Philippe Dierickx,
Directeur de la Gestion hydrologique

Interview réalisée en septembre 2020

Pouvez-vous retracer brièvement votre parcours ?

Je suis ingénieur civil des constructions. Après mes études, en 1994, j’ai postulé au Ministère wallon de l’Equipement et des Transports. J’y ai été engagé pour travailler dans le domaine de l’hydrologie. Au fil des années, j’ai progressivement grimpé les échelons pour devenir directeur de la Gestion hydrologique.

Pourquoi avoir choisi cette profession ? 

J’ai choisi l’hydrologie parce que c’est une science en connexion avec la nature et la réalité. Elle est en perpétuelle évolution. Nous devons continuellement étudier, développer, progresser. J’ai aussi eu la chance de pouvoir créer mes propres opportunités en Wallonie.

Les prévisionnistes avec lesquels vous travaillez ont-ils le même profil que vous ? 

Ils sont tous universitaires mais n’ont pas forcément le même diplôme. Nous comptons dans nos rangs des ingénieurs agronomes ou encore un licencié en géologie.

Quels sont les avantages et inconvénients de votre profession ?

L’avantage de mon métier est qu’il est extrêmement concret et réel. Je suis en connexion directe avec le terrain. Mon rôle est de faire des prévisions (notamment d’inondation) et d’alerter des risques qui peuvent affecter la population, les industries, la navigation, etc. Les enjeux sont donc importants. De plus, à cause du changement climatique, la prévision des sècheresses prend de plus en plus d’ampleur. On parle ici des risques pour l’eau potable, pour les besoins de l’industrie, etc. Un autre aspect positif de mon métier est d’être en contact avec les médias. Ceux-ci nous donnent de la visibilité. Cependant, certains prévisionnistes n’aiment pas cette pression médiatique.

L’inconvénient de mon travail est qu’il faut assurer des permanences. Je dois être disponible une semaine sur quatre, 24h sur 24. On peut donc m’appeler la nuit. Ce sont des contraintes assez spécifiques mais qui donnent de l’adrénaline. En effet, il faut pouvoir se lever à 3h du matin et être capable d’analyser une situation. Par ailleurs, nous faisons des prévisions. Ce ne sont pas des certitudes. Nous interprétons des données qui sont parfois extrêmement variables. Il y a donc toujours un risque de déclencher une alarme alors que ce n’était pas nécessaire, ou inversement, de ne pas la déclencher alors qu’il aurait fallu, ce qui est encore pire. Cela peut engendrer une perte de confiance. Certains prévisionnistes décrochent car ils ont du mal à gérer cette prise de décision et de risques. C’est un métier dans lequel il y a beaucoup de responsabilités. Il faut pouvoir trancher sans avoir peur.

Que se passe-t-il en cas de risque de crue ? 

En amont, nous avons tout un système d’observation et des outils de prévision. Nous suivons des procédures claires si nous jugeons qu’un risque est atteint. Notre premier interlocuteur est le Centre régional de crise de la Wallonie. Selon le niveau de gravité, celui-ci dispatche l’information vers les autorités compétentes : les gouverneurs, les provinces, les communes, etc. Il communique aussi vers les médias. Par ailleurs, notre site Internet permet à ces derniers ainsi qu’aux riverains de s’informer directement de la situation.

Quelles sont les techniques utilisées pour prévoir une crue ?

Les premiers outils sont les prévisions météorologiques, c’est-à-dire ce que l’on voit tous les jours à la télévision. Nous disposons évidemment aussi d’outils beaucoup plus puissants qui nous permettent de prévoir les choses. Grâce à des données chiffrées, on peut ainsi prédire les précipitations ou les sécheresses. Par exemple, prévoir que, dans 15 jours, il fera sec. Ces outils sont cependant insuffisants pour alerter d’un risque d’inondation. Nous nous mettons en phase de vigilance si nous voyons arriver des phénomènes importants de précipitations. Les prévisions à l’échelle de la Wallonie restent très variables. Par exemple, si on annonce 30 litres de précipitations pour le week-end, il n’y a pas de risque d’inondation. Par contre, si ça passe à 60 litres, c’est un problème ! Or, dans le domaine de la météorologie, il y a une grande incertitude. Les modèles prévoient souvent entre 30 et 60 litres… D’où les difficultés de prévision !

