Quelle distinction feriez-vous entre un coordinateur sécurité et un conseiller en prévention ?
En interne, dans une entreprise, on dit conseiller en prévention. Le coordinateur sécurité est une fonction qui existe depuis 2001, elle est complètement indépendante de l’entreprise. Les tâches et missions de ces deux profils sont différentes alors que ces deux métiers touchent directement à la sécurité de travailleurs. Les deux fonctions se voudraient par contre complémentaires.
La fonction de conseiller en prévention existe légalement depuis 1996 et remplace l’ancien titre de chef de sécurité, titre un peu martial qui sous-entendait une prise de responsabilité totale dans l’entreprise.
Quelle est votre formation ?
Je suis ingénieur industriel en construction. J’ai suivi diverses formations complémentaires en sécurité. Il existe trois niveaux de conseillers en prévention qui dépendent de la taille de l’entreprise. Dans une grosse entreprise comme Galère, le niveau 1, le plus haut, est obligatoire
Quelle est la différence entre ces niveaux ?
Dans une petite entreprise, à partir de 50 employés, avec uniquement des employés de bureau, le niveau 3 est requis tandis que pour une entreprise équivalente mais en construction, le niveau 2 est déjà exigé. Au-delà de 200 personnes pour la construction, le niveau 1 est obligatoire. Galère possède trois conseillers en prévention, deux de niveau 1 et un de niveau 2.
A propos de l’obtention de ces niveaux, plus le niveau imposé est élevé, plus la formation est longue et son contenu élaboré. Le tout étant légiféré en fonction du type d’entreprise et du nombre de personnes qu’elle emploie. Le législateur a pondéré un niveau de risques suivant les secteurs d’activités des entreprises.
Comment devient-on conseiller en prévention ?
Je pense qu’il faut d’abord avoir un intérêt à la base pour tout ce qui concerne la sécurité. Durant mes études, je n’ai eu que cinq heures théoriques de cours consacrés à cette matière. Ceci ne provoque que très peu de vocations et ne vous indique absolument pas le panel de responsabilités qui vous attend dans votre vie professionnelle surtout dans des secteurs à risque comme l’industrie ou la construction. Je pense donc que le choix d’orientation professionnelle vient plus d’une fibre personnelle, d’une attention particulière aux aspects sécuritaires. Puis, j’ai eu l’opportunité de travailler en entreprise où il n’y avait pas de conseiller en prévention et le poste a été créé. On me l’a proposé et j’ai trouvé cela tout de suite très intéressant. Ma première formation en sécurité a duré environ 35 jours, preuve de l’étendue de la matière.
Tous les modules de cours sont donnés par des centres de formation reconnus par le SPF Emploi, Travail, Concertation sociale. Ils dispensent des cours, donnent des travaux, organisent un examen et, en fin de formation, délivrent un diplôme reconnu du point de vue légal.
Chaque année, nous devons justifier un nombre d’heures de formation C’est à présent une obligation légale afin de maintenir à jour le niveau de compétence des conseillers en prévention. J’ai passé mon niveau 2 au CNAC (Comité National d’Actions pour la Sécurité dans la Construction). Il s’agit d’un organisme financé par les entreprises. Il y a quelques années, ils organisaient eux-mêmes la formation de niveau 2 et en avaient l’agrément. Les formateurs venaient de la construction, se rendaient sur chantier et donc nous parlions vraiment le même langage. Ils ont, malheureusement, arrêté cette formation et aujourd’hui, nous devons nous tourner vers des centres moins pointus, plus polyvalents et donc moins ciblés. J’ai ensuite suivi le niveau 1 car ayant changé d’employeur, un niveau de formation plus élevé était nécessaire.
En quoi consiste votre métier ?
La fonction de base est de conseiller l’employeur sur la manière d’appliquer dans son entreprise toute la législation relative au bien-être au travail. Le terme légal est le "bien-être" parce qu’il comprend plusieurs domaines dont la sécurité, la santé, l’ergonomie, la charge psychosociale comme, par exemple, le stress au travail ou le harcèlement. Comme vous le voyez, le terme bien-être englobe bien des aspects légaux et l’employeur doit mettre en œuvre une politique structurée dans son entreprise afin d’appliquer les principes légaux relatifs à chacun de ces domaines. Je le conseille pour la mise en pratique de ces différentes obligations. Les nouvelles lois et autres arrêtés sont très fréquents dans le milieu de la construction. Je traduis ce langage de juriste et propose des pistes pour transposer les lois dans l’entreprise.
J’aide aussi l’employeur à établir son plan annuel d’actions et le suivi de ces actions. L’autre aspect du boulot est plus pratique : j’inspecte les lieux de travail, je passe sur les chantiers, je fais des rapports. J’ai la chance chez Galère de ne devoir m’adresser que très rarement au directeur général pour la bonne raison que dans notre entreprise, la sécurité est très bien appliquée et intégrée à tous les niveaux de la structure et qu’il est très rare qu’un problème soit suffisamment grave pour en référer au boss. Il y a une vraie culture de la sécurité (du bien-être).
Dans l’organisation de l’entreprise, la loi impose que nous ne dépendions directement que de la direction générale de la société. Le service de prévention ne dépend donc pas du service personnel ou des ressources humaines. Ceci nous garantit une indépendance vis-à-vis d’hypothétiques influences de la part des différents niveaux de pouvoir de l’entreprise.
Travaillez-vous seul ?
Légalement, un seul conseiller en prévention suffirait pour la taille de notre entreprise or nous sommes trois. Cela fait partie de la politique de la maison. La diversité des tâches l’exige et les entreprises veulent, aujourd’hui, des labels de qualité, des certificats qui prouvent leur sérieux au monde extérieur.
Au delà des tâches et missions légales, le conseiller en prévention actuel doit également s’investir dans d’autres missions.
Premier exemple : il y a trois ans, Galère obtenait la certification de son système intégré QSE (Qualité Sécurité Environnement) qui regroupe tous les aspects sécuritaires. Depuis lors, ce système n’a cessé d’évoluer et de s’améliorer. Après de nombreux audits, notre système est à nouveau certifié pour les trois années à venir. Cela signifie concrètement que, par exemple, si vous faites une visite de chantier, nous abordons simultanément les trois disciplines de manière conjointe et interactive. Vous évitez ainsi de multiplier les formulaires, les intervenants, vous optimisez le temps presté et vous êtes finalement plus efficace.
Autre exemple : si un jour, vous décidez de devenir certifié VCA (Certification qui provient des Pays-Bas, label prouvant que vous faites du management de sécurité), cela veut dire que pendant pas mal de temps, vous mettez en place ce label. C’est un système assez lourd sur toute une série de questions (modèle de rapport, système de diffusion, de suivi, etc.). Vous obtenez enfin votre certificat et chaque année vous êtes contrôlé via un audit qui peut durer plusieurs jours.
Il faut également noter que la plupart des grandes sociétés de construction appartiennent à des groupes internationaux. Ceux-ci souhaitent qu’au niveau actionnariat leurs entreprises soient saines et performantes et vous imposent donc certaines obligations dont des standards de sécurité communs à toutes les entreprises de ce groupe. Ces entreprises sont alors régulièrement auditées afin de vérifier le niveau d’application de ces directives.
Chez Galère, nous avons des audits interentreprises qui se font une fois par an. Cette année, je pars réaliser des audits en Allemagne. Ensuite, c’est un auditeur étranger qui viendra chez nous pendant une semaine.
Vos missions sont multiples ?
D’une part, vous avez toutes les missions de base dont je vous ai parlé et il y a, légalement, un inventaire de tout ce que l’on doit faire et qui doit faire quoi : l’employeur, la ligne hiérarchique, le conseiller en prévention… Puis viennent se greffer toutes les certifications, les exigences du groupe auquel on appartient.
Il y a aussi les missions indirectes comme les relations avec les autorités telle l’inspection du travail, les coordinateurs, les conseillers en prévention des entreprises dans lesquelles nous allons travailler.
Votre rôle est indispensable ?
Légalement, la présence d’un conseiller en prévention est obligatoire. Ensuite, selon la politique de l’entreprise et son implication dans la sécurité, il existe des variantes. Chez nous, la culture d’entreprise est telle que la sécurité est une priorité et des moyens financiers sont dégagés pour aller au-delà de ce que nous impose la loi.
Comment êtes-vous perçu dans l’entreprise ?
Je ne suis pas quelqu’un de très populaire, je suis souvent considéré comme l’empêcheur de tourner en rond. Avec le temps j’ai malheureusement appris qu’une situation dangereuse peut avoir des conséquences dramatiques et je le vis de manière très difficile. Lorsque, vous devez annoncer une mauvaise nouvelle à l’épouse d’un travailleur qui a eu un accident aux conséquences parfois très graves voire plus, vous prenez toute la mesure des conséquences potentielles de chaque situation. Alors oui, parfois il faut être l’emmerdeur pour éviter des soucis à tout le monde et surtout éviter que quelqu’un ne se blesse. Me percevoir comme l’empêcheur de tourner en rond est évidemment très réducteur mais je suis régulièrement perçu comme cela et j’avoue que c’est très irritant.
Il faut beaucoup de motivation pour exercer ce métier parce que le résultat ne se voit pas directement, que du contraire. Lorsque chacun rentre chez lui, le soir, en forme, le résultat est là !
Il reste malheureusement toujours un risque puisque le facteur humain est omniprésent et difficilement maîtrisable. Un accident peut être dû à la précipitation, un travail que l’on fait en deux minutes et qui aurait exigé un quart d’heure par exemple. Il peut aussi arriver par méconnaissance, une grande difficulté du secteur de la construction étant la rotation de la main d’œuvre.
L’adaptation étant plus difficile que la désadaptation, de nouvelles personnes engagées doivent s’adapter à leur nouvelle entreprise, aux nouveaux engins, à une nouvelle manière de travailler. A contrario, s’ils rentrent dans une entreprise où la sécurité n’est pas une priorité, ils auront très vite oublié ce qu’ils ont appris avant. Cette culture de la sécurité exige beaucoup de temps pour apprendre à l’appliquer par contre elle s’oublie très vite si elle n’est pas cultivée ou imposée.
Quand intervenez-vous dans un processus de chantier ?
J’interviens dès le stade de la remise de prix d’un chantier et ce, en évaluant les phases qui vont être dangereuses lors de l’exécution. Que ce soit parce que le chantier est compliqué dans son organisation, dans sa durée et dans la réalisation des travaux. Le coordinateur du projet, externe à notre entreprise, a déjà un plan sécurité parce qu’il doit anticiper sur les risques d’exécution. Il faut donc que je lise ce plan de sécurité, que je l’analyse et le cas échéant, y apporter des exigences supplémentaires qui peuvent être des aménagements ou protections particuliers par rapport à des riverains, des tiers, etc. C’est le deviseur, via une grille d’évaluation du chantier, qui va traduire ces aspects dans une évaluation financière. Cela signifie que, dès le départ, le coût des mesures de sécurité est évalué et intégré dans un budget. Un dossier bien budgétisé limite déjà pas mal de discussion en phase d’exécution.
Ensuite, le deviseur remet son prix au client et si l’on a bien travaillé on remporte le dossier. Puis, nous avons une réunion générale, une réunion de transferts avec différents intervenants dont moi, le chef de chantier, l’assureur, etc. C’est la dernière phase avant l’exécution. Le deviseur repasse le projet en vue, explique ses particularités et le point sécurité est abordé. Selon sa grille d’évaluation, il fait part à chacun des difficultés du projet. A partir de là, j’initie le plan de sécurité : comment, de façon légale, on va organiser la sécurité. Il n’y a pas de document-type, "prêt à l’emploi". Chaque projet a son propre plan. Le but est que les équipes puissent anticiper car des mesures de sécurité anticipées sont bien plus faciles à mettre en place et à respecter. Si, par exemple, le chantier se situe à proximité d’une école, il faut prendre des mesures de sécurité spécifiques. Enfin, le chef de projet nous remet ce document et on le parcourt, on le valide ou on l’amende.
A partir de ce moment, le chantier possède son plan de sécurité, obligation légale pour le commencer. Il est évolutif et est complété par un plan d’installation détaillé. Cette obligation interne liée à la politique d’entreprise reprend, par exemple, le nombre de vestiaires, l’exigence d’un parking différent des zones de stockage, des zones de circulation balisées, etc. Le chantier débute et la direction exige que l’on passe sur chantier après un délai de deux à trois semaines pour s’assurer de son organisation et la vérifier. C’est ce que l’on nomme chez nous l’audit de démarrage. Puis, en fonction du projet, il y a des visites plus ou moins périodiques. On va à la priorité en fonction des chantiers qui tournent bien ou qui ont plus de difficultés.
Là, vous avez clairement une responsabilité ?
Oui. La responsabilité du conseiller en prévention relève du débat parce qu’il y a différents types de responsabilités.
