Scaphandrier, cinéaste et responsable de la société Plongeurs professionnels associés sprl.
En quoi consiste votre activité au quotidien ?
Pour commencer, il faut bien différencier le plongeur du scaphandrier. Un plongeur classique a une bouteille sur le dos, un détendeur en bouche, un masque sur le nez et une combinaison étanche ou humide. Il ne peut accomplir un réel travail dans de telles conditions. Comment peut-il, par exemple, poser une porte d’écluse de 40 tonnes au millimètre près ? Pour donner chaque instruction au grutier, il devrait remonter. Imaginez qu’il ait la main coincée en dessous, comment le signaler au grutier ?
Le scaphandrier est relié à la surface par un narguilé qui l’alimente en air, un câble de communication et différents éléments en fonction du type d’intervention. Il est équipé pour passer trois heures dans l’eau d’une traite, à maximum 100 mètres de la base. De plus, sa combinaison lui permet de rester au sec et de garder sa chaleur même lorsqu’il travaille dans une eau vraiment très froide.
L’équipe de plongée est constituée de trois hommes, un intervenant, un plongeur de secours et un tender man qui gère, de la surface, les coordonnées de la plonge : les temps de plonge, les orientations, les alimentations, la direction des opérations et le transfert des informations entre le plongeur qui est en bas, la surface et les éventuels grutiers. Le scaphandrier a aussi une petite bouteille sur le dos, un biberon de secours qui lui permet de survivre. En cas de rupture de l’alimentation principale, il a 10 minutes pour sortir. Si c’est impossible, le plongeur de secours intervient.
J’ai une double activité liée à la mer. Je suis caméraman spécialisé en prise de vue sous-marine et scaphandrier. Mon travail est donc très varié. En cinéma, j’ai tourné entre 150 et 200 publicités et films. Mes équipes de scaphandriers s’occupent de créer et de monter les décors, d’effectuer des interventions de sécurité et de filmer. Pour une publicité de 15 secondes, cinq plongeurs scaphandriers travaillent sous eau pendant trois semaines. Pour vous donner un exemple, j’ai participé au tournage de Mr Nodody de Jaco Vandormael.
J’effectue aussi avec mes équipes des travaux de construction sous eau. Nous faisons des réparations de berges, du bétonnage, de la soudure, du découpage et de la pose d’éléments. Nous travaillons avec du courant sous l’eau. On dit que l’eau et l’électricité ne font pas bon ménage mais, avec une bonne isolation, tout est possible. Nous pouvons aussi casser du béton pour dégager une pièce ou travailler au marteau piqueur ou avec des foreuses pneumatiques et hydrauliques. En fait, nous effectuons tous les travaux des autres corps de métier de la construction, mais dans l’eau. La formation de scaphandrier apprend la plongée mais aussi les bases de tous ces métiers. Pour certaines interventions, nous dirigeons les engins de chantier. Nous sommes sur le godet de la grue pour le positionner. Nous faisons aussi des expertises d’ouvrages d’art hydraulique et des inspections de différents équipements. Dans ces cas, nous sommes munis d’une caméra ou d’un enregistreur.
Récemment, nous avons travaillé sur l’étanchéité d’un château d’eau. Nous avons désinfecté complètement notre matériel pour intervenir dans les eaux de distribution puis nous avons plongé dans la réserve pour réaliser une expertise et repérer les fuites.
Quand nous plongeons en centrale nucléaire ou en station d’épuration, c’est un peu "Tintin sur la lune". Notre casque, très particulier, pèse 20 kg et notre matériel est aussi lourd. Archimède ne nous aide pas. Sans ce poids, nous marcherions sur l’eau ! Travailler avec 40 kg sur le dos nécessite une bonne constitution physique. Dans les stations d’épuration, c’est le même niveau de sécurité qu’en centrale nucléaire. Le taux de pollution est très élevé. Tout est rigoureusement contrôlé, il n’y a pas de place pour l’improvisation. Il faut connaitre les techniques de désinfection, d’assurance de la sécurité, d’analyse de gaz. Notre matériel nous protège de la pollution mais aussi des gaz. Nous pouvons donc intervenir en milieu irrespirable.
Nous effectuons aussi des travaux très particuliers, par exemple sur un gazomètre. Il s’agit d’une grande cuve entourée d’un verre retourné. L’eau garantit l’étanchéité du contenant plein de gaz. Avec la pression du gaz, le système se déboite et les roulements cassent. Nous devons donc remplacer les galets de roulement.
Nous avons fait une série d’intervention dans la Senne. Des éléments de sécurité des égouttages ne sont accessibles que par l’eau. Nous avons changé un clapet anti-retour d’1m50, par exemple. Nous intervenons fréquemment en milieu industriel sans couper l’eau et donc sans devoir arrêter l’usine, ce qui limite considérablement le coût des travaux.
