Mr Pascal Jeanjean, Artisan papetier
Comment définiriez vous votre métier ?
Le métier est ce que l'artisan en fait, cela peut donc varier en fonction de la société, du contexte socio-économique. Bref, une adaptation est nécessaire. Mais de manière globale, l'on peut cependant affirmer que l'artisan papetier travaille à la fabrication du papier. Tous les métiers liés à la matière induisent plus qu'une formation technique, il s'agit aussi d'une métaphore de soi, il faut appréhender la pratique d'une manière particulière, comme un cheminement autant que comme une fonction.
Qu'est ce qui différencie la pratique ancestrale à l'actuelle ?
La seule différence réside dans l'utilisation de deux machines, l'une est pourtant déjà ancienne : la pile hollandaise qui date du 18è siècle. Le pulpeur permet un travail par friction de la fibre sur elle-même.
Depuis combien de temps exercez-vous cette activité ?
Cela fait près de vingt ans que je suis dans le métier mais cela fait une dizaine d'années que je suis artisan papetier indépendant.
Comment vous est venue l'idée/l'envie de faire cela ?
En tant que littéraire, aimant l'art plastique, m'intéressant à la bibliophilie, j'ai été sensible au papier en tant que support. Il y a un lien entre le support et le contenu. Choisir son papier en fonction de ce que l'on veut y écrire se fait bien souvent de manière inconsciente.
Quel est votre parcours scolaire et professionnel ?
J'ai obtenu un master en littérature mais mon objectif n'était pas de pratiquer l'enseignement. J'ai travaillé durant quelques années dans un moulin à faire du papier dans le Sud Ouest de la France. Ce moulin fonctionne toujours aujourd'hui. Il y a une dizaine d'années, j'ai décidé de me lancer seul, j'expérimente et j'apprends encore aujourd'hui.
Une formation est-elle nécessaire pour exercer ce métier ?
Il n'existe pas de formation d'artisan papetier en tant que tel, c'est sur le terrain, par apprentissage, essai et erreurs, observation, en étant surtout à l'écoute de tous les phénomènes en présence que l'on apprend. Les multiples ouvrages de vulgarisation ne sont pas suffisamment complets ou précis pour réellement apprendre quelque chose du métier. Il n'y a pas de recettes à donner, on peut transmettre des bases mais il s'agit surtout d'un déclic intérieur en fonction de ce que l'apprenant veut et recherche. Il existe des formations d'ingénieur en fabrication du papier à Gand en Belgique et Grenoble en France. J'organise des stages dans le cadre de l'Académie d'été de Libramont. Des ateliers combinant l'écriture, l'illustration, la reliure sont parfois organisés dans le cadre d'activités visant la réinsertion socioprofessionnelle.
Qu'est ce qui vous semble le plus difficile dans votre travail de création ?
L'artisan doit savoir qui il est dans ce métier et savoir ce que les autres font. Il y a concurrence sans en avoir entre la production industrielle et l'artisanat. En effet, ce sont des produits différents. L'un privilégie la production de masse, l'autre l'originalité et donc la singularité du produit. L'artisan fait lui-même le contenu de son métier.
Avantages et inconvénients de ce métier ?
Il est très difficile de trouver le matériel (les
outils et différents appareils), surtout parce qu'il est onéreux.
Quelles sont les qualités et aptitudes requises ?
Il est nécessaire de faire preuve de sensibilité et d'ouverture, d'être de manière constante dans une position de non-réponse définitive par rapport à une manière de faire. Il faut toujours être à l'écoute des réactions chimiques, physiques, mécaniques, veiller à l'adaptation du geste sur les outils. Il n'y a que la pratique qui permette d'apprendre. Je pratique le dessin, la gravure, la lithographie, la peinture, etc. Une série d'activités qui sont celles de la plupart de mes clients. Il est important de comprendre les qualités du produit que nous devons garantir et qui sont celles attendues par le professionnel qui passe la commande.
Statut et revenus ? Peut-on en vivre ?
Je suis indépendant depuis une dizaine d'année,
c'est donc mon activité professionnelle à part entière et j'en vis.
Qu'est ce que vous conseillez à une personne qui veut se lancer ?
