Dr De Donckère, Psychiatre
Interview réalisée en janvier 2005 |
Psychiatre à l'IPPJ de Wautier-Braine.
Que faites-vous concrètement dans votre travail au centre de Wautier-Braine ?
Je suis engagé dans le cadre de l'application du décret de 91 et de la loi de 65 et je travaille dans ce cadre-là tout en respectant évidemment la déontologie, comme par exemple le secret médical. Mon idée est d'approcher les jeunes dans leur souffrance, leurs problématiques et leurs difficultés de vie, qu'ils soient demandeurs ou non. Les demandes explicites sont rares, en effet, car il y a beaucoup de demandes implicites, discrètes, qui passent au travers de la commission de délits et c'est la raison pour laquelle ces jeunes sont chez nous. Tout le travail consiste précisément à faire émerger par les mots qui peuvent être énoncés à partir de ces délits une éventuelle demande d'aide concernant une souffrance, une incompréhension, une violence subie ou un comportement déviant un peu trop gênant pour le jeune lui-même. Je n'envisage donc pas mon travail dans un cadre trop cognitivo-comportementaliste même si il s'inscrit dans une perspective d'équipe pluridisciplinaire composée entre autres de beaucoup d'éducateurs.
Comment pouvez-vous résumer l'objectif de votre pratique ?
Je peux le faire de deux façons : avec des belles paroles ou de manière plus "pratico pratique". Commençons par les belles paroles, qui ne sont pas nécessairement des paroles en l'air, elles sont vraiment sincères même si elles s'apparentent parfois à un vœu pieux. L'objectif est de permettre aux jeunes, parfois même aux enfants, de se réapproprier un sentiment de culpabilité par rapport aux faits ayant motivés leur placement et, de manière plus générale, de pouvoir prendre conscience qu'ils ont commis du tort par rapport à autrui. La culpabilité avérée par le jugement et reconnue socialement doit également être reconnue par le jeune afin qu'il puisse entamer un travail sur lui-même. C'est peut-être un vœu pieux mais c'est la trame de fond de mon travail. Sur un plan plus pratique ensuite, il est clair qu'il faut se rendre compte que, de temps en temps, ces jeunes ont traversé des situations traumatiques de tout ordre et il faut essayer de les comprendre pour mesurer jusqu'où ils peuvent s'approprier ce sentiment de culpabilité. Pour exemple, lorsque dans le cadre d'une évaluation on s'aperçoit qu'un jeune a été violenté ou même violé étant enfant, il est évident que l'amorce du sentiment de culpabilité va être fort différente de celle d'un individu n'ayant pas eu trop de difficultés au cours de son parcours de vie. Il faut tenir compte d'une série d'éléments et tenter de les comprendre même si cela ne veut pas dire accepter. Cela nous amène à rencontrer le jeune dans toute sa délinquance, ou dans la délinquance dont il a été l'objet.
Pouvez-vous préciser la spécificité de votre pratique par rapport aux services donnés par les hôpitaux psychiatrique ou d'autres services psychologiques ?
D'abord, le cadre de l'intervention du médecin psychiatre a été mis en place à la suite de la commission de délit ou de faits qualifiés d'infractions. Dans un hôpital, par contre, le cadre se met en place autour de la souffrance des gens, soit celle du patient soit celle qu'il a occasionnée, ce sont d'ailleurs souvent les parents qui sont demandeurs. Les jeunes par contre, même si je ne veux pas généraliser, entrent souvent en hôpital psychiatrique contre leur gré. Ici, le cadre est radicalement différent et il n'est pas du tout question, soyons clair à ce niveau, d'importer une pratique propre à une structure hospitalière à une structure comme celle d'une IPPJ : ce n'est tout simplement pas compatible. Au niveau de toute une série de choses (prise en charge, prescriptions de médicaments, etc.), je "ne marche pas sur les mêmes dalles".
Quels sont les courants thérapeutiques que vous utilisez ?
