Interview anonyme,
Professeur de droit
Interview réalisée en janvier 2009 |
Qu’est-ce qui a motivé votre choix des études juridiques ?
Aussi loin que je me rappelle, j’ai toujours apprécié les matières juridiques. C’est donc tout naturellement que j’ai fait mon master en droit, à l’ULB. Ensuite, je me suis inscrite au barreau et j’ai été avocate pendant huit ans. Je suis d’ailleurs devenue enseignante alors que j’exerçais toujours le métier d’avocat. Cependant, au fil du temps, je me suis détachée de ma fonction d’avocate et, lorsque le choix s’est clairement posé, je n’ai pas hésité une seconde.
Et vous avez opté pour l’enseignement ?
Exactement ! C’était un choix de réalisation personnelle et de qualité de vie. Le barreau est un milieu très dur où on ne se fait pas de cadeau. C’est accaparant et très difficile émotionnellement parlant.
Ca fait maintenant 20 ans que je me consacre exclusivement à l’enseignement du droit et je n’ai jamais regretté mon choix. Bien sûr, j’ai dû retourner à l’Université pour faire mon agrégation, titre que je ne possédais pas à la base. J’encourage d’ailleurs vivement tous les étudiants à la passer pendant leurs études, au cas où… Il n’est guère exaltant de devoir retourner sur les bancs de l’école, passé un certain âge.
Et, à votre avis, qu’est-ce qui motive les étudiants d’aujourd’hui ?
C’est malheureusement très variable. Si un certain pourcentage est très motivé par les études de droit, il existe un fort contingent d’étudiants qui sont là par "élimination" et un autre "pour faire comme les copains".
Le point positif, c’est qu’un nombre de plus en plus important d’étudiants utilise les passerelles qui existent pour continuer leurs études à l’université après avoir obtenu leur bachelier chez nous. Jusqu’à 15% poursuivent ensuite un master, pas nécessairement en droit, d’ailleurs.
Quel est le profil de l’étudiant en droit dans l’enseignement de type court ?
Il ne faut pas se voiler la face. Il existe une fracture sociale évidente. Bon nombre de nos étudiants seraient tout à fait capables de réussir un master mais, pour diverses raisons, notamment financières ou culturelles, ils n’ont pas la chance de pouvoir essayer. Par un retour de balancier, pas mal d’élèves sont des recalés des Universités qui s’inscrivent ici, persuadés que ce sera plus facile. Mais, bien sûr, sans travail, on n’arrive à rien.
Quel est le taux de réussite que vous rencontrez ?
Comme partout : 40% en première année. Il y a deux facteurs qui expliquent ces échecs. Tout d’abord, une formation très sujette à caution dans le secondaire et, ensuite, une mauvaise gestion du temps. En outre, beaucoup d’étudiants nous arrivent avec au moins deux ans de retard. Depuis quelques années, nous avons malheureusement dû adapter notre niveau d’exigence à la réalité de la situation. Mais on ne peut pas continuer à niveler par le bas indéfiniment ! Nous sommes responsables vis-à-vis des futurs employeurs.
Y a-t-il un profil type de l’étudiant bachelier en droit ?
Le rayon d’attraction de la HEC Condorcet (Charleroi) est d’environ 40 kilomètres. En droit, nous comptons 2/3 d’étudiantes. C’est une population scolaire calme mais difficile à motiver, sauf les filles issues de l’immigration qui y voient une occasion unique de s’émanciper de la tutelle familiale. 20% des élèves ne terminent pas leur année. Ces abandons sont, en général, dus à une très grande immaturité.
Vos étudiants trouvent facilement un emploi après leurs études ?
Parmi nos étudiants qui réussissent, 10 à 15% continuent ensuite à l’Université. Les autres travailleront chez des notaires, des huissiers de justice, etc. Beaucoup se tournent vers la police, aussi. Nos anciens trouvent relativement facilement du travail mais il est certain que les plus âgés, ceux qui ont traîné dans leur cursus scolaire, éprouvent plus de difficultés.
Beaucoup d’employeurs viennent assister aux défenses des TFE, en fin d’année. Nous en profitons pour leur remettre les coordonnées (mail, téléphone) des étudiants qui présentent leur travail.
Avec le recul, regrettez-vous votre choix de carrière ?
En aucun cas ! Je n’ai jamais beaucoup aimé les avocats et le barreau. La mentalité ne me convenait pas. L’enseignement m’a apporté énormément de choses. En même temps, le fait de venir d’ailleurs m’a sans doute apporté un recul et une vision des choses que mes collègues, qui ont été enseignants toute leur vie, ne possèdent pas. D’ailleurs, je pourrais prendre ma retraite mais je n’y pense pas un instant. J’aime trop ce que je fais !