Pierre-Emmanuel Vanlaere,
Hydrologue (directeur)
Interview réalisée en octobre 2020 |
Pouvez-vous retracer brièvement votre parcours scolaire et professionnel ?
J’ai fait un cursus en agronomie. J’ai suivi la formation « génie rural » qui est maintenant appelée bioingénieur. Mon objectif était de travailler dans le domaine de l’eau. A la base, je me voyais plutôt partir à l’étranger pour exercer dans la coopération en Afrique ou au Moyen-Orient. Après mes études, j’ai d’abord travaillé dans une société d’informatique car j’avais envie de voir autre chose. Je suis resté 6 mois dans cette entreprise avant de me rendre compte que ce n’était pas vraiment l’emploi que je recherchais. Pendant un an, j’ai effectué d’autres petits boulots, car à l’époque c’était compliqué de trouver un métier dans le domaine de l’environnement en Belgique. Malgré l’envoi de plusieurs CV, je n’ai rien trouvé dans ma branche. J’ai donc fait du secrétariat dans différentes sociétés. Puis, j’ai eu l’occasion de partir au Sénégal, avec Ingénieurs sans frontières, afin de mettre en place un périmètre d’irrigation. A mon retour en Belgique, j’ai décroché un poste chez ARIES, un bureau de consultance en environnement. J’y suis resté pendant 3 ans. Je me suis ensuite installé en tant qu’indépendant tout en continuant à proposer mes services à ARIES. Après cela, j’ai travaillé pour le groupe Suez, en Martinique puis à Aix-en-Provence. En 2012, j’ai quitté la société pour me mettre à mon compte. A présent, je fais vraiment ce que je souhaite, c’est-à-dire de l’hydraulique pure : hydrologie, modélisation de risques d’inondation, dimensionnement d’ouvrages de collecte, traitement et gestion des eaux fluviales.
En Belgique, il y a peu de débouchés en hydrologie pure. J’ai pu collaborer avec quelques sociétés mais le marché est tellement petit qu’au final tout le monde se bat pour décrocher les quelques études lancées par la Wallonie. Par conséquent, les prix sont tirés vers le bas.
En quoi consiste votre travail ? Comment s’organise-t-il ?
J’effectue principalement un travail de bureau. Je ne vais plus beaucoup sur le terrain. Nous utilisons beaucoup Google Street View. Par exemple, j’ai fait une étude en Inde sans mettre les pieds dans le pays. Tout a été fait via Street View. En fonction du type de projet, nous nous rendons parfois sur le terrain pour bien nous rendre compte du contexte sur lequel on va travailler. Par exemple, pour un projet sur les bassins versants de la Petite Gette et de la Haine qui sont des bassins conséquents de 300 km², nous sommes allés sur place. Pour ce type d’étude hydrologique, il faut délimiter les bassins, étudier les pluies historiques. L’objectif est que le modèle que l’on va construire soit calé sur des évènements connus. Il est important que ce qu’on modélise en situation projetée ait un fondement réaliste. Sur le projet de la Petite Gette, l’idée était de fournir à la Région wallonne les outils pour lui permettre de dimensionner les ouvrages de rétention, c’est-à-dire des bassins d’orage. Ainsi, la Région a pu positionner les ouvrages à différents endroits du bassin versant afin de réduire les risques d’inondation sur l’aval. En résumé, on lui donne les débits de pointe afin qu’elle les utilise pour dimensionner ses ouvrages. Nous avons aussi réalisé des études plus complètes qui sont des études hydrauliques. Elles intègrent à la fois l’hydrologie et l’hydraulique. Leur objectif est, par exemple, d’étudier les aménagements qui permettront de réduire les risques d’inondation dans une zone donnée. Pour ce faire, nous construisons des modèles hydrauliques qui caractérisent les risques d’inondation. A partir de la topographie, nous injectons des débits de pointe dans le cours d’eau et nous regardons comment il réagit : quand déborde-il ?, quelles sont les emprises des zones inondables ?, etc. On a besoin de connaissances en hydrologie pour pouvoir définir ces débits. Il y a donc deux volets dans l’étude : un volet hydrologie pure avec la caractérisation des débits, et un volet d’hydraulique qui consiste à définir le risque d’inondation par modélisation. C’est très technique. C’est d’ailleurs pour cela qu’on parle aussi du métier d’hydraulicien car avec l’hydrologie pure, on est quand même un peu limité dans ce que l’on peut faire.
