Mr Michel Cleempoel,
Artiste numérique et professeur d'arts numériques

Interview réalisée en juillet 2012

Qu’entend-on par arts numériques ? 

La définition des arts numériques est sujette à discussion. Certains parlent d'arts numériques dès que l'artiste utilise des outils numériques. Dans ce cas, le champ est très étendu car l'utilisation d'ordinateurs est devenue courante dans de nombreuses activités : graphisme, typographie, photographie, dessin, image, animation, vidéo, son, musique.

Pour ma part, je suis partisan d'une définition plus stricte centrée sur des domaines spécifiques aux arts numériques, à savoir la programmation (écriture du code), l'interactivité (clavier/souris, homme/machine, machine/machine.) et le web, véritable nouveau territoire de communication et de création. Ces nouveaux domaines sont évidemment en relation avec tous les champs traditionnels de la création et, dans l'option que je coordonne, nous abordons l'ensemble de ces activités.

En quoi sont-ils différents des arts dits « graphiques » ?

Les arts graphiques comprennent toutes les activités de création visuelle utilisant différentes techniques (écriture, typographie, dessin, peinture, impression, photographie, etc.) et destinées à des fins artistiques ou commerciales (graphisme, publicité, édition). Actuellement, les arts graphiques sont la plupart du temps réalisés avec des outils numériques mais pas toujours. Beaucoup d'illustrateurs, dessinateurs, graphistes utilisent encore des outils manuels même si, à un moment, leur travail entre dans la chaîne de production numérique.

Les arts numériques supposent une implication plus poussée dans les outils et les domaines spécifiquement numériques, notamment la programmation, l'interactivité, le web.

Quelle est la situation des arts numériques en Belgique ?

Comme partout, les outils numériques sont bien implantés dans le secteur graphique et les différents domaines professionnels.

La situation est différente dans le secteur spécifiquement artistique. Je fais partie de la Commission des Arts Numériques de la Fédération Wallonie-Bruxelles et je peux y voir combien les artistes numériques manquent de soutien et de reconnaissance dans la partie francophone de notre pays. Peu d'institutions ou musées montrent de l'art numérique par manque de compréhension du medium et de moyens techniques. C'est une forme d'art nécessitant des supports techniques (matériel et équipe de maintenance) qui manquent souvent cruellement. Mais cela se développe lentement. Les écoles supérieures artistiques intègrent progressivement des formations aux arts numériques mais, trop souvent, partiellement et sans véritable réflexion.

Quel est votre parcours personnel ?

Diplômé de sérigraphie à La Cambre, j'ai eu une formation "classique" dans le domaine des arts et de l'impression. A cette époque, il n'y avait, pour toute l'école, qu'un ordinateur réservé au travail de la typographie et personne n'imaginait la révolution technologique qui était déjà en train d'arriver. Comme beaucoup d'autres artistes de ma génération, j'ai découvert progressivement, en autodidacte, les outils numériques par la force des choses, les outils numériques remplaçant progressivement les outils analogiques. Mais pour moi, cela a été un profond changement qui a transformé ma pratique :

  • vers la pluridisciplinarité : avec un même outil (l'ordinateur), vous pouvez travailler différents média (image, vidéo, son, web) et les relations entre eux ;
  • vers la recherche et l'expérimentation : beaucoup d'artistes qui se sont initiés tôt aux outils numériques et passaient beaucoup de temps à initier, chercher, expérimenter de nouvelles formes de création ;
  • vers l'échange et la collaboration : baigner dans l'expérimentation et la recherche vous pousse à vous intéresser aux travaux des autres et à entreprendre des collaborations. Sans oublier le développement progressif d'internet, véritable ressource collaborative de connaissances et d'échanges ;
  • vers le questionnement de l'objet artistique : travaillant avec des outils numériques, orientés vers le copié-collé et la multiplication des fichiers, vous ne pouvez que vous distancier des pratiques artistiques produisant des objets artistiques uniques dont la valeur repose sur la rareté.

En tant qu’artiste numérique, quel est votre travail ? 

Mon travail est multiple : image imprimée, animation/vidéo, installations interactives, programmation, web. Selon les idées que je développe, l'objet final peut être parfois une installation dans laquelle la présence du visiteur interférera avec une vidéo ou l'image des autres visiteurs, parfois une image imprimée ou une fresque, parfois un site collaboratif sur un sujet de société.

Quels sont les canaux de diffusion ?

Ils dépendent des projets. J'expose parfois en galerie ou dans des institutions culturelles, parfois le travail est visible sur le web ou projeté sur une vitrine dans la rue.

Où trouvez-vous votre inspiration ?

Je ne sais pas. Je m'intéresse à beaucoup de domaines non seulement artistiques mais aussi scientifiques, politiques, sociétaux. D'où les pratiques différentes que je développe sans me sentir coincé dans une trop grande rigidité. Je pense qu'il existe au fond de tous ces travaux un questionnement sur l'identité et la perception.

