Interview anonyme,
Chercheur en horticulture maraîchère

Ingénieur agronome, chercheur en horticulture maraîchère au C.E.R.A.M

Comment avez-vous choisi de devenir ingénieur agronome ?

Ce n'était pas une vocation dès le départ, même si elle l'est devenue par la suite Je ne suis pas issu du milieu agricole. J'adorais les sciences, et je ne voulais pas faire des études dans une branche trop spécifique, trop restrictive. Je suis curieux de nature, et l'agronomie offre une diversité très intéressante. Elle englobe toutes les disciplines scientifiques, ce qui permet de réfléchir plus à ses affinités par la suite. 

Le programme vous a-t-il paru difficile ?

Oui, en math, physique, en botanique aussi, c'est ardu. La zoologie est plus abordable. On conseille un minimum de 5h de math/semaine en secondaire. J'avais suivi latin-math, avec 7h de maths par semaine, et j'étais bien préparé pour ce cours. Par contre, je n'avais que 3 h/semaine de sciences, et c'était insuffisant. L'orientation scientifique est donc plus que recommandée. L'idéal, c'est de venir de math-sciences.

Trouvez-vous que vos études vous ont bien préparé à votre travail ?

Quand on sort de l'école, on n'a aucune idée de ce qui nous attend dans le monde du travail. Mais ça donne une ouverture d'esprit, ça suscite la curiosité. C'est indispensable pour le milieu agricole. Ce qui m'a manqué, ce sont les stages. Il n'y en avait pas d'intégrés au cursus. C'est dommage !

Comment en êtes-vous venu à travailler dans ce centre de recherche ?

Pendant mes études d'agronomie, j'hésitais entre les sections horticulture et agronomie générale, mais je trouvais que cette dernière section apportait plus de diversité au niveau de son bagage, puisqu'elle est basée sur trois orientations : la phytotechnie1, la zootechnie2 et l'économie rurale. J'ai voulu étudier ces branches plutôt que d'aller dans le domaine plus restrictif de l'horticulture, tout en étant très attiré par les cultures maraîchères et l'horticulture.

A l'issue de mes études, j'ai postulé dans ce centre car un projet y était mis en place. J'ai sauté sur l'occasion, et j'ai été pris pour mes affinités avec l'horticulture maraîchère. J'ai donc été engagé là, directement après la fin de mes études.

De quel projet s'agissait-il ?

Suite à une diminution des surfaces cultivées dans la région de Mouscron, on voulait proposer une alternative à l'agriculteur, introduire des productions à plus haute valeur ajoutée par unité de surface. Et garder ainsi un secteur agricole performant dans la région. Une voie possible était justement la diversification dans les cultures maraîchères.

Quelles sont les activités de ce centre ?

On réalise des suivis de démarches de diversification chez les agriculteurs; c'est à dire qu'on effectue l'analyse globale de l'exploitation pour l'aiguiller ensuite vers l'une ou l'autre spéculation.

En général, quand les agriculteurs font appel à nous, c'est parce qu'ils ont déjà une idée de ce qu'ils veulent faire. On voit s'ils sont en adéquation avec leurs possibilités.

Il faut aborder également l'aspect commercialisation ou débouchés. Pour les agriculteurs du Hainaut Occidental, il est peut-être un peu plus facile d'avoir des débouchés en se trouvant dans une région relativement proche de Roulers, où sont concentrées la plupart des industries de transformation de légumes, et aussi la grosse criée de Roulers. Ce sont deux voies de commercialisation très importantes.

Réalisez-vous l'étude de la base jusqu'à la finalité ?

Oui, c'est ce qu'il faut. Au départ on se contentait des aspects techniques, comme le suivi des cultures, etc. Mais bien vite on s'est rendu compte qu'il fallait aborder également l'aspect commercialisation parce que l'agriculteur se retrouve devant un monde qu'il connaît relativement mal.

Comment se passe votre journée en tant qu'ingénieur dans ce centre ?

On n'a pas de journées types. Tout dépend de la période et de l'année. Certaines périodes, on est toujours sur le terrain pour suivre les chantiers de production et donner des conseils. En période plus creuse, on répond aux demandes des agriculteurs qui se posent des questions sur la diversification, on leur rend visite et on organise des séances d'information.

Le travail comporte aussi une grosse partie administrative, pour les documents à remettre à la Région wallonne, comme des dossiers ou des fiches techniques.

C'est autant un travail de terrain que de bureau.

Pourquoi cette décision de se spécialiser en horticulture maraîchère ?

Les cultures maraîchères dégagent des marges importantes, qui permettent à des petites entreprises agricoles de réaliser des revenus décents. De plus, la maîtrise de la phytotechnie est relativement vite acquise.

Le légume, cependant, c'est assez cyclique. Il y a des années, ça va très bien, d'autres moins. En 1999-2000, des conditions climatiques trop favorables ont permis un accroissement du rendement, mais aussi... une forte chute des prix. C'est la conséquence de la surproduction.