Nous avons un réseau de mesures très dense. En effet, une centaine de stations en Wallonie nous permettent de connaître le niveau des précipitations toutes les cinq minutes. Grâce à cela, nous pouvons vraiment mesurer la quantité de pluie tombée. Nous disposons également d’un réseau d’observation sur les cours d’eau pour suivre le niveau des rivières. Evidemment, 60 litres de précipitations en hiver ou en été, cela n’a pas le même impact ! Tout dépend du niveau initial de l’eau.

Toutes ces données, croisées à des observations au sol, nous donnent déjà une bonne idée de la situation et d’une première phase de risque. Mais cela reste encore insuffisant pour prévoir vraiment ce qu’il va se produire, par exemple, à l’échelle d’une ville. Pour cela, nous utilisons des modèles hydrologiques. Ceux-ci se basent sur des observations qui ont été faites sur des dizaines d’années et nous permettent de re-simuler le passé et de l’appliquer au présent. Nous nous servons également des modèles représentant nos bassins versants[1].

Selon vous, quelles sont les qualités requises pour exercer ce métier ?

Il faut être capable d’analyser en détail beaucoup d’informations. Il est aussi indispensable d’avoir une vision globale qui permette de gérer toutes les données et de les transformer en une valeur (par exemple, en une phase de préalerte). Il est également important de pouvoir dégager l’information la plus pertinente. La profession requiert aussi une très grande réactivité. Enfin, il faut être calme et faire preuve de sang-froid.

Avec qui collaborez-vous ? Est-ce un travail d’équipe ?

C’est un travail individuel, mais, en fonction de l’ampleur ou de la difficulté de la situation, nous faisons appel à des collègues qui sont experts dans certains domaines. Ainsi, notre service dispose d’un météorologue qui ne fait pas partie des prévisionnistes mais qui nous aide pour l’analyse météorologique. Nous travaillons également avec d’autres collègues experts qui interviennent selon les besoins (ex : un spécialiste en informations géographiques, etc.).

Quelles sont vos conditions de travail ? 

Je travaille essentiellement dans un bureau ou à domicile lorsque je suis de garde. Je participe à des réunions avec les autorités communales ou dans le cadre de travaux, par exemple.

Quels conseils donneriez-vous à un jeune qui a envie de se lancer dans ce métier ?

De venir chez moi (rires) ! Je lui dirais qu’il aura un rôle extrêmement important à jouer, chargé d’une grande responsabilité. Il sera dans le concret et disposera d’informations qui touchent un grand nombre de gens. Il sera aussi au cœur de l’actualité car ce sont des risques quotidiens. La profession est vraiment en lien avec le changement climatique, notamment en termes de sécheresse. Le travail que nous exerçons est de plus en plus stratégique, non seulement vis-à-vis de la population, mais aussi de l’usage de la ressource en eau. Il y a des enjeux socio-économiques importants liés à la sécheresse, à l’eau potable, etc.

Par ailleurs, le métier de prévisionniste ne se limite pas à la Wallonie. En effet, l’eau n’a pas de frontière. Nous sommes en contact permanent avec la Flandre, Bruxelles, les Pays-Bas, la France, etc. Nous avons donc beaucoup d’échanges internationaux. Nous participons à des réunions, des séminaires, etc. Au-delà, au niveau mondial, nous représentons la Wallonie au sein de l’Organisation météorologique mondiale (OMI), de l’Unesco, etc.

[1] Territoire qui draine l'ensemble de ses eaux vers un exutoire commun, cours d'eau ou mer (www.futura-sciences.com).

 
SIEP.be, Service d'Information sur les Études et les Professions.