Mr Alain Préat, Géologue
Interview réalisée en avril 2011 |
En quoi consiste votre activité au quotidien ?
Le géologue va déterminer les zones favorables, c'est-à-dire les parties des bassins sédimentaires où on peut espérer que de la matière organique (formée il y a plusieurs millions d’années) s’est transformée en pétrole. Cette transformation nécessite que les sédiments que contenaient cette matière organique soient enfouis à une certaine température et pression et qu'ils soient riches en carbone organique (quelques pourcents). Ensuite, il doit déterminer comment les hydrocarbures qui se sont formés et sont emprisonnés dans la roche source vont quitter celle-ci pour aller remplir une roche réservoir d’où on pourra extraire le pétrole. La roche réservoir et la roche source ne se trouvent pas nécessairement au même endroit et n'ont pas non plus nécessairement le même âge. Tout ce cheminement est suivi par le géologue qui tente de déterminer les zones favorables sur des surfaces extrêmement grandes qui se trouvent sous nos pieds à 2, 3, 4 kilomètres de profondeur mais parfois aussi sous l’océan. C’est un travail assez délicat d’interprétation que seul le géologue peut faire, il va être aidé par des moyens géophysiques, la sismique, et par des moyens plus techniques, des forages pour vérifier si les prédictions sont bonnes.
Au quotidien, le géologue épluche les données bibliographiques s’il y en a, il lit tout ce qui est connu sur la région. Lors des forages, c’est le géologue qui surveillera toutes les remontées de roche, c’est ce qu’on appelle des “cuttings“ ou des “carottes“. Le matériel remonté sera paramétré et le géologue étudiera si ce matériel contient des hydrocarbures, si ce matériel peut être une roche réservoir. Il va l’étudier avec des techniques de géophysique et des techniques plus classiques de minéralogie.
Le processus est-il similaire pour la recherche de pétrole ou pour celle de minerai ?
Ce n’est pas exactement la même chose parce que la notion de piège n’est pas la même. Le pétrole est un fluide qui migre. Il faut donc trouver les chemins de migration du fluide. Tandis que dans la recherche minière, des métaux précieux ou semi-précieux sont emprisonnés dans des roches ou des sédiments par d’autres types de processus. A ce moment-là, la méthodologie est un peu différente, dans le cas des mines on fera beaucoup plus de petits forages parfois même à la main ou avec de petites machines. Ce n’est pas complètement différent mais ce n’est pas strictement la même chose non plus.
Quelles études avez-vous réalisées pour accéder à votre profession ?
J’ai fait un master en géologie en quatre ans. La première année, c’est 95% de mathématiques, de physique et de chimie pour 5% de géologie. La deuxième année, c’est 50 à 60% de géologie et il y a de la biologie, des mathématiques, de la physique et de la chimie. Et les deux dernières années, c’est de la géologie. Le système est le même maintenant sauf que ce n’est plus en 4 ans mais en 5 ans, à savoir les trois premières années de bachelier, suivies de deux années de master en géologie. On a des bases physico-chimiques assez importantes.
Quel a été votre parcours professionnel ?
Au départ, je suis scientifique, je le suis toujours. J’ai réalisé une thèse de doctorat sur les roches carbonatées. L’expertise que j’avais en sciences, pour les roches carbonatées, a intéressé Pétrofina pour des réservoirs carbonatés qui existaient en Angola. J’ai été contacté par cette société pétrolière et depuis lors je travaille régulièrement avec des sociétés pétrolières en amenant une expertise scientifique dans des cas pratiques. Les pétroliers n’ont pas le temps d’approfondir le détail des choses, souvent ça leur crée des problèmes et ils les confient aux universitaires. Ce sont des actions qui malheureusement se font assez peu en Europe excepté en Angleterre mais qui se font beaucoup aux Etats-Unis. Le partenariat privé-Universités est beaucoup plus présent aux Etats-Unis qu’ici.