En bureau d’études, on est toujours contraint par le temps. En effet, quand on décroche une étude, on budgétise un certain nombre de jours de travail. On doit donc essayer de ne pas dépasser ce quota pour que le projet reste rentable. Parfois, on a envie de creuser certains sujets, d’approfondir, mais ce n’est pas toujours possible. C’est parfois frustrant. Il faut arriver à remettre les dossiers dans les temps. On écrit beaucoup de rapports, donc il faut avoir un goût pour l’écriture. Les clients ne sont pas techniciens. Ils s’intéressent surtout à la façon dont l’étude est présentée. Il faut que quelqu’un de non averti arrive à la lire et à la comprendre. Il y a donc tout un travail de vulgarisation à faire pour que les rapports soient agréables à lire et compréhensibles par tout un chacun.
Quels sont les aspects positifs et négatifs de votre profession ?
Comme point positif, on travaille pour l’environnement qui est un secteur dont on parle de plus en plus, notamment au niveau des risques d’inondation. J’ai l’impression de pouvoir apporter ma pierre à l’édifice et d’améliorer des situations qui sont problématiques. Je trouve que c’est assez valorisant. De plus, j’aime beaucoup mon métier.
Ce qui peut être négatif, en bureau d’études notamment, (je peux en parler parce que je suis passé par plusieurs bureaux), c’est parfois la qualité de vie qui n’est pas toujours évidente à maintenir dans les grandes structures. J’ai travaillé dans une entreprise de 60 employés. Sur une année, 10% d’entre eux ont quitté le métier car ils étaient dégoûtés par la pression qui leur était imposée. Moi, pour avoir vécu cette pression de rentabilité, j’essaie de ne pas trop la faire ressentir à mes salariés parce que je sais que c’est très désagréable. Dans certaines grosses boîtes, il y a parfois beaucoup de turn-over[i]. Des entreprises privilégient ainsi des jeunes qui sont peu payés et les font tourner pour ne pas devoir leur verser de salaire plus élevé. Le problème également, c’est que les métiers de l’environnement ne permettent pas de gagner énormément d’argent. On exerce plus par goût que pour devenir milliardaire.
Quelles sont les qualités requises pour exercer cette profession ?
Il faut être très rigoureux. En tout cas, c’est ce que je demande aux salariés que j’embauche. Les calculs sont très importants. Quand vous dimensionnez un ouvrage pour une pluie qui peut arriver tous les 100 ans, il ne faut pas que vous vous trompiez dans vos calculs. Et puis, il est important de posséder des qualités rédactionnelles et une bonne orthographe.
Avec qui collaborez-vous ?
Dans notre équipe, ce sont uniquement des hydrauliciens. Pour certaines études, on collabore avec d’autres spécialistes en génie civil ou en hydrogéologie. C’est donc assez varié. En général, si on veut décrocher des offres, on est obligé de s’associer avec d’autres bureaux.
Quels conseils donneriez-vous à un jeune qui a envie de se lancer dans ce métier ?
Je lui dirais de ne pas hésiter à slalomer pour décrocher le boulot de ses rêves. Il faut de la persévérance. Je l’encouragerais aussi à s’expatrier. Le marché belge n’est pas très grand et il n’y a pas énormément de débouchés.
Pourquoi avoir choisi ce métier ?
Depuis que je suis petit, j’ai toujours aimé l’eau. J’avais dans l’idée de travailler à l’étranger. Je pensais que le domaine de l’irrigation me permettrait de faire de la coopération. De plus, l’hydrologie a ce côté « environnement » que j’apprécie beaucoup.
Avez-vous une anecdote à partager ?
Dans notre métier, on doit faire des modélisations de cours d’eau. L’objectif de l’étude que l’on a réalisée en Inde était d’étudier des aménagements pour mettre des quartiers d’une ville hors d’eau (à l'abri des inondations, des remontées d'eau, etc.). Un géomètre local nous a transmis des profils en travers du cours d’eau principal. On nous avait décrit cette personne comme étant l’un des meilleurs géomètres du pays. On ne pouvait donc pas remettre ses études en cause. Sauf que quand je regardais la largeur des profils qu’il m’avait donnés, j’avais un cours d’eau qui empiétait pratiquement de 20 mètres de part et d’autre sur les berges, tel qu’on le voyait via Google Maps et Street View. Il avait donc l’air d’être 40 mètres plus large que la réalité, avec des ouvrages qui flottaient dans l’air 5 mètres au-dessus du fond du cours d’eau. On a donc dû travailler avec des données topographiques qui semblaient complètement biscornues et qu’on ne pouvait pas remettre en question. On a rétréci nous-même la largeur du cours d’eau telle qu’il nous l’avait donnée et on a repositionné les ouvrages qui flottaient un peu dans l’air. Donc parfois, on doit travailler avec des informations un peu surréalistes. Au final, l’étude a pu se faire et tout s’est bien terminé !
[i] Taux de renouvellement du personnel d'une entreprise.