Mr Romain Chiariglione,
Podologue-podothérapeute

Interview réalisée en septembre 2016

Pouvez-vous retracer en quelques lignes votre parcours scolaire ?

J'ai fait toute ma scolarité en France, où j'ai obtenu un bac S, qui est la filière scientifique (math, physique, chimie, biologie).

Puis, je suis venu en Belgique où j'ai d'abord étudié la kinésithérapie pendant 2 ans à l'ULB, et j'ai enfin bifurqué sur la podologie que j'ai étudiée à l'ISCAM à Bruxelles, une Haute-Ecole qui pendant mon cursus a changé de nom pour devenir la HELB Ilya Prigogine. J'ai été diplômé en 2005.

En tant que podologue, quels types d’affections traitez-vous ?

C'est assez vaste car le métier possède plusieurs facettes, et c'est ce qui m'a justement plu.

On a donc la partie soins des pieds où l'on traite les affections courantes des pieds : ongles incarnés, cors, durillons, etc. A cela s'ajoute la réalisation d'orthèses en silicone pour corriger ou protéger la position d'orteils douloureux ou gênants, on peut aussi intervenir sur la courbure de l'ongle avec des techniques diverses. On a aussi un rôle de conseil, notamment sur le chaussage.

Un autre aspect concerne la prise en charge des patients diabétiques qui sont particulièrement sujets à des complications aux pieds, cela se pratique en milieu hospitalier et on y a un rôle de prévention, de screening et de soin spécifique.

D'autre part, il y a la partie analyse de la marche, examen biomécanique et biométrique qui vise à comprendre le fonctionnement de nos patients pour les corriger à l'aide de semelles dont on assure la fabrication. Dans ce cas, la liste d'affections peut être assez longue. Pour simplifier, cela peut être une douleur au niveau du pied, de la cheville, de la jambe, du genou, de la cuisse, de la hanche, du bassin, du bas du dos, de la colonne vertébrale, etc., avec tous les degrés de complexité inhérents à chaque zone anatomique. Parfois la même zone anatomique peut avoir plusieurs douleurs, parfois c'est plusieurs zones qui sont concernées à la fois. A nous de trouver l'explication logique derrière tout cela et quel rôle on peut jouer pour aider le patient avec une paire de semelles sur mesure ; ou si on doit l'envoyer vers un autre professionnel de la santé.

Comment se passe la conception et la fabrication de semelles podologiques ou d’orthèses ? Quelles sont les différentes étapes de travail ?

Cela dépend des praticiens, il y a même des différences (parfois énormes) entres pays à ce sujet. En Belgique, on a la chance d'enseigner et de pratiquer une méthode qui à mes yeux est l'une des meilleures car très proche du modèle américain qui a une grande validité scientifique et est constamment sujet à des recherches. Là-bas les podologues sont des médecins et même des chirurgiens. Nous bénéficions donc de leur savoir ce qui est non négligeable.

Actuellement, la majorité des podologues belges se basent sur une empreinte de pieds en plâtre qui est corrigée après de nombreuses étapes en fonction de l'examen préalable et de la prescription médicale. Puis, on réalise un thermoformage par pressage sous vide de différents matériaux que l'on choisit par rapport à leurs propriétés pour obtenir l'effet correcteur escompté.

J'ai pratiqué cette technique pendant au moins 5 ans, puis j'ai eu l'opportunité d'évoluer vers une technologie informatisée. Grâce à cela, on peut faire la même chose que décrit précédemment mais avec un ordinateur. Cela nous permet de scanner en 3D les empreintes de pieds, de corriger ces empreintes sur ordinateur puis de fabriquer les semelles avec une fraiseuse numérique, c'est un gain de précision non négligeable. Ensuite, on procède à la finition des semelles et enfin à l'adaptation dans les chaussures du patient lorsqu'il vient les récupérer.

J'ai été très motivé par cette évolution technologique dont je suivais l'avancement quand j'étais encore étudiant. On est pourtant encore peu nombreux à utiliser ce type de technologie actuellement. J'ai fait partie des premiers en Belgique, mais je pense que cela va probablement devenir le standard à l'avenir étant donné les retours positifs.

Quels sont les publics que vous touchez particulièrement ?

Presque tout le monde dans sa vie est à un moment concerné par un problème de pieds ou un problème en relation avec la marche ! On a tous déjà eu un problème avec une paire de chaussures inadaptée par exemple, de même que souffrir d'un ongle incarné est extrêmement courant.

Je constate souvent que de nombreuses personnes "traînent" une douleur parfois durant des années et ignorent qu'une solution finalement assez simple existe chez le podologue.

Bien sûr, on retrouvera plus souvent certains profils : des personnes qui ne savent pas atteindre leurs pieds pour les soigner, les personnes âgées, les sportifs, les enfants et ados, les personnes souffrant de douleurs inflammatoires, de rhumatismes et celles souffrant de troubles circulatoires ou de diabète.

Vous travaillez également en milieu hospitalier. La pratique du métier diffère-t-elle du travail en consultations privées ?

Certainement, d'une part car j'y rencontre beaucoup plus de patients diabétiques qu’en consultation privée, mais cela est aussi lié à ma collaboration avec le service d'endocrinologie de l’hôpital.

D'autre part car dans ce cas, je travaille dans une grosse institution qui diffère dans son fonctionnement d'un centre médical ou d'une clinique.

Mais fondamentalement, il n'y a pas de grande différence pour la partie purement professionnelle, si ce n'est la partie concernant le diabète qui est plus spécifique et dont certains actes se pratiquent uniquement en milieu hospitalier.