Rarement, nous allons en mer, par exemple, pour découper une épave en petits morceaux et la remonter. En en cinéma aussi, il arrive que nous intervenions en milieu naturel. J’ai aussi travaillé en archéologie sous-marine pour gérer les chantiers.
Nous sommes une soixantaine de professionnels pour toute la Belgique. Notre profession n’est donc pas protégée. Cependant, nous participons à des chantiers dont le chiffre d’affaires s’élève à un demi-milliard d’euros par an. Notre intervention, dans bien des cas, fait gagner 15 à 20 % du budget des travaux parce qu’elle permet rapidement aux terriens de continuer les réparations sans prendre de risques. Nous sommes donc un agent économique très important pour les secteurs de l’industrie et des voies d’eau.
Quelles sont les qualités nécessaires pour exercer votre profession ?
Avant tout, il faut du cœur et de l’adaptation. Il faut être capable d’apprendre très vite et avoir envie de progresser. Quelle que soit votre formation de base, si vous êtes capable d’adaptation, vous pourrez l’utiliser dans la plongée professionnelle. Il n’y a vraiment que si vous avez fait philologie romane que je ne vois pas à quoi cela pourrait vous servir sous l’eau .
Une équipe de plongeurs, c’est trois hommes d’expériences différentes. En cas de problème, nous discutons ensemble et nous changeons notre mode d’opération. Nous devons savoir nous concerter, faire face aux imprévus et trouver des solutions innovantes.
Il faut aussi être docile. Je ne dis pas que le scaphandrier est un mouton. Ce que je veux dire, c’est qu’il faut être à l’écoute et ne jamais perdre de vue que nous sommes là pour travailler. Nous sommes dans un milieu hostile. Il ne suffit pas d’ouvrir la bouche pour respirer. Il faut d’abord sortir. Et une fois sorti, il faut enlever un casque de 15 à 20 kg pour atteindre l’air pur. Dans un sas d’écluse, il faut aussi remonter 8m d’échelle avec l’équivalent d’un sac de ciment sur le dos.
Il faut être bien dans sa tête, et surtout pas casse-cou. Comme pour être pompier, une prudence raisonnée est de rigueur.
Il faut veiller à ce que tout soit en état avant chaque opération. Le matériel retourne tous les six mois en test. Il faut être organisé et pouvoir déterminer si les équipements sont opérationnels ou pas. Il faut donc connaître le matériel de plongée et de chantier et savoir l’utiliser.
Quels sont les avantages et les inconvénients de votre métier ?
Avantage(s) : c’est une vie exaltante, très différente du système "métro boulot dodo". On ne fait jamais deux fois la même chose, c’est un avantage colossal. Et puis, les gens qui font ce métier sont atypiques. Ce sont des gens d’une profondeur d’âme peu commune ! Il y a une ambiance qu’on ne retrouve que dans ces métiers dits "extrêmes".
On s’imagine que c’est un métier dangereux. Pourtant, pour un mort en 30 ans chez nous, 30 hommes meurent dans le secteur de la toiture comme dans d’autres métiers de la construction. Dans ce domaine, il y a des incidents, mais très peu d’accidents. Nous sommes conscients des dangers et nous agissons en conséquence. Le risque existe, il est permanent, mais il est aussi contrôlé.
Plus d’une fois par an, je me demande pourquoi je fais ce métier. J’arrête 15 jours parce que j’en ai marre et j’y retourne parce que cela me manque.
Quel est l’horaire de travail ?
Vous savez quand vous partez, mais vous ne connaissez ni l’heure ni le jour de votre retour. Sur le terrain, les opérations s’enchaînent. J’essaie de limiter le temps d’intervention à trois heures par homme par jour, pallier compris, mais ce n’est pas toujours possible.
Quelles études avez-vous faites pour accéder à votre profession ?
J’ai fait le bachelier de transition en sciences de l'ingénieur orientation bioingénieur à l’ULB, puis j’ai étudié l’électronique nucléaire. Un ami a alors commencé comme plongeur professionnel. Cela m’a tenté. J’ai suivi la formation d'opérateur de travaux subaquatiques en alternance à l’IFAPME de Dinant. En même temps, comme j’aimais aussi l’image, j’ai repris des cours en cinématographie et régie télévision à l’Inraci.
Pour suivre la formation de scaphandrier en alternance, il faut avoir suivi une formation à la plongée en piscine, avoir déjà fait de la plongée en milieu naturel et avoir un certain niveau en plongée sportive. Il faut aussi se sentir bien dans l’eau. L’IFAPME forme à la médecine de plongée, au secourisme de plongée, à l’utilisation et à l’entretien du matériel de plongée, mais aussi du matériel hydraulique et pneumatique. On apprend le fonctionnement des grues, comment diriger un grutier, lire des plans de génie civil, travailler dans un caisson de décompression, mettre sur pied des plans de sécurité, etc.
