Interview anonyme,
Premier substitut du Procureur du Roi

Interview réalisée en janvier 2009

Quel a été votre parcours professionnel ?

J’ai fait mon bachelier à Namur et j’ai achevé mon master à Louvain-la-Neuve.
Ensuite, je me suis inscrit au barreau car je voulais devenir magistrat au parquet. Or, à l’époque, il fallait au moins un an de barreau pour pouvoir passer le concours. C’est un concours fort sélectif qui regroupe environ 200 candidats pour 30 à 35 places disponibles. Je suis entré comme stagiaire en 1998 mais après 18 mois de stage, j’étais déjà nommé, en raison du manque d’effectif. De plus, nous étions directement plongés dans le bain pour pallier précisément à cette carence de personnel. C’est excellent et très motivant pour un jeune magistrat.

Quelles étaient vos tâches ?

J’ai été affecté à la section "délinquance urbaine". En matière de délinquance urbaine, les procès verbaux dressés pour infractions rentrent tous les jours ! Nous traitons plus de 7000 dossiers par an. Ensuite, je suis passé à la section "criminalité organisée".

La quantité de dossiers est moins importante mais leur ampleur est beaucoup plus grande. Je trouve ça plus palpitant car nous menons de grandes enquêtes avec filatures, écoutes téléphoniques, etc. L’avantage de travailler pour la "criminalité organisée", c’est aussi de pouvoir suivre les enquêtes de A à Z. Je m’occupais de la traite des êtres humains. Au-delà de l’aspect répressif, ce que j’aimais particulièrement c’est l’aspect humain de la fonction. En effet, il faut venir en aide aux victimes de ce genre de fait qui, en Belgique, ont un statut particulier leur permettant de rester dans le pays si elles collaborent avec la justice.

Vous avez radicalement changé d’orientation, ensuite ?

Oui. Ensuite, j’ai été nommé Premier Substitut et je suis passé à la "jeunesse". C’est un secteur beaucoup plus social. J’y ai trouvé ma place mais je conserve une vision judiciaire. C’est une matière beaucoup plus personnelle. On ne peut qu’être touché et ému quand il s’agit d’enfants.
Émotionnellement, c’est beaucoup plus dur. Aujourd’hui, je suis le responsable de cette section. C’est ce que j’apprécie particulièrement au parquet : pouvoir passer d’un secteur à l’autre, ce qui permet de maintenir l’intérêt et la motivation. À chaque fois, les mécanismes sont les mêmes mais on est confronté à des matières particulières.

Qu’envisagez-vous pour la suite de votre carrière ?

J’aimerais devenir Procureur du Roi mais le nombre de places est très limité en Belgique. Donc… Ce qui est certain, c’est que je n’ai aucune intention de devenir juge. J’aime le parquet car on peut y exercer d’importantes responsabilités, sans avoir à trancher des cas épineux. Je préfère défendre la société. C’est pour ça que je n’ai jamais aimé être avocat, même si je suis content d’avoir pu voir l’autre côté de la barrière, lors de mon stage au Barreau.

Que pensez-vous de la formation et de la rémunération des magistrats en Belgique ?

Nous descendons sur les lieux d’infractions pour constater des faits parfois très graves. Or, les études de droit ne nous préparent pas à ce genre de situations. Je pense qu’il faudrait vraiment une véritable école de la magistrature. Il ne faut pas se voiler la face, il y a plus de faits délictueux et ils sont souvent plus graves. En outre, il y a moins de tolérance de la part de la Justice.

D’un point de vue financier, nous avons un statut un peu hybride : nous ne sommes pas fonctionnaires mais nous sommes payés par l’Etat. 

Existe-t-il vraiment un fossé entre la Justice en tant qu’institution et le citoyen ?

Le problème, c’est qu’on donne de fausses attentes au citoyen. La justice tranche d’un côté ou d’un autre. Il y a donc fatalement toujours des mécontents. Au niveau pénal, on réclame des peines toujours plus lourdes. Ce n’est pas la faute de la Justice si elles ne sont pas ou pas complètement appliquées ! Je pointerais aussi la part de plus en plus importante faite à la victime dans un procès. Attention, c’est très bien mais gare aux dérives !

Le procureur, lui ne peut pas se laisser aveugler ou guider par la vengeance. C’est la grandeur d’une société de déléguer le pouvoir de décider d’une peine à une tierce personne, précisément pour éviter la loi du talion.

 
SIEP.be, Service d'Information sur les Études et les Professions.