Mais il y a d'autres années qui se passent très bien. Dans l'ensemble, quand on fait une moyenne sur 5-6 ans, on dégage quand même des rentabilités intéressantes.

Quelles sont les spécificités par rapport à d'autres types de culture ?

Il faut miser sur la qualité, prévoir un suivi très pointu de ses cultures. La moindre attaque d'un champignon, d'une maladie ou d'un ravageur se répercute d'office sur la qualité.

Il ne faut pas oublier qu'on achète les légumes principalement avec les yeux. Dès qu'il y a une petite tache, le légume se déprécie.

Quels sont les avantages et les inconvénients de l'horticulture maraîchère ?

Une particularité de l'horticulture en général, c'est de faire appel à plus de main-d’œuvre. Ce qui peut être à la fois un avantage et un inconvénient. Il faut savoir que, quand on a une exploitation de 25 ha, on est en-dessous du seuil de rentabilité quand on fait des grandes cultures. En culture traditionnelle, on compte une unité de travail pour 35-40 ha en moyenne. Quand on a à disposition de la main-d’œuvre familiale, il devient intéressant d'intégrer les cultures maraîchères, ce qui permet de rentabiliser cette main-d’œuvre.

La charge de travail est-elle différente ?

Il faut compter en moyenne 4 à 500 heures de travail sur l'année pour une culture maraîchère. C'est une moyenne, ça peut aller de 800 à 1000 heures pour un ha de persil, comme ça peut descendre à 250 heures pour un ha de poireaux industriels. Par rapport à une culture de froment où on est à 10-12 heures/ha.

La superficie en horticulture maraîchère peut-elle être plus réduite ?

En exploitation type maraîchage de plein champ, elles font en moyenne 9 ha, et il faut compter une unité de travail pour 4 ha environ. Pour les petites exploitations, c'est l'idéal. Je ne dis pas qu'elles vont gagner plus qu'une exploitation de 50 ha, mais elles sont viables.

D'après vous, l'horticulture maraîchère va-t-elle continuer à se développer dans l'avenir ?

Au niveau wallon, il y a certainement des parts de marché à prendre.

Quelles en sont les contraintes ?

L'horticulture demande plus de travail manuel. Les agriculteurs ont pris l'habitude de la mécanisation. Il y en a aussi, mais on ne peut pas tout faire avec une machine. Récolter les fraises, par exemple, doit toujours se faire à la main. En dehors de ça, c'est similaire. Produire, ce n'est pas tellement difficile, il y a juste quelques adaptations. Le maraîchage exige plus de temps, plus de suivi. Mais la satisfaction est là pour le justifier.

J'imagine que de nombreux agriculteurs vous contactent...

Pour le moment, on suit 35 agriculteurs. Régulièrement, d'autres producteurs nous appellent pour demander des conseils. La meilleure école, c'est encore d'aller voir sur le terrain la réalité de ce qu'il se passe. Par exemple, il faut savoir que le poireau se récolte de septembre à avril, et quand il gèle dehors, ce n'est pas évident. Pour cette raison, on organise des visites auprès de professionnels qui sont déjà en place depuis des années.

Finalement, il y a un réseau d'agriculteurs qui se crée, des groupes qui se forment, "groupe poireau", "groupe chou", etc. C'est de cette manière que la vulgarisation se fait le mieux. On organise régulièrement des réunions techniques pour ces groupes, au moment du semis ou des récoltes, pour faire passer l'information de l'un à l'autre, comparer les différences, analyser les résultats.

C'est un milieu très réceptif pour le moment, il n'y a pas beaucoup de concurrence et les données se transmettent facilement.

Encourageriez-vous le maraîchage ?

C'est certainement à envisager, mais en toute connaissance de cause. Mon rôle n'est pas d'encenser l'horticulture ou de faire l'éloge du maraîchage. Il faut savoir que l'horticulture maraîchère peut apporter des bénéfices pour votre exploitation, mais exigera des contraintes en retour.

Quelle est votre vision de l'avenir ?

Je crois qu'il sera de plus en plus difficile de se lancer dans le monde agricole, même en tant que repreneur. Les voies d'avenir sont, sans doute, les technologies agro-alimentaires, en plein développement, la génétique également. Les O.G.M. présentent certainement des potentialités pour les agriculteurs, il ne faut pas tout rejeter en bloc. L'offre mondiale en produits agricoles est très importante (malgré la malnutrition des pays sous-développés) et les marges de bénéfice sont très faibles. La mondialisation de l'économie a fait chuter les prix et la concurrence est rude. Maintenant, il faut chercher la valeur ajoutée, se démarquer par la qualité. 

Je crois que l'agronomie est en train d'évoluer, et va se tourner de plus en plus vers les biotechnologies, qui offrent des possibilités quasi illimitées. Ce créneau va probablement devenir primordial pour l'agriculture. 

Tout ceci sera bénéfique pour les agriculteurs, qui pourront se diversifier. La demande ira en se diversifiant également.

 
SIEP.be, Service d'Information sur les Études et les Professions.