Pascal Doison,
Technologue orthopédique et fondateur de Orthopédie Protechnik S.A.
Interview réalisée en octobre 2020 |
Racontez-nous votre parcours professionnel…
J’ai un parcours tout à fait atypique dans le sens où, à la base, j’ai une formation technique en électricité. Puis, j’ai suivi la formation d’orthoprothésiste en travaillant chez un patron et en suivant des cours le soir et le weekend pendant 8 ans.
J’ai commencé au poste d’atelier et j’ai gravi les échelons progressivement. J’ai travaillé pour un patron pendant 10 ans puis, pour un deuxième pendant un an et demi, et j’ai lancé ma propre affaire, il y a 22 ans.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de créer votre propre entreprise Orthopédie Protechnik ?
Mon savoir-faire, le fait de pouvoir décider et confectionner les appareillages comme je voulais. Dans les différents endroits où j’ai travaillé, on était parfois limité ou on nous imposait une certaine façon de faire. Tandis qu’ici, je peux vraiment prendre en charge le patient comme je le souhaite et décider moi-même de ce que j’ai envie de faire comme type de prothèses, orthèses ou autres. Et puis, de nature, je pense que j’avais un esprit plutôt entreprenant.
Quels sont les services proposés par Orthopédie Protechnik ?
La bandagisterie, c’est-à-dire les bandages herniaires[1], les semelles orthopédiques, les lombostats[2], les ceintures abdominales, les chaises roulantes, les tribunes et déambulateurs.
L’orthèse soutient les membres qui ont besoin d’être aidés, qui sont un peu déformés ou déficients, et la prothèse remplace les membres inférieurs et supérieurs qui ont été amputés.
Considérez-vous les bénéficiaires comme des patients ou des clients ?
On a deux activités : une activité de prestataire de soins de santé et une activité commerciale.
Du côté « soins de santé », on va parler de patient parce que l’on réalise des prestations de soins en fournissant un appareillage orthopédique.
On va plutôt parler de client dans la vente médicale puisque l’on propose certains articles médicaux comme des tensiomètres, des vélos d’appartement avec fréquence cardiaque, des accessoires pour personnes à mobilité réduite, etc.
Le patient doit-il toujours avoir une prescription médicale pour faire appel à vos services ?
On a tendance à dire que l’on travaille toujours sur base d’une prescription médicale dans le sens où c’est le médecin spécialiste qui fournit une prescription avec des indications sur le type d’appareillage nécessaire. Cette prescription permet au patient d’obtenir un remboursement de la mutuelle.
Mais, parfois, nous avons des patients qui viennent prendre conseil sans avoir de prescription. Ils ne veulent pas voir de spécialiste parce qu’il faut attendre longtemps pour avoir un rendez-vous, qu’ils doivent partir à l’étranger ou parce qu’ils savent ce qu’ils veulent. S’ils acceptent de ne pas avoir de remboursement, on peut leur donner un avis. Bien sûr, on les renvoie toujours vers le spécialiste parce que c’est lui qui détermine si l’intervention est nécessaire ou non et qui définit le type d’appareillage.
Pour les articles de vente directe, il n’est pas toujours nécessaire d’avoir une prescription médicale, sauf pour ceux remboursés par l’INAMI. La prescription peut être faite par un généraliste pour les chaises roulantes, les tribunes, les déambulateurs et toute la bandagisterie ou par un spécialiste pour les appareillages (orthèses et prothèses) orthopédiques.
Quelles sont les difficultés que vous rencontrez le plus fréquemment dans l’exercice de votre métier ?
Le manque d’informations sur la prescription médicale du spécialiste. On est souvent confronté à une prescription vague alors qu’on a besoin de savoir la pathologie du patient et le détail du type d’appareillage que le médecin envisage. D’ailleurs, il arrive régulièrement que l’on contacte le médecin prescripteur si on a un doute, de manière à bien définir ce qu’il a prescrit et à s’assurer de bien respecter ce qui a été demandé.
On est aussi confronté à pas mal d’administratif, ce qui nous prend beaucoup de temps. Les demandes et procédures sont assez lourdes, il y a des formulaires spécifiques à compléter, les médecins qui renvoient les documents incomplets, etc.
Quels sont les publics que vous touchez particulièrement ?
On peut traiter des bébés qui ont des problèmes de dysplasie de hanche[3] ou des pieds bots[4] , tout comme certains enfants qui sont amputés à la suite d’un cancer des os par exemple, et que l’on va suivre pendant toute leur croissance et jusqu’à la fin de leur vie.
La population étant vieillissante, les demandes augmentent aussi chez les personnes âgées.
Quels sont les différentes étapes de travail dans la création d’une prothèse, d’une orthèse ou d’une chaussure orthopédique ?
A la base, il y a un appel de l’hôpital, par exemple. On s’y rend pour un premier contact, on communique des informations au patient.
On évalue le niveau de l’amputation, on donne les premières explications et on place des moyens de contention pour réduire les œdèmes post-opératoires. Une fois que l’on a le feu vert du médecin prescripteur, on prend les mensurations ou on effectue un moulage sur place. Le moulage se fait souvent avec des bandes plâtrées ou synthétiques, mais on utilise aussi le scan.
Sur base de ces mesures, on confectionne la forme de la prothèse en atelier puis on la fabrique (stratifications, collages, montages de pièces, etc.).
Ensuite, on retourne auprès du patient pour effectuer l’essayage de la prothèse en compagnie d’un ergothérapeute ou d’un kinésithérapeute, on fait des adaptations et on voit si les volumes sont corrects par rapport à la forme du moignon et à la prothèse.