Je dirais que j'ai concocté ma propre mayonnaise, qui prend assez bien je pense, entre la psychanalyse et l'approche systémique en mettant comme adjuvant intéressant le regard cognitivo-comportementaliste. Mais je ne souhaite pas du tout me conformer en baissant les yeux à des classifications et des descriptions style DSM qui sont beaucoup trop "symptomatologisantes" alors que je me situe dans une approche phénoménologique et psycho-dynamique. De toute façon une nosographie doit rester un outil au service d'une pratique et non l'inverse.
Parlons à présent un peu de votre parcours personnel…
L'histoire est assez simple. J'ai commencé à travailler à l'IPPJ de Braine le Château en 1994, séduit par l'esprit de la maison à cette époque là. Un esprit ensuite bien abîmé par une émeute ayant conduit la moitié de l'établissement à brûler et ensuite à l'arrivée d'un ministre pro sanction, dont l'orientation ne correspondait pas à ce que je voulais. Dès lors, la volonté de Mr Verwilghen de faire du snelrecht (comparution immédiate) et d'ouvrir une section d'accueil court en milieu fermé ne me plaisait pas et j'ai préféré démissionner. Par la suite, mon intérêt pour la pratique restant identique et étant donné que certaines personnes à Wautier-Braine ont compris le message laissé en quittant Braine le Château, on a pu renégocier quelque chose.
Avez-vous vu une évolution dans la pratique et le contexte ?
Dans ma pratique, il existe des balises qui restent relativement similaires mais je constate que le paysage psycho juridique et social est actuellement en profonde mutation, en lien avec la mutation du lien social que l'on observe partout, que ce soit dans les familles, à l'école ou sur le Net. Il y a donc un déplacement préoccupant vers l'immédiateté, maintenant plus qu'autrefois. Qu'un jeune ait des droits et les revendique est une bonne chose mais qu'on doive y répondre immédiatement n'est pas nécessairement bénéfique car on ne lui apprend pas à construire un projet, ni à attendre. On a beaucoup parlé de l'immédiateté de la consommation pour le cannabis mais le snelrecht (comparution immédiate) c'est aussi de l'immédiateté : il y a donc, par rapport à ma pratique, une condition implicitement mise en place qui conduit à dire : "Ce cas est psychiatrique et vous devez trouver une solution immédiate", ce qui est curieux car peu de psychiatres sont convoqués aux débats pour déterminer si le cas est psychiatrique ou non. On cherche donc une réponse à court terme, qui permet à chacun de s'en sortir avec une relative bonne conscience en résolvant le problème sans aller au fond des choses, avec le risque de voir la psychiatrie instrumentalisée au profit d'une vision idéologique ou politique.
Comment-voyez vous l'évolution de votre métier à court ou moyen terme ?
Ma motivation reste identique, même si personne n'est à l'abri d'un certain épuisement à un moment donné, mais pour l'instant ça va. Ce que je redoute c'est une approche psychiatrique à deux niveaux. Le premier est "basique" et vise au bien être social. La psychiatrie est utilisée pour rendre les méchants gentils. Le second est plus privatisé, laissant entendre que seules ces personnes pourront accéder à des soins de l'ordre de la psychothérapie et saisir le "pourquoi du comment je suis devenu comme ça". Je redoute une psychiatrie à deux vitesses et nous devons y être attentifs.
Peut-on aborder concrètement la pluridisciplinarité de la prise en charge ?
Il y a plusieurs pôles dans l'institution. Celui de la direction, tout d'abord, est très présent mais très discret, elle n'affirme pas des choses de manière totalitaire à la soviétique. Mais il y a un courant de pensée, une manière douce d'aborder la fermeté nécessaire à certaines prises de positions. D'un autre côté, il y a l'équipe éducative avec tout ce que cela suppose comme recherche, pas des recherches scientifiques mais subjectives, avec des éducateurs aguerris qui en connaissent un bout et n'ont plus la naïveté des jeunes. Il y aussi le regard du jeune qui pose parfois de très bonnes questions mais pas nécessairement aux bons endroits ni aux bons moments. Donc cette approche au sein de l'équipe éducative me parait elle-même pluridisciplinaire si je puis dire. Enfin, il y a l'équipe PMS (psychologues, assistants sociaux, médecins psychiatres).