendants. Quelques places sont disponibles au sein des entreprises.
Quel est exactement le travail du potier ?
Je préfère effectivement m'appeler "potier" que céramiste. Ce terme est plus vaste et englobe des matériaux avec lesquels je travaille peu. Certains céramistes jonglent ainsi avec les émaux. En ce qui me concerne, j'ai juste une collection d'émaux. J'estime qu'on ne saurait pas être "tout" à la fois. Ma spécialité, c'est vraiment la terre et la technique du tournage. Je crée aussi des pièces rectangulaires, donc coulées, mais cette production reste très minoritaire. En tant que femme, n'ayant pas non plus la force d'un homme, je me suis aussi spécialisée dans les petites pièces, de 30 centimètres environ. Je fais beaucoup de vaisselle et d'autres pièces utilitaires pour la cuisine, ainsi que des vases et des cache-pots. Outre les ventes de mes créations dans le magasin, je travaille aussi pour des restaurants, des clubs, des associations. Il s'agit alors de commandes.
Quelles sont les qualités nécessaires pour exercer votre métier ?
J'estime que le travail au tour exige beaucoup de finesse. La dextérité me semble essentielle. Je l'entraîne et l'améliore encore jour après jour. Cette habileté s'acquiert au fil de nombreuses années d'apprentissage. Voilà maintenant 15 ans que je tourne et il me reste encore de la technique à parfaire. Chaque jour, je fais mes gammes, comme si j'étais violoniste. Il est donc nécessaire d'avoir la volonté et l'abnégation. Il faut aussi avoir de l'imagination. Un magasin de pralines vient de me passer une commande. Il leur faut des créations personnalisées et différentes de ce que je réalise pour mon magasin.
Est-ce donc plus de travail que de don ?
Pour progresser, oui. Mais, l'habileté au tournage, on l'a ou on ne l'a pas. Certaines personnes pourraient tourner pendant des années sans s'arrêter qu'elles ne feraient toujours pas de la poterie fine. Sans prétention aucune, il faut donc admettre une part importante de don dans cet artisanat.
Pouvez-vous expliquer le cheminement de la création d'une pièce ?
Créer une pièce prend en moyenne deux semaines. Heureusement, les créations se font par séries. D'abord, je tourne en fonction de la commande ou en fonction de mes goûts pour constituer les stocks du magasin. La pièce tournée doit sécher librement. Après quoi, elle sera prête pour être nettoyée et signée. Si des ajouts sont nécessaires, comme des anses, c'est souvent à ce moment qu'intervient l'opération. Ensuite, la poterie est mise au four a une température d'environ 1000 degrés. Les pièces cuites sont passées à l'éponge, vernies par trempage, resséchées avant une nouvelle cuisson où rien ne doit adhérer. Une nuit de cuisson et un jour de refroidissement doivent être comptés avant le défournage. Il suffit alors de poncer et les séries peuvent être admises en magasin.
Quels sont pour vous les avantages de votre métier ?
J'aime le contact avec les autres créateurs et avec les clients qui sont parfois de véritables passionnés. Et, puis, au-delà de l'agrément que j'éprouve à tourner, il est aussi plaisant d'être félicitée pour son travail. Des gens viennent parfois me voir travailler. Des écoliers sont amenés par leurs professeurs. Bref, je reçois les privilèges d'une petite reconnaissance sans les inconvénients de la gloire !
Et les désavantages ?
Il y a une part de risque inhérente au statut d'indépendant. Et puis, il arrive que des pièces cassent. Je devais terminer une commande de pichets pour un restaurant et je viens de m'apercevoir que les pièces se sont fendillées dans le four. C'est très embêtant ! Mais soyez certains que les avantages sont beaucoup plus nombreux.