Il est très difficile de se lancer car le matériel est très onéreux. Je conseille à cette personne de prendre le temps de réfléchir à ce choix, de prendre le temps d'apprendre, de se construire autour de ce projet. C'est un métier qui demande une volonté importante. Ce n'est pas tous les jours facile, physiquement le métier ne fait pas de cadeau pour le dos et l'arthrose fait partie des conséquences.
Comment imaginez-vous la transmission des savoir-faire dans ce métier ?
Il n'y a pas de recettes à donner, on peut transmettre des bases mais il s'agit surtout d'un déclic intérieur en fonction de ce que l'apprenant veut et recherche. Tous les métiers liés à la matière induisent plus qu'une formation technique, il s'agit aussi d'une métaphore de soi, il faut appréhender la pratique d'une manière particulière, comme un cheminement plus que comme une fonction. Personnellement je n'envisage pas de prendre un ouvrier, j'ai décidé de travailler seul. Ce qui n'empêche pas qu'une collaboration en co-création soit possible avec un autre artisan.
Comment a évolué et comment évolue le métier ?
Depuis quelques années, émerge un certain engouement pour l'artisanat et ce de manière générale. Ces métiers semblent retrouver leurs lettres de noblesse et sont associés à certains produits à cet effet.
Comment organisez-vous votre production ? D'où vient la demande ? Quels sont vos clients ? Comment et où écoulez-vous votre production ?
La production est directement liée aux commandes, qu'elles proviennent d'un client particulier, d’une institution ou d'organisations culturelles tels que les musées. Le musée Rodin de Paris a commandé des reproductions d'aquarelles de Rodin, le Mercator d'Ostende a arboré de nouvelles voiles en papier, un parfumeur a commandé du papier pour l'associer à la promotion d'un parfum. Le contact entre le client et moi est direct et il n'est pas rare que je sois à l'origine d'une commande en imaginant, en créant moi-même le besoin du client puisque je lui propose un produit auquel il n'avait peut être jamais pensé.
Quelles techniques/matières/outils utilisez-vous ?
Le papier, ce sont des fibres, de la cellulose qui est une molécule complexe, longue et composée d'hydrogène et de carbone. Ces molécules présentent deux propriétés essentielles, elles sont hydrophiles et chimiquement instables. Elles ont donc besoin de molécules voisines pour rester en équilibre. Cette cellulose se trouve dans l'ensemble des représentants du monde végétal. Dans l'industrie, on utilise des plantes annuelles, vivaces et différentes essences de bois. C'est cette diversité du monde végétal qui permet la multitude de qualités de papiers différents. Les molécules de cellulose seront donc différentes ainsi que les propriétés chimiques et physiques. Pour fabriquer un papier particulier, il faut choisir dans la nature les plantes dont les propriétés chimiques, physiques et mécaniques, voire les combinaisons seront fonction du produit que l'on veut en faire. Il n'y a donc pas de papier universel.
Comment la cellulose devient-elle papier ?
Par une transformation appelée fibrillation (séparation en fibrilles), la molécule de cellulose va se séparer, devenir en partie instable et rechercher l'équilibre en s'alliant à l'eau. Pour faire la pâte à papier, il faut fibriller plus que naturellement, il faut en quelque sorte forcer la réaction chimique. Cette intervention artificielle permettra d'assurer un maximum de combinaisons entre la fibre et l'eau. Le papier est une substance résistante à la traction, lorsqu'il se combine à l'eau, il perd sa résistance mais la récupère aussitôt séché. En fait, en présence d'eau, les fibres se décollent afin de mieux retenir l'eau. Au séchage, l'équilibre initial est rétablit. Il va sans dire que la qualité de l'eau viendra elle aussi influencer la santé du papier. Ainsi, si l'on considère l'eau ferrugineuse, il y aura un risque de générer des champignons. C'est ainsi que l'on a pu voir se développer des qualités de papier directement liées à la localisation géographique et hydrologique de l'industrie productrice. Par exemple : La Mayenne en France, spécialisée en culture céréalière a donné un papier qui a surtout été utilisé dans l'emballage. Cette production n'existe plus aujourd'hui.
Aujourd’hui, quelles sont les matières premières utilisées par l'artisan?
Du coton des États-Unis et d'Israël, du lin et du chanvre du Nord de la France et de Belgique, de l'abaca du Brésil et des Philippines, de l'arami d'Afrique du Nord, des vieux chiffons et bien sûr de l'eau.