Travaillez-vous parfois sur commande ? Si oui, qui sont vos clients ?

Oui mais rarement. J'ai réalisé des fresques peintes ou imprimées pour des institutions ou des particuliers. Il m'arrive également de concevoir des images ou des animations/vidéos en réponse à des demandes.

Vous êtes également professeur d’arts numériques. Qu’est-ce qui vous a donné envie d’enseigner ? 

J'étais enseignant avant de découvrir les outils numériques. C'est d'ailleurs en enseignant dans la section de sérigraphie d'une petite école technique et professionnelle bruxelloise que j'ai rencontré mon premier ordinateur. A cette époque, l'enseignement technique s'adaptait plus vite aux nouvelles technologies que les écoles supérieures d'art qui les considéraient encore avec dédain. Je suis devenu enseignant par le goût du partage mais aussi pour me préserver du temps libre pour continuer mon travail artistique. J'y ai découvert un plaisir d'enseigner et de développer la formation des étudiants. Enseigner vous oblige à continuer d'évoluer, de réfléchir et d'être à l'écoute du monde. L'image caricaturale de l'enseignant répétant pendant toute sa vie le même discours est un cliché très injuste.

Progressivement, je me suis centré sur l'enseignement des nouvelles technologies artistiques, d'abord par goût mais aussi parce que trop peu d'enseignants désiraient s'y initier.

Qu’enseignez-vous exactement ? 

Je suis actuellement professeur responsable de l'option d'Arts Numériques au sein de l'ESA Arts2 (Arts au carré) à Mons. C'est à dire que je travaille avec une équipe d'assistants et de professeurs qui dispensent des cours dans de nombreux domaines numériques artistiques : image, dessin, imprimé, animation, vidéo, web, graphisme, 3D, interactivité, programmation. Je n'y donne qu'une partie des cours, souvent d'initiation, car les autres intervenants sont souvent bien plus spécialisés dans leur domaine. En tant que professeur responsable de l'option, je coordonne l'équipe, lance des projets de collaboration avec d'autres options ou des demandes extérieures et je suis le développement des travaux créatifs personnels des étudiants.

Dès le 1er bloc du bachelier, les étudiants rencontrent les divers champs numériques : image, dessin, animation, vidéo, web, interactivité, programmation, etc. car il est important de les plonger immédiatement dans une pratique multidisciplinaire. Nous tentons de leur donner le plus de compétences possibles dans des domaines diversifiés et de développer des relations entre tous ces médias. Au fil des années, l'apprentissage technique se fait plus pointu et les étudiants doivent développer des projets artistiques plus personnels.

Quels sont les profils que l’on retrouve parmi vos étudiants ? 

Les profils sont très diversifiés, nous avons des étudiants qui n'ont jamais touché auparavant un ordinateur (ça arrive encore...) et d'autres qui ont déjà reçu une formation technique en infographie. Certains ont déjà une pratique personnelle artistique, pas toujours numérique, et d'autres ont seulement un vague désir de "travailler à l'ordinateur". Leur réussite ne dépend pas de ces pré-requis mais bien plutôt de leurs qualités personnelles de curiosité, d'intelligence et de travail.

Quelles sont, d’après vous, les qualités à posséder pour être artiste numérique ?

Nous ne prétendons pas former exclusivement des "artistes numériques" mais plutôt des personnes créatives, possédant de multiples compétences, à la fois techniques et de conception. Certains développeront une pratique artistique personnelle et d'autres s'inséreront dans de nombreux domaines professionnels créatifs. Parfois, ils feront les deux. Outre l'acquisition de compétences, nous tentons d'intégrer dans notre enseignement les qualités évoquées plus haut (pluridisciplinarité, recherche, expérimentation, collaboration) car être un artiste ou un concepteur à notre époque, évoluant rapidement et surtout dans nos domaines d'activité, suppose une grande mobilité, capacité d'apprendre et de réflexion.

La polyvalence est-elle importante dans ce secteur ?

Bien entendu, pour toutes les raisons évoquées plus haut. L'époque où une personne faisait le même travail toute sa vie est terminée. Elle n'a même sans doute jamais existé. C'est un raccourci de l'histoire de l'art que de présenter un artiste en une demi douzaine de travaux ou une période de sa vie, ce qui donne le sentiment qu'il répétait inlassablement les mêmes pratiques. On oublie trop souvent de présenter toutes les recherches, expériences, tentatives, revirements qui font également partie de la richesse d'un travail.

Quels sont les conseils que vous pourriez donner à une personne qui voudrait se lancer ?

Bien se former, beaucoup travailler, être ouvert, réfléchir et de tout tenter pour faire ce qui lui plaît durant toute sa vie ;-)

 
SIEP.be, Service d'Information sur les Études et les Professions.