J’ai habité deux ans en Angola. J’aurais pu y rester plus longtemps mais je voulais faire de la recherche et je suis donc revenu en Belgique. J’ai été contacté par des sociétés pétrolières pour des problèmes pointus qu’elles n’avaient pas le temps de résoudre. J’ai vécu deux ans en Algérie pour des problèmes de mines. Ensuite, également pour des problèmes de mines, je suis allé plusieurs fois au Gabon. Je me déplace très souvent. Actuellement, je suis surtout impliqué dans des projets au Congo pour des pétroliers et surtout en Irak, au Kurdistan. Ce sont des séjours de courte durée car étant nommé à l’Université libre de Bruxelles, je dois donner mes cours. Je ne peux pas faire tout ce que je veux. Je poursuis aussi d’autres recherches en dehors du pétrole. Quelqu’un qui travaille à l’Université est privilégié dans le sens où, tant qu’il donne ses cours, il a une grande latitude dans ses sujets de recherche. C’est intéressant pour moi, car cela me permet d’acquérir de l’expérience à l’extérieur que je peux réinjecter dans les cours pour mes étudiants. Ils sortent avec des notions plus en adéquation avec le monde professionnel réel. Je mène beaucoup de recherches différentes, ce qui me permet de développer les aspects pratique et théorique. C’est en alliant les deux qu’on acquiert la meilleure expérience qui soit.
Comment avez-vous choisi ce métier ? Quelles étaient vos motivations ?
Je suis né en Afrique et j’y ai longtemps vécu. Je voulais privilégier quelque chose où l’on peut faire du terrain. Je ne voulais pas rester enfermé dans un laboratoire.
Quelles sont les qualités personnelles et les compétences nécessaires pour exercer votre profession ?
Il faut avoir une grande ouverture d’esprit, il ne faut pas se limiter à la géologie. Il faut avoir des notions physico-chimiques et des notions de biologie. La géologie est une science récente très complète. Il faut être capable d’appréhender le terrain, d’avoir la volonté de bouger, de se déplacer là où la chose à étudier se trouve, en dehors des circuits touristiques. Il faut s’adapter à beaucoup de situations : bonnes et moins bonnes... parfois même dangereuses et là, il faut évaluer le risque.
Quel est l’horaire de travail ?
Quand on est sur le terrain, comme on veut rentabiliser sa journée, on travaille facilement 12 heures d’affilée. Quand on est dans des travaux de laboratoire, c’est 8 heures par jour. C’est très modulable. Par exemple, pour les plateformes pétrolières, vous travaillez en équipe de 2 fois 12 heures ou 3 fois 8 heures non stop samedi et dimanche. Tout est possible y compris les extrêmes. Ce n’est pas un boulot de fonctionnaire et ce n’est pas de la routine.
Que diriez-vous à une personne qui souhaite se lancer dans cette voie ?
Elle ne doit pas avoir peur de partir à l’étranger. Quand on est dans une compagnie pétrolière ou minière, on commence en bas de l’échelle. Il faut s’adapter à beaucoup de situations difficiles. On envoie des jeunes dans des situations loin d’être simples. Toutes ces choses-là permettent d’apprendre sur le tas. Les compagnies pétrolières et les sociétés minières sont de très grands organismes. Au sein d’une société, on a de moins en moins une ligne droite toute tracée. On va vous employer pendant trois ans sur telle thématique et puis on va changer du tout au tout et il faudra s’adapter à un autre type de travail. Il faut être très flexible. Il y a beaucoup d’expérience à acquérir et l’expérience la plus importante est le terrain.
J’estime qu’au moins pendant 15 ans, la personne ne pourra toucher qu’à un seul domaine. Après, si elle a l’ouverture d’esprit, si elle a l’opportunité, elle pourra ajouter une ou deux cordes à son arc. Les personnesqui ont le plus facile à faire ça, ce sont celles qui sont professeures à l’Université. La liberté académique permet de développer ces aspects-là.
Avez-vous une anecdote à raconter ?
Ce qui m’a le plus marqué, c’était la guerre en Angola. J’étais là quand il y avait la guerre. J’ai dû échantillonner de l’asphalte dans une ancienne carrière où j’étais entouré de soldats avec mitraillettes. Ils étaient tous allongés parce qu’il y avait eu des plastiquages avec les rebelles de l’Unita à l’époque. Ca fait un peu bizarre quand on doit aller échantillonner comme ça. L’anecdote c’est que, pour autant qu’on soit souple, en une heure on s’habitue à des choses pareilles. Ca fait partie du boulot de géologue, parfois vous allez dans des endroits assez dangereux et il faut s’adapter. On n’a pas le choix. Parfois on va aussi dans des endroits de rêve. Bref vous l'avez compris, il n' y a pas de routine en géologie.