Quels sont vos horaires de travail ?

C'est difficile de parler d'horaires quand on est un travailleur indépendant, je n'ai pas tendance à compter cela. Il est vrai que cela offre la possibilité de choisir ses horaires de travail, mais c'est un métier qui demande une certaine disponibilité. Dans mon cas, j'ai plusieurs lieux de travail différents, j'ai donc aussi des déplacements à prévoir en Wallonie et à Bruxelles.

Et surtout, je dois aussi prévoir du temps hors consultation pour entretenir mon cabinet, stériliser quotidiennement mes instruments de soins, concevoir et fabriquer mes semelles et faire de l'administratif. Cela demande beaucoup de temps tout de même. C'est probablement plus que pour un travailleur salarié, j'imagine.

D’après vous, quelles sont les qualités requises pour exercer ce métier ?

Ce qui me plaît dans ce métier, c'est que cela allie le manuel à l'intellectuel, il faut donc savoir un peu se débrouiller dans ces deux sphères. Pour la partie technique, on l’acquière aussi avec l’entraînement lors de la formation bien entendu. Avoir l'intention d'aider les autres, de les soulager, donc je dirais avoir une certaine empathie.

Il faut être capable de bien analyser une situation et d'agir en conséquence car des gens vous confient leur santé, c'est une responsabilité.

La patience peut aussi être une qualité dans le métier.

Avoir une bonne présentation et un bon contact avec les gens est certainement un plus.

Dans notre métier, à chaque fois que l'on passe d'un patient à l'autre, on va vers un nouveau cas qui change du tout au tout. Cela pourrait être déstabilisant pour certaines personnes car cela demande de puiser constamment dans ses connaissances. J'imagine donc qu'avoir une bonne vivacité d'esprit ou un bon mental sont des qualités intéressantes.

Enfin, avoir de bonnes notions d'anglais est un avantage pour apprendre de nouvelles choses sur la profession ou approfondir ses connaissances grâce aux publications scientifiques internationales.

Quelles sont les principales difficultés rencontrées au quotidien ?

Je dirais le manque de reconnaissance du métier en Belgique, surtout quand on compare aux pays voisins. Il y a encore beaucoup à faire notamment au niveau politique, mais il semblerait que l'on aille vers un léger mieux prochainement. La conséquence de ceci, c'est qu'il y a très peu de remboursements par l'INAMI pour notre belle profession, pourtant si utile. Pour cette raison, certains patients potentiels pourraient être découragés de consulter, ou repousser un rendez-vous pourtant nécessaire à plus tard.

C'est donc moins facile de débuter une activité professionnelle avec de telles conditions.

Un autre aspect qui peut s'avérer difficile quand on débute, c'est la quantité de matériel spécifique et coûteux dont on a besoin pour savoir travailler. Et d'autant plus lorsqu'on utilise des outils informatisés. Il y a aussi des frais à prévoir pour un lieu de consultation, bien sûr, et éventuellement un lieu pour fabriquer ses semelles.

Enfin, c'est parfois difficile de changer les mentalités car finalement chacun pense avoir des connaissances en matière de pieds, de leur entretien ou des chaussures alors qu’en réalité il y a beaucoup d'idées reçues et de mythes, que ce soit chez les patients ou même parfois au niveau du corps médical. Les solutions que l'on propose sont très logiques quand on connaît le fonctionnement du pied et de l'appareil locomoteur, mais c'est justement sur ce point qu'il y a beaucoup de lacunes et d'incompréhensions chez un bon nombre de nos interlocuteurs. C'est aussi notre rôle de tenter de rectifier le tir et d'éduquer, comme nous sommes hyper spécialisés sur le sujet.

Quels sont les conseils que vous donneriez à quelqu'un qui a envie de se lancer dans le milieu ?

Le mieux est peut-être de voir un podologue travailler pour se faire une idée, j'imagine. Cela n'a pas été mon cas pourtant, j'avais rencontré un étudiant en podologie qui m'avait expliqué le métier.

Si le candidat est motivé et qu'il pense que ce travail est fait pour lui, c'est déjà très bien. La motivation et la persévérance sont indispensables selon moi, car c'est un métier exigeant mais qui apporte une certaine satisfaction en retour.

Enfin, de bien se renseigner sur l'école de podologie qu'il envisage.

Le métier de podologue est souvent confondu avec celui de pédicure médicale. Quelle distinction faites-vous entre ces deux métiers ?

C'est un peu le sujet qui fâche bon nombre de mes confrères et consœurs et une question que de nombreux patients nous posent.

En Belgique nous portons le titre de podologue-podothérapeute, nous sommes définis comme une profession paramédicale, nous disposons d'un numéro INAMI et observons des règles de déontologie, de secret médical.

En revanche, à ma connaissance, le titre de pédicure concerne une profession purement commerciale, de service à la personne. La fonction de pédicure telle qu'elle est pratiquée actuellement en Belgique semble faire exception si on regarde chez nos voisins. C'est donc vécu par certains de mes collègues comme une sorte de concurrence mais qui n'est pas soumise aux mêmes règles du jeu.

La distinction est la suivante si on se réfère à l’Arrêté royal de 2007 : le pédicure s'occupe de soins esthétiques, de confort, sans but thérapeutique tandis que la podologie, c'est au contraire pour une prise en charge dans le but de soigner une affection. Il reste à savoir si dans la vie de tous les jours ce cadre juridique est bien appliqué par tous.

 
SIEP.be, Service d'Information sur les Études et les Professions.