Quel a été votre parcours professionnel ?
Je travaille comme scaphandrier depuis 1980 et je me suis occupé de la formation des scaphandriers et de l’évolution de la profession en Belgique de 1982 à 2010. Pour que nos scaphandriers soient reconnus au niveau international, nous avons mis la formation en conformité avec les exigences internationales. Nous sommes une des rares écoles au monde à travailler en TP, c'est-à-dire dans les travaux publics. La plupart des autres écoles forment à la plongée off shore liée aux plateformes pétrolières. Chez nous, les scaphandriers apprennent les deux types d’activités.
Pourquoi avez-vous choisi ce métier ?
Dans mon entourage, on ne va pas dans l’eau pour faire des bulles ! Mon père était aux voies navigables. Avec lui, je voyais des plongeurs récupérer des voitures ou des cadavres. Cela ne me paraissait pas être le bon mode d’intervention. Certains d’entre eux m’ont d’ailleurs dit qu’ils avaient peur lorsqu’ils travaillaient dans des écluses.
La plongée me tentait très fort. J’appartenais au groupe belge de recherche scientifique sous-marine, le plus vieux groupement de plongée sportive en Belgique. J’étais donc en contact avec pas mal de gens qui travaillaient sous l’eau, pour des laboratoires, par exemple. Ce métier n’avait rien d’exceptionnel à mes yeux.
Que diriez-vous à quelqu'un qui souhaite se lancer dans cette voie ?
Allez le plus loin possible dans vos formations de base au niveau technique, puis venez nous rejoindre ! On fera un plongeur correct avec la plupart d’entre vous, mais on ne fera un bon scaphandrier qu’avec ceux qui sont capables de réfléchir. La plongée professionnelle n’est pas une bonne idée si vous n’avez pas envie d’étudier. Par contre, tous les horizons peuvent mener à cette formation. Actuellement, un archéologue sous-marin suit les cours pour pouvoir gérer des chantiers sous l’eau.
Avez-vous une anecdote à raconter ?
Il y a deux ans, j’ai été contacté par la Théâtre Royal de la Monnaie. On m’a demandé si je pouvais noyer un ténor sur la scène. J’ai répondu que cela ne me posait aucun problème. Il est très facile de noyer quelqu’un ! Mais ils disposaient d’un seul chanteur pour assurer toutes les représentations, ce qui compliquait les choses ! Le ténor devait s’enfoncer dans un étang qui apparait sur scène à un moment de la représentation et ressortir, comme par magie, à la fin de l’opéra.
Nous nous sommes associés à une société spécialisée dans le placement de piscines. Nous avons construit un cylindre sous la scène et nous avons créé une chambre de décompression. Le ténor descendait dans l’eau à l’aide d’un ascenseur hydraulique et attendait tranquillement la fin du spectacle dans cette bulle. Nous avons équipé cet espace d’une caméra, de moyens de communication, de systèmes de gestion et d’analyse de la qualité de l’air, des gaz, du taux de CO2, du méthane et de l’oxygène. Cet espace permettait au ténor de passer 10 minutes sous l’eau avant de monter à une échelle, de repasser sous l’eau et de venir saluer le public, tout dégoulinant.
Cet effet spécial a fait un tabac. Tout le monde se demandait où avait disparu le ténor. Nous gérions, d’en-dessous, l’ensemble des opérations. Nous avions aussi des hommes sur la scène prêts à intervenir en cas d’incident. Nous avons fait une vingtaine de représentations. Nos qualifications au niveau de la sécurité, de l’analyse de gaz, du secourisme nous ont permis de réaliser cette prouesse technique.
Plus fréquemment, en plein hiver, si les températures sont très basses, le système de gestion d’air en surface peut givrer. Votre alimentation est alors coupée. Vous respirez à l’aide de votre biberon-secours et vous tentez de communiquer votre problème à la surface. Comme toujours dans ces cas-là, vous remarquez alors qu’il y a une rupture de communication. Quelqu’un a dû accrocher le câble et déconnecter le système. Il est possible, dans ces cas-là, de communiquer grâce à des codes. Dès que l’équipe au sol n’entend plus la communication, tout est mis en œuvre pour comprendre la panne et rétablir le contact. Seulement, d’en bas, ce temps parait interminable ! S’ils n’arrivent pas à récupérer la communication et à rétablir votre arrivée d’air, ils envoient le plongeur de secours vous récupérer. Selon l’opération, il est sur terre, prêt à plonger, à la surface ou sous eau, à un passage délicat (par exemple, dans le cas d’une écluse). Dans ce cas, il est équipé de moyens de communication et un quatrième homme est en haut, prêt à plonger pour s’occuper du plongeur de secours. Rien n’est laissé au hasard !