On laisse la prothèse sur place pour que l’ergothérapeute ou le kinésithérapeute puisse faire son travail de rééducation et on repasse régulièrement pour voir s’il est nécessaire d’apporter une adaptation.
Une fois qu’il n’y a plus de douleurs, la prothèse revient en atelier pour la finition et l’habillage (donner une forme de jambe à la prothèse en tenant compte du volume de l’autre jambe).
Viennent ensuite la livraison au patient et les formalités administratives.
Dans le cas des semelles et chaussures orthopédiques, l’empreinte se fait en enfonçant les pieds dans des blocs de mousse pour avoir directement une empreinte en 3D, mais on peut aussi scanner le pied. On utilise différents types de mousses, de résines, d’amortisseurs et de propulseurs qui vont être employés en fonction de la pathologie ou de l’activité de la personne.
Il s’agit donc d’un métier particulièrement polyvalent ?
Il y a un côté manuel et artisanal avec l’utilisation du plâtre, tout en employant les technologies modernes, c’est-à-dire la conception assistée par ordinateur, la modélisation par ordinateur, le fraisage numérique, l’utilisation de différentes densités de silicone pour réaliser des manchons, etc. Les orthèses en cuir et en métal ont tendance à disparaitre pour favoriser l’association cuir-plastique et, actuellement, le carbone est aussi beaucoup utilisé pour des questions de légèreté et de robustesse.
Les prothèses et orthèses électriques se développent aussi. Par exemple, les orthèses de genoux qui peuvent être commandées via le smartphone et une application, ce qui permet de régler la résistance ou d’obtenir des informations comme le nombre de pas qui ont été faits. Ce type d’appareillage nécessite aussi un entretien annuel, rendu obligatoire par l’INAMI, afin de détecter les défauts ou usures qui pourraient endommager l’appareil.
Les technologies évoluent constamment. C’est donc un métier où il est important de continuer à se former ?
Oui, c’est un métier qui est en constante évolution technologique et qui demande une remise en question régulière. Chaque année, nous nous rendons à des congrès, des séminaires et des formations. Au sein de notre union professionnelle, nous avons aussi une Académie qui organise des formations.
D’après vous, quelles sont les qualités requises pour exercer ce métier ?
Il faut avoir beaucoup de patience, de l’empathie, être disposé à travailler avec les gens et être un peu psychologue.
Il faut aussi être intéressé par le travail sur les différents matériaux, vouloir évoluer dans ce secteur et se remettre en question.
Quels sont les avantages et les inconvénients du métier de technologue en orthopédie ?
Dans les avantages, je dirais que l’on n’est pas dans une routine. On sait que l’on a du travail en cours, mais on ne sait jamais ce que l’on va faire de la journée. Par exemple, on avait prévu de faire certaines choses, puis on reçoit un appel de l’hôpital parce qu’il faut aller mettre un corset en urgence ou un patient vient nous voir pour obtenir un renseignement, quelqu’un qui vient à l’improviste pour des semelles… Et puis, chaque cas est différent.
L’inconvénient, c’est l’administratif : les prises de rendez-vous, les déplacements, etc. Et aussi l’exigence des gens pressés d’obtenir l’appareillage rapidement.
Quels sont les profils qui composent votre équipe ?
Le personnel administratif est constitué de secrétaires qui s’occupent des devis, factures, demandes d’accord préalable, courriers aux médecins, demandes de prescriptions, retranscription des rapports médicaux, etc.
Les techniciens sont des bacheliers avec un numéro INAMI. Leur rôle est de prendre les mesures, de concevoir et de réaliser les prothèses, orthèses, etc.
Les ouvriers réalisent le façonnage, la fabrication et la réalisation des appareillages. Dans cette catégorie, on retrouve régulièrement des personnes qui viennent du technique (soudure, ébénisterie, couture) et qui sont formés en interne, ou qui sont en apprentissage sur le terrain. Ils commencent par le collage des semelles, le ponçage puis montent les échelons en fonction de leur dextérité et de leurs capacités.
Pour le moment, on a un manque cruel de personnes qualifiées pour travailler en atelier d’orthopédie, ce qui fait que certaines entreprises sous-traitent cette partie à l’étranger. De nouvelles formations ont vu le jour, ce qui devrait former des ouvriers qualifiés et permettre d’enrayer la pénurie.
Comment voyez-vous l’avenir de la profession ?
Je pense que cela va devenir de moins en moins artisanal et manuel. On s’oriente de plus en plus vers l’impression 3D. Le développement de l'électronique exige des certifications pour effectuer le réglage des appareillages.
L’intelligence artificielle investit aussi les appareillages puisqu’avant, on se contentait de deux électrodes pour faire fonctionner l’emboiture des membres supérieurs alors que maintenant on en utilise huit. Par exemple, on essaie de tisser une sorte de toile d’araignée sur les membres à appareiller en allant chercher la plus petite fibre musculaire possible pour retransmettre le signal. Sur les réseaux neuronaux, des travaux sont en cours pour implanter des électrodes sur le muscle pectoral, qui commande la prothèse. Dans ce cas, c’est le chirurgien qui intervient pour placer les électrodes sur les fibres musculaires et l’appareillage vient en complément.
[1] Qui servent à envelopper une hernie.
[2] Ceinture lombaire qui soulage les douleurs du dos
[3] Développement anormal de l’articulation de la hanche.
[4] Déformation du pied.