En tant que conseiller en prévention, je ne suis pas responsable de ce qui se passe sur un chantier. Vous vous rappelez d’ailleurs que le SIPP dépend de la direction générale et ne fait pas partie de ligne hiérarchique de l’entreprise. C’est le moyen que le législateur a instauré pour éviter que le conseiller en prévention ne soit le « baudet ». Il faut savoir qu’il n’y a aucune loi pour protéger les gens de ce qu’ils auraient dû faire, de ce qu’ils constatent et de leurs réactions ou pas. Tout document ou grille correctement complété ne me rend pas intouchable pour autant. Je contresigne le plan de sécurité. S’il ne prend pas en compte certains risques ou certaines mesures ou ne les définit pas suffisamment, c’est que je les ai mal évalués et, s’il arrive un accident, la première chose que l’on fait est de vérifier ce plan de sécurité et la question me sera directement posée, à savoir « qu’avais-je prévu sur cette phase durant laquelle s’est produit l’accident ? »
Autre chose, si en passant sur chantier, je remarque une anomalie, par exemple des hommes qui devraient être attachés et ne le sont pas…. Qu’est-ce que je fais ? Je dois le signifier dans le respect de la ligne hiérarchique (conducteur, chef de projet) et la personne responsable doit intervenir. Si le danger est grave et imminent il est bien entendu obligatoire que j’intervienne sur le champ si je ne suis pas accompagné d’un membre de la ligne hiérarchique ! Toute visite sur chantier exige un rapport dans lequel tout problème est constaté, il faut bien sûr évaluer quel type de risque on laisse en suspens. Car qui dit risque dit possibilité d’accident. Mais il y a toujours une certaine pondération, finalement, vous devez évaluer le risque et c’est cette évaluation qui vous donne une sorte de plan d’intervention. La loi est prévue pour éviter certains travers mais sur chantier, il y va de la responsabilité de chacun. Ma responsabilité indirecte est de savoir si je fais mon boulot convenablement, si je remplis toutes mes missions. Ma responsabilité directe est mon appréciation à changer immédiatement une situation si elle est dangereuse ou à donner un laps de temps au responsable de chantier pour changer la situation.
Tout cet aspect légal a fort évolué ces quinze dernières années, non ?
Tout à fait et je me pose parfois la question de savoir où l’on va. J’ai 38 ans, je travaille depuis environ 13 à 14 ans dans la sécurité et je me demande vraiment comment cela va évoluer dans quinze ou vingt ans. J’ai le sentiment que l’on se dirige vers un système à l’américaine. Avant, il existait le RGPT (Règlement général pour la protection du travail), une sorte de livre de recettes qui vous indiquait comment construire une plateforme avec telle charge, tels gardes-corps, disposés à telle hauteur, etc. Aujourd’hui, la loi dit que tout accès doit être aménagé pour garantir la sécurité du personnel. Ce qui, grosso modo, se traduit par vous faites ce que vous voulez mais faites en sorte qu’il ne se passe jamais rien. Nous sommes passés d’une sorte d’obligation de moyen (RGPT) à une obligation de résultat (code du bien-être) Et s’il arrive un accident, c’est que d’une certaine manière quelqu’un n’a pas fait ce qu’il aurait dû faire.
Quelles sont les qualités nécessaires pour exercer votre métier ?
Il faut de la persévérance, avoir une grande ouverture d’esprit pour pouvoir comprendre pourquoi parfois on constate certaines choses mais sans pour autant les accepter, tenir compte du facteur humain également car nous travaillons avec des hommes, pas des machines. Avoir une bonne notion aussi de la limite acceptable, la fermeté de pouvoir dire si elle est dépassée ou pas. Dans ma fonction, je dois en même temps être reconnu par les gens, être disponible pour eux si cela est nécessaire mais eux doivent être disponibles pour moi si je leur demande. Avoir un dialogue possible, une confiance aussi mais formaliser nos constatations ou décisions sous forme de rapports peut déplaire. On peut donc passer en un jour de l’entente à la mésentente et il faut l’accepter.
Quels sont les avantages et les inconvénients de votre profession ?
Avantage(s) : le plus bel avantage est que j’ai l’immense chance de passer par tous les niveaux de l’entreprise. Ma position n’est ni verticale ni horizontale, c’est-à-dire que je passe par tous les services. Je travaille à la fois avec le directeur général et avec le manœuvre mais aussi dans tous les types de projets du bâtiment et du génie civil. Tout cela permet d’avoir une vision globale de l’entreprise.
J’aurai maintenant des difficultés à exercer dans une société plus petite qui ne ferait qu’un seul type de travail. Je peux, lundi, voir la construction d’un tunnel sous Bruxelles (le projet Josaphat), mardi me rendre sur le prestigieux chantier du nouveau siège permanent de l’OTAN et mercredi, visiter un pont. J’ai la chance d’observer des chantiers techniquement très différents et c’est tellement enrichissant. Je suis un technicien à la base et la réalisation technique m’impressionne et m’émerveille.
Inconvénient(s) : le revers de l’avantage précité c’est que je touche à tout mais avec le sentiment que c’est parfois du bout des doigts. C’est un peu frustrant. J’ai peut-être vu un projet naître puis je constate sa réalisation en photo.
Quel conseil donneriez-vous à une personne qui envisagerait de pratiquer votre métier ?
Dans votre métier vous travaillerez avec des techniciens, des hommes qui doivent constamment adapter, prévoir, imaginer comment les ouvrages seront réalisés suivant les contraintes propres à chaque projet. Si vous voulez être reconnu de ces hommes et leur parler à niveau égal, il faut s’intéresser à leurs métiers et à leurs contraintes, rester attentif à la technique car constater un manquement en sécurité est très simple, comprendre pourquoi on en est arrivé